Chronique

Royalmount, royalement fou

Je suis assez vieux pour me rappeler un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, pour paraphraser la chanson du célèbre Aznavour : quand l’autoroute Métropolitaine n’était pas constamment bouchée.

Dans les années 90, le jeune automobiliste lavallois (pléonasme) que j’étais le constatait : les bouchons sur la 40, c’était aux heures de pointe.

Fin des années 90 et début des années 2000, la réalité a changé. La Métropolitaine s’embourbait de bouchons désormais n’importe quand, au mépris des heures dites de pointe. Ça fait 20 ans et vous le savez si vous transitez par la 40 : ça ne s’est pas amélioré.

(Ne chialons pas, de grâce, le trafic, ce n’est jamais autrui, c’est nous tous.)

Rouler sur la 40, entre les deux portions de la 15 (autoroutes Décarie et des Laurentides), est donc un exercice de tolérance à la lenteur. C’est un des secteurs autoroutiers les plus achalandés au Québec…

Et il pourrait le devenir encore plus.

Car c’est là, à l’angle de la 40 et de l’autoroute Décarie (15 Sud), que le promoteur Carbonleo envisage de construire une sorte de Quinze40 qui rappellerait le DIX30 de Brossard : des centres commerciaux, des salles de spectacles, des immeubles de bureaux et des restaurants.

Nom du projet de 2 milliards : Royalmount.

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Carbonleo estime que le nombre de visiteurs qui iront travailler, se divertir et magasiner sur le site de Royalmount sera de 25 millions, 30 millions ou 35 millions, annuellement… Ça varie, au gré des entrevues.

Je vais le dire comme ça sort : Royalmount, c’est fou braque.

Fou parce que fatalement, un tel complexe va attirer… des chars ! Des chars qui vont embourber une autoroute Métropolitaine déjà surchargée. Idem pour les autoroutes 15 Sud et Nord, peut-on penser, puisqu’il faudra bien accéder à la 40 pour accéder à Royalmount…

Combien de chars ?

Ah, là-dessus, le promoteur est rassurant, le promoteur a fait faire une étude par une firme de génie, WSP, qui estime que 20 000 véhicules additionnels vont utiliser l’échangeur Décarie (40/15 Sud). Aller-retour, on parle donc de 40 000 véhicules qui vont s’ajouter aux 360 000 qui transitent par ce secteur.

Juste là-dessus, Royalmount est royalement fou : il va ajouter des dizaines de milliers de véhicules dans un secteur autoroutier déjà congestionné.

Ce qui se traduira par… encore plus de temps à poireauter ! On estime par exemple un temps d’attente de 20 à 30 minutes supplémentaires sur la 40 entre Cavendish et la 15 Nord, le soir, entre 17 h et 19 h.

Avez-vous hâte de poireauter encore plus longtemps, gracieuseté des chars qui vont tenter de sortir du Royalmount ou d’y entrer ?

Je cite la Commission sur le développement économique et urbain et l’habitation de la Ville de Montréal, qui a commencé ses consultations sur le projet, hier : « Royalmount aura des impacts majeurs dans un secteur déjà saturé ».

Permettez que je revienne à l’estimation des 40 000 véhicules additionnels générés par Royalmount. C’est le nombre avancé par le promoteur, Carbonleo.

La Ville de Montréal, elle, estime ce nombre à 70 000.

Les temps d’attente supplémentaires imposés au réseau autoroutier dans ce secteur de Montréal sont conservateurs, quand ils viennent du promoteur. On peut penser que les prévisions du promoteur sont bien timides.

Le promoteur Carbonleo veut par ailleurs inciter les gens à aller travailler, magasiner et se divertir au complexe Royalmount en transports en commun. Dans ses prévisions, Carbonleo entrevoit par exemple que 63 % des travailleurs de Royalmount s’y rendraient en transports en commun, contre 25 % en voiture…

Cette proportion est très, très, très optimiste.

Le journaliste Bruno Bisson, qui couvre les transports pour La Presse, faisait hier cette comparaison dans son papier : le centre-ville de Montréal attire quotidiennement cette proportion de travailleurs transitant en transports en commun…

Sauf que le centre-ville de Montréal peut compter sur plusieurs lignes de métro, d’autobus et de trains de banlieue pour le desservir !

Le futur complexe Royalmount ?

Il ne sera desservi que par une seule station de métro !

Et encore là, la station de métro De la Savane est située de l’autre bord de l’A15 : il faudra construire une passerelle enjambant l’autoroute pour la relier à Royalmount. Certains points du Royalmount se trouveront à des centaines de mètres du métro.

Oui, oui, il y aura sans doute des autobus qui pourront desservir Royalmount.

Des autobus qui iront se pitcher dans le trafic.

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La Ville de Montréal n’a pas de droit de veto sur le projet de Royalmount. Le ministère des Transports a un certain rapport de force avec le projet : il peut refuser des aménagements au réseau routier riverain du projet. Et il a déjà opposé des refus. On ne le sent pas chaud à l’idée…

C’est la Ville de Mont-Royal (VMR), petite municipalité de 21 000 personnes, qui permet la naissance de Royalmount : les terrains sont sur son territoire.

Les effets négatifs de Royalmount vont très largement dépasser les frontières de Mont-Royal. Mais VMR semble s’en balancer éperdument.

Celle qu’on appelle aussi Town of Mount Royal est bien seule à trouver que ce projet perturbateur pour l’écosystème routier 15/40 – qui va faire pester des dizaines de milliers de personnes – est une bonne idée. Je souligne par ailleurs que Mont-Royal a de grandes réticences à voir le Réseau express métropolitain (REM) passer sur son territoire…

Traduction : Mont-Royal va faire suer des milliers de personnes avec Royalmount. Mais elle fait déjà suer le projet de REM, qui veut faire passer des milliers de personnes sur son territoire, par train. Town of Mount Royal First !

Il faut dire que la Ville de Mont-Royal a 25 millions de bonnes raisons d’ignorer tout le trouble que Royalmount va engendrer hors de ses frontières : si Royalmount voit le jour, elle va y collecter annuellement 25 millions en taxes.

Et 25 millions, c’est 27 % du budget annuel actuel de 91 millions de VMR, pour vous donner un ordre de grandeur…

Faites le calcul… 25 millions, c’est assez pour découvrir les vertus de l’aveuglement volontaire, pour une ville qui s’imagine déjà vivre en autarcie dans l’île de Montréal.

Consultation publique sur le projet Royalmount

Plusieurs dizaines de citoyens et d’organismes ont participé hier à la consultation publique de la Commission sur le développement économique et urbain et l’habitation de la Ville de Montréal pour en apprendre davantage sur la nature et les impacts d’un projet immobilier de plus de 2 milliards, à l’intersection des autoroutes 15 et 40. Le projet Royalmount est un complexe immobilier et commercial prévu sur des terrains grands comme 40 terrains de football, dans la municipalité de Mont-Royal. Ce nouveau pôle voisine l’échangeur Décarie, où circulent déjà environ 360 000 véhicules par jour. Le promoteur Carbonleo prévoit la construction de cinq hôtels, de deux à six tours de bureaux, deux salles de spectacles, plus de 100 restaurants, au moins 200 commerces et possiblement, sur un horizon de 20 ans, jusqu’à 7000 condos. Le promoteur affirme que la majorité des usagers du réseau routier voisin ne seront pas touchés par l’augmentation de la circulation générée par le projet. Il compte sur la forte utilisation du transport collectif pour limiter les impacts sur la circulation. Les groupes et organismes qui souhaitent commenter le projet de Carbonleo peuvent déposer un mémoire à la Commission sur le développement économique et urbain et l’habitation, et demander d’être entendus lors de séances publiques le 19 décembre et le 9 janvier 2019. D’autres séances s’ajouteront au besoin.

— Bruno Bisson, La Presse

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