Endettement des Québécois

Une bombe à retardement

Les experts s’entendent, tous les indicateurs le confirment : l’endettement des Québécois en 2017 est inquiétant. Dettes en croissance, revenus qui stagnent, hausse de l’insolvabilité, la tendance est lourde et dure depuis au moins une décennie. Et pourtant, il n’y a pas de crise majeure. Un peu comme une « drôle de guerre » version finances personnelles, on craint l’élément déclencheur. Explications.

166,9 %

Dette des ménages canadiens par rapport au revenu disponible, au troisième trimestre de 2016. Un sommet historique.

310 milliards

Dette des consommateurs québécois, au troisième trimestre de 2016. Il s’agit d’une hausse de 4,2 % en un an.

« L’endettement des consommateurs québécois connaît une croissance continue depuis les 10 dernières années. »

— Equifax, décembre 2016

L’hypothèque, joies et dangers

Les deux tiers des dettes des Québécois viennent de leur hypothèque. La bonne nouvelle, c’est qu’il s’agit d’une dette théoriquement saine, puisqu’elle repose sur un actif, la résidence, qui prend de la valeur. La mauvaise, c’est que le poids de cette dette sur le revenu disponible est de plus en plus lourd.

« La préoccupation, c’est qu’un bris survienne : une augmentation prononcée des taux d’intérêts une baisse subite du marché de l’immobilier, une détérioration du marché du travail », dit Benoit Durocher, économiste principal pour le Mouvement Desjardins.

Selon un sondage commandé par BMO Groupe financier en 2015, 64 % des Canadiens estiment qu’ils seraient « dans une situation difficile » si les taux d’intérêt étaient haussés de 2 %.

9,5 %

Hausse de la dette des Québécois uniquement pour les prêts automobiles, la catégorie qui a connu la plus forte augmentation entre 2015 et 2016.

Dossiers d’insolvabilité au Québec (faillites et propositions du consommateur)

En 2015 : 43 701

En 2006 : 31 332

En 1987 : 10 579

Faillite ou proposition ? 

Pratiquement inconnue il y a à peine 10 ans, la « proposition du consommateur » est aujourd’hui presque aussi utilisée que la faillite pour les dossiers d’insolvabilité. D’ailleurs, pour la première fois en 2015, le montant global de dettes impliquant faillites et propositions du consommateur était sensiblement le même au Québec, à 2,1 milliards. Ses avantages : elle permet généralement de garder sa maison et ne porte pas le nom honni de faillite. Plusieurs professionnels interrogés par La Presse se montrent toutefois sceptiques et rappellent que, dans les deux formules, le consommateur voit sa cote de crédit entachée pendant plusieurs années.

« C’est comme s’il y avait une bombe atomique, mais elle ne saute pas. Et peut-être qu’elle ne sautera jamais. Mais j’ai le sentiment qu’il y a quelque chose de latent. »

— Éric Lebel, syndic en insolvabilité chez Raymond Chabot Grant Thornton

« Je vis d’une paie à l’autre »

Alain Marleau (nom fictif), père de 40 ans de Gatineau, se décrit comme faisant partie d’« une petite famille typique avec un enfant et un chien ». Sa conjointe de 38 ans et lui ont un revenu combiné de 152 000 $, mais pas d’économies.

« Je vis d’une paie à l’autre, j’ai une incapacité phénoménale à faire un budget, raconte-t-il. Je sais combien tout coûte, mais impossible de budgéter les imprévus. » Dans son cas, ce sont les dépassements de coûts de 17 000 $ dans la construction de sa maison qui l’ont mis « dans une situation un peu difficile » et ont rempli ses cartes de crédit. Il ne voit pas comment s’en sortir.

« Avec nos revenus, probablement que le syndic de faillite rirait de moi. Je ne fais pas pitié : si je veux manger du steak et boire du vin, je le fais. J’ai un ado de 17 ans que j’appelle affectueusement “mon trou sans fond”. On est normaux : si ça fait deux mois que tu es enfermé entre quatre murs et que des amis t’appellent pour aller au resto ou louer un chalet, tu y vas, c’est une question de santé mentale. »

Mécanique de l’endettement

Comme pratiquement toutes les études l’ont noté, il n’existe pas un seul chemin vers le surendettement qui pourrait tout expliquer. Mais un témoignage comme celui d’Alain ressemble à ce qu’un syndic comme Éric Lebel voit régulièrement chez Raymond Chabot Grant Thornton. Il s’agit le plus souvent de personnes âgées de 30 à 50 ans, qui ont « rempli » plusieurs cartes de crédit ou surutilisé leur marge et qui font soudainement face à une baisse de revenus ou une hausse de dépenses.

La maladie, une perte d’emploi, une séparation ou une mésaventure financière sont souvent l’élément déclencheur. « Dans 75 % des cas, nos clients ont exactement les revenus pour assumer leurs dépenses, note-t-il. Mais les dettes croissent sans cesse, on ne sait pas comment les faire baisser et on se retrouve à un certain moment avec 15 000 ou 20 000 $ de dettes. »

Une séparation, par exemple, est un vrai désastre financier, rappelle-t-il. « Il en coûte 2000 $ par mois en moyenne au Québec pour vivre seul. En couple, c’est 2600 $. »

Faillites « surprises »

Les Québécois, précise M. Lebel, sont les champions canadiens de la « faillite surprise ». Dans plus de 79 % des cas, ils se déclarent insolvables sans avoir été une seule fois en défaut de paiement. Dans le reste du Canada, ce taux est de 67 %.

Les raisons de l’insolvabilité

Crédit excessif (29 %)

Perte d’un revenu d’emploi (20 %)

Rupture de mariage (15 %)

Mauvaise gestion financière (12 %)

Problèmes médicaux (7 %)

Autres (17 %)

Source : Raymond Chabot Grant Thornton

« Partir de la base »

Syndics, planificateurs financiers et représentants bancaires consultés par La Presse s’entendent sur quelques points : les Québécois utilisent trop et mal le crédit et n’économisent pas suffisamment. « On devrait partir de la base : voici mon salaire, je retire ce que je dois dépenser pour me nourrir et me loger, je mets de côté 10 % et ensuite, j’ai un excédent », dit Martin Lafontaine, planificateur financier placements et retraite chez BMO.

Respirer avant d’acheter…

L’autre piste de solution, bien large il faut en convenir, c’est la tentation constante de la consommation – à laquelle on succombe de plus en plus. Avec le crédit plus facile que jamais à obtenir, on obtient la recette parfaite du surendettement. « On est constamment stimulés par la publicité, qui est de plus en plus efficace, estime Éric Lebel. Je donne souvent un truc : quand tu vas au centre commercial, si tu as une pulsion d’achat, va faire une marche de 15 minutes. Il y a des chances que tu passes de l’émotion à la sagesse… »

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