Chronique

Petit manuel pratique contre le sexisme au bureau

En avez-vous marre du sexisme dans votre entreprise ?

Pas nécessairement le sexisme hyper évident d'un candidat présidentiel qui se vante d'agresser des femmes ou celui d'un patron pinçant les fesses de sa secrétaire alors qu'elle prépare le café, façon Mad Men. Mais le sexisme de tous les jours, le subtil, le sous-jacent, ce sentiment d’inégalité parfois difficile à nommer mais irritant qui fait que les femmes se sentent moins à l’aise dans les réunions de remue-méninges ou encore se retrouvent, sans l’avoir vu venir, à jouer des rôles secondaires au sein de projets dont elles auraient tout à fait pu être les pilotes. En avez-vous marre du sexisme dans les attitudes, dans les attentes, les a priori, les choix arbitraires qui sont... juste injustes.

Eh bien, il y a maintenant un guide pratique pour vous aider.

Il s’appelle Feminist Fight Club, c’est un manuel de survie au bureau, et s’il ne vous aide pas demain matin à régler tous les problèmes que rencontrent les femmes sur le marché du travail, il aura au moins l’immense qualité de vous faire rigoler. J’en suis convaincue.

Écrit par la journaliste américaine Jessica Bennett, l’ouvrage est aussi pertinent et lucide – bourré de références à des recherches universitaires – qu’hilarant.

Hilarant et positif.

Car le but de l’opération n’est pas uniquement de rouspéter pour la millionième fois contre les machos qui croient tout savoir, les voleurs d’idées, les frimeurs ambitieux et autres stéréotypes masculins enrageants, mais bien de proposer des façons d’agir pour changer les schèmes.

Et ces ripostes, elle propose de les mettre au point dans des clubs de combat féministes plus ou moins clandestins où, comme dans le film Fight Club de David Fincher, amies et collègues sauront exprimer leur colère face à leurs situations au travail, pour ensuite trouver ensemble des ripostes efficaces, par les mots et les attitudes.

« On parle souvent des problèmes, mais pas si souvent des solutions », explique en entrevue Bennett, chroniqueuse du New York Times âgée de 35 ans, qui a fondé son propre cercle de combat féministe il y a 10 ans. 

« Ce livre, c’est un peu le guide pratique que j’aurais aimé avoir quand je suis arrivée sur le marché du travail. »

— Jessica Bennett

Bennett, qui sera à Montréal mercredi matin pour ouvrir la conférence Infopresse sur les femmes, le leadership et la communication – l’événement se tiendra au Centre des sciences et compte aussi Sophie Grégoire parmi ses conférencières –, n’aborde pas ces questions avec des pincettes.

Comme pigiste, elle n’a pas à gérer les humeurs de ses collègues masculins au quotidien, alors elle n’hésite pas à appeler un chat un chat et à décrire les enquiquineurs du bureau avec de drôles d’étiquettes tout en jeu de mots (donc difficiles à traduire, mais je m’essaie). Il y a le diminue-eur, le maternénervant – qui réduit les femmes à leur maternité – le chipeur – qui pique les idées des femmes en les réajustant juste assez pour que ça ne se voie pas – le « mansplainer », un classique, qui explique des sujets qu’il ne connaît pas nécessairement bien avec la plus grande condescendance. Il y a aussi l’interrupteur, qui ne cesse de couper la parole aux femmes, un personnage omniprésent décrit dans quatre recherches citées par l’auteure, qui rappelle que les femmes se font interrompre deux fois plus souvent que les gars dans les réunions.

Et pour toutes ces personnes et situations, Bennett propose des stratégies.

Pour l’interrupteur, par exemple, elle suggère quatre options : continuer de parler malgré tout si on se fait couper ; interrompre l’interrupteur si on assiste à la scène avec un petit « attends, Chose, elle était en train de dire quelque chose d’intéressant ! » bien senti ; prendre physiquement sa place dans la réunion en se levant, en se penchant au-dessus de la table, en s’assoyant dès le départ bien en avant ; finalement, si on a une position de leadership, instaurer une politique de non-interruption.

Le piqueur d’idées ? Lui reprendre la balle en plein meeting pour rappeler à tout le monde que l’idée venait de vous, l’affronter hors meeting ou en pleine réunion : « Comme je le disais… »

De façon générale, les propositions de riposte incluent presque toujours un geste de solidarité entre féministes et donc, généralement, entre femmes. « On se bat contre le système, pas entre nous », dit Bennett. L’entraide est cruciale.

« Allez les chercher, ces alliances, mettez de côté les irritants, bâtissez des ponts », dit-elle. Les femmes doivent se soutenir. Souvent, c’est difficile car elles se font concurrence pour beaucoup moins de postes, surtout de direction, que les hommes. Donc elles jouent dur. Mais Bennett le répète : « On a plus de pouvoir quand on travaille ensemble, quand on s’appuie. » Si certaines collègues n’embarquent pas et ne pensent qu’à leurs ambitions individuelles (et donc à tisser plutôt des liens stratégiques avec les hommes) ? « Assommez-les avec de la gentillesse. »

CINQ ÉLÉMENTS STRATÉGIQUES POUR BATTRE LE SEXISME ORDINAIRE AU TRAVAIL

Reconnaître qu’on est tous plus ou moins sexistes, même les femmes. C’est l’évidence : un milieu de travail parfaitement égalitaire, ça n’existe pas encore. Alors, pourquoi en discuter encore et ne pas passer plutôt tout de suite à la prochaine étape : améliorer la situation ?

Reconnaître que le sexisme est souvent subtil, inconscient, voire involontaire. Les préjugés en tous genres – origine ethnique ou culturelle, orientation sexuelle, n’importe quelle différence – se cachent, s’insinuent malgré nous dans des décisions, des choix, des propos.

Créer des alliances avec les femmes, les féministes, les anti-sexisme, bref, toutes les personnes de bonne volonté, y compris celles qui, parfois, ne voient pas leurs propres préjugés mais affichent une bonne attitude et veulent le changement.

Lire, lire et encore lire sur le sujet pour pouvoir discuter en étant armée de données, de chiffres, de preuves irréfutables que les problèmes et injustices dénoncés en milieu de travail ne s’appuient pas sur des sentiments ou des intuitions, mais bien sur des réalités constatées et étudiées par des tiers indépendants et des experts.

Former des « clubs de combat féministe », entre amies, collègues, gens de différents milieux sociaux et professionnels pour se défouler, échanger, réfléchir à voix haute, relativiser, apprendre et préparer des ripostes efficaces.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.