Enquête Accros au jeu
Plus de mini-casinos ?
La Presse
Avec la loi 74, adoptée le printemps dernier, le gouvernement du Québec accordera à Loto-Québec encore plus de flexibilité pour répartir ses 12 000 ALV dans les bars de son choix. Objectifs : allègement réglementaire et regroupement de machines « à la discrétion » de la société d’État.
Cette loi abolit la limite de cinq ALV par licence d’exploitant, ce qui facilitera la prolifération de mini-casinos bondés comme ceux que nous avons visités – et qui représentent pour l’instant moins de 5 % des établissements.
Selon Éric Saulnier, directeur des opérations à la Société des établissements de jeu du Québec – une filiale de Loto-Québec –, cet assouplissement est en phase avec le « virage divertissement » entrepris par la société d’État, qui observe une baisse constante des revenus générés par les ALV depuis 10 ans. « Je travaille à ce que le réseau soit efficient. Aujourd’hui, avec l’industrie du bar, ce n’est pas facile. On cherche des projets, à renouveler notre parc. »
Pour la Corporation des propriétaires de bars, brasseries et tavernes, la loi 74 ne vise qu’à augmenter les revenus de Loto-Québec, peu importe les impacts. « La loi doit limiter le nombre de machines. C’est fondamental », soutient son vice-président Olivier Hamel. L’organisme craint aussi que la loi ne bénéficie qu’à une poignée d’exploitants, et non aux petits propriétaires.
Mais Peter Sergakis, qui exploite lui-même des dizaines d’ALV et préside l’Union des tenanciers de bars, est ravi par ces nouvelles normes et a très hâte de savoir quand la loi entrera en vigueur. « J’ai envoyé une lettre au ministre à la mi-septembre pour que le gouvernement se décide à bouger. On ne veut pas qu’il dorme là-dessus. Les tenanciers attendent le OK pour faire les rénovations et regrouper les machines dans un coin. »
Jean-François Biron, chercheur à la Direction de santé publique de Montréal, espère que le gouvernement tiendra compte des travaux – déjà en cours – de l’organisme et de l’Institut national de santé publique du Québec, qui ont chacun entrepris une étude pour comprendre la distribution du risque sur leurs territoires respectifs.
« Notre rôle est de produire les informations, montrer les zones où les populations sont le plus à risque et inciter les décideurs à ne pas concentrer l’offre de jeu dans ces zones-là. »
— Jean-François Biron, chercheur à la Direction de santé publique de Montréal
Selon des chercheurs spécialistes du jeu, le regroupement de dizaines de machines sera nocif, mais selon d’autres, il pourrait être bénéfique. Les premiers craignent que l’effervescence des mini-casinos n’ait un effet d’entraînement sur certains joueurs. Les seconds pensent que l’isolement des joueurs et l’accessibilité des appareils sont encore plus propices aux dérapages.
Dans la capitale, les joueurs d’ALV qui fréquentent des salons de jeu présentent moins de problèmes que ceux qui fréquentent de petits bars, rapporte le chercheur Christian Jacques, qui les a comparés dans le cadre d’une étude publiée cette année par le Centre québécois d’excellence pour la prévention et le traitement du jeu de l’Université Laval.
« Peut-être y a-t-il plus d’efforts de prévention et d’aide offerte dans les salons de jeu que dans les bars, avance-t-il. Mais si on regroupe des ALV dans des bars sans y accroître la surveillance, c’est là que toutes sortes de questions se posent… »