PROJET DE LOI SUR LA TRAITE DES FEMMES

Ottawa souhaite l’entrée en vigueur « dès que possible »

OTTAWA — Le gouvernement Trudeau souhaite approuver « dès que possible » le projet de loi fédéral C-452, qui doit faciliter les procès en matière de traite des femmes. L’ex-députée Maria Mourani, qui a parrainé le projet de loi, trouve « aberrant » que son entrée en vigueur prenne autant de temps alors qu’il y a eu plusieurs cas d’adolescentes en fugue au Québec au cours des dernières semaines.

Le projet de loi, qui renverse le fardeau de la preuve et cumule les peines dans les dossiers d’exploitation et de traite de personnes, a été adopté par le Parlement en juin dernier, mais n’entrera en vigueur qu’après un décret du Conseil des ministres.

Le gouvernement Trudeau est favorable au projet de loi (les libéraux ont voté en faveur de C-452 en 2013) et a déjà commencé le processus de révision menant à un décret, mais il ne veut pas donner pour l’instant de date précise pour son entrée en vigueur.

« Notre gouvernement prend très au sérieux l’enjeu de la traite des personnes et l’exploitation humaine. Nous sommes déterminés à renforcer nos efforts pour lutter contre ce problème et œuvrons à apporter des changements dès que possible afin de protéger certains des membres les plus vulnérables de la société », a indiqué par courriel à La Presse la ministre fédérale de la Justice, Jody Wilson-Raybould.

« Le projet de loi C-452 a été débattu et a été adopté par le Parlement précédent. Il y a maintenant un nombre d’étapes techniques qui doivent avoir lieu avant l’entrée en vigueur. Ce processus se déroule actuellement », a-t-elle dit.

Comme pour tous les projets de loi, le projet de loi C-452 fait actuellement l’objet d’une révision technique et constitutionnelle. Lors de l’examen du projet de loi devant le Parlement, l’Association du Barreau canadien a soulevé des enjeux de droit constitutionnel sur le cumul des peines. La Cour suprême du Canada a aussi rendu depuis des décisions sur la constitutionnalité des peines consécutives.

UNE SITUATION « CHOQUANTE » POUR LES VICTIMES, SELON MOURANI

Alors que le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, se dit « très préoccupé » par la situation au centre jeunesse de Laval (où 33 jeunes filles en fugue du centre ont été exploitées sexuellement en 2015), l’ex-députée fédérale Maria Mourani trouve « aberrant » que le projet de loi C-452 ne soit pas encore entré en vigueur.

« S’il y a une volonté réelle de bouger, le premier ministre Trudeau n’a qu’à appeler sa ministre de la Justice pour émettre le décret. Il n’y a rien de bien compliqué à émettre un décret », dit Mme Mourani, qui n’est « vraiment pas impressionnée » par le gouvernement Trudeau dans ce dossier. Elle fait valoir que la situation est « choquante pour les victimes ».

« Ça fait sept ans que les policiers et les victimes attendent », dit Mme Mourani, qui a été défaite comme candidate du Nouveau Parti démocrtique (NPD) aux élections de l’automne dernier après avoir été députée d’Ahuntsic de 2006 à 2015.

Une première version du projet de loi est morte au feuilleton avec les élections de 2011, mais le projet de loi parrainé par Maria Mourani a été adopté à l’unanimité par la Chambre des communes en novembre 2013 puis a été adopté au Sénat en juin dernier. Le projet de loi prévoit son entrée en vigueur par décret du Conseil des ministres.

« Déçu de constater » que le gouvernement Trudeau ne « semble […] aucunement au fait du projet de loi [C-452] », le Nouveau Parti démocratique a envoyé hier à la ministre de la Justice une lettre lui demandant de « fixer immédiatement une date pour l’entrée en vigueur » du projet de loi C-452.

« Votre gouvernement a dit à plusieurs reprises vouloir faire de l’égalité entre les sexes une priorité. Il est maintenant temps de concrétiser cette promesse en posant des actions concrètes. »

— Les députés néo-démocrates Murray Rankin et Karine Trudel

Le Bloc québécois espère aussi que le projet de loi C-452 entrera en vigueur rapidement. « Surtout avec les événements des dernières semaines, il est important qu’on se mette à jour. Je ne comprends pas pourquoi le décret n’a pas été signé, j’ose croire que ce sera fait dans les prochains jours », dit Rhéal Fortin, chef par intérim du Bloc québécois.

Le Parti conservateur du Canada n’a pas rappelé La Presse. Le gouvernement Harper aurait pu décréter l’entrée en vigueur du projet de loi entre juin et le début des élections au mois d’août (théoriquement même jusqu’au début novembre, avant la prestation de serment du gouvernement Trudeau).

Les trois changements de C-452

Le projet de loi C-452 comporte trois modifications au Code criminel. Premièrement, le fardeau de la preuve est renversé en matière d’exploitation et de traite de personnes. Le témoignage des victimes ne serait donc plus absolument nécessaire. « Les victimes sont souvent soit amoureuses, soit elles ont peur », dit l’ex-députée Maria Mourani, qui a parrainé le projet de loi. Ensuite, les peines seront consécutives (au lieu de prendre seulement la peine la plus élevée). Elles seront donc plus sévères en pratique. Finalement, on pourra saisir les biens d’un accusé sauf s’il prouve qu’ils ne proviennent pas des fruits de la criminalité. « [Actuellement,] c’est rendu plus risqué de vendre de la drogue que de faire de la traite de personnes. C’est grave ! », dit Maria Mourani. 

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