Science

Une « cape d’invisibilité » inventée au Québec

Non, elle ne fonctionne pas encore aussi bien que celle de Harry Potter. Mais des chercheurs québécois ont mis au point une « cape d’invisibilité » qui a déjà permis de rendre un objet complètement invisible aux yeux de détecteurs optiques. Prochaine étape : refaire l’expérience dans les conditions de tous les jours afin de tromper l’œil humain.

La quête de l’invisibilité

De Harry Potter à J’onn J’onzz, on ne compte plus les personnages de fiction qui ont entretenu le rêve de l’invisibilité. Or, dans le secret de leurs laboratoires, il se trouve que des chercheurs travaillent réellement à cette quête. Entre eux et dans leurs articles scientifiques, ils parlent même de « cape d’invisibilité » (invisibility cloak, en anglais)… exactement comme dans Harry Potter. « C’est vraiment le terme scientifique qui est utilisé depuis une quinzaine d’années », précise José Azana, expert en photonique ultrarapide au centre Énergie, matériaux et communications de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).

Des matériaux qui fonctionnent à moitié

Un objet est visible pour une raison simple : il interagit avec la lumière. Une pomme verte, par exemple, réfléchit le vert et absorbe les autres couleurs. « L’objet imprime sa signature sur l’onde lumineuse », résume le professeur José Azana. Jusqu’à maintenant, les recherches sur l’invisibilité ont surtout porté sur les « métamatériaux ». Grâce à leurs propriétés électromagnétiques, ces matériaux dévient la lumière afin qu’elle contourne l’objet et n’interagisse pas avec lui. Le hic : la lumière est faite d’un grand nombre de fréquences, ou couleurs, et le truc ne fonctionne qu’avec une couleur à la fois. « Il y a des progrès importants qui ont été faits. Mais ce qu’on souhaite réellement, c’est une invisibilité qui fonctionne dans un cas réaliste, avec toutes les composantes du spectre », dit M. Azana.

Une nouvelle approche

José Azana en est venu à la conclusion qu’essayer de forcer la lumière à contourner un objet n’était pas la solution. « Nous nous sommes dit : pour atteindre la vraie invisibilité, la visibilité scientifique, il faut que la lumière traverse l’objet… mais sans le voir. » Comment diable faire ça ? Les chercheurs ont décidé de tirer avantage d’un fait : pour chaque objet, on peut trouver des fréquences qui n’interagissent pas avec lui. Prenez par exemple des lunettes aux verres roses. Ces verres retiennent toutes les couleurs sauf le rose, qui les traverse sans interagir avec eux. Pour la lumière rose, les verres n’existent pas. Ils sont… invisibles. Le concept est plus facile à comprendre pour un objet transparent, mais il s’applique aussi aux objets opaques.

La grande transformation

Les chercheurs ont compris que le fait que les objets sont invisibles pour certaines couleurs était la porte d’entrée pour réaliser la véritable invisibilité. « Notre idée est de prendre la lumière initiale, puis d’en redistribuer les couleurs avec notre appareil d’invisibilité afin de l’amener complètement dans les fréquences qui n’interfèrent pas avec l’objet  », explique José Azana. Pour rendre invisible une paire de lunettes roses, par exemple, on « compresse » la lumière dans les fréquences roses le temps qu’elle traverse les verres.

« C’est comme si on transformait la lumière en fantôme ! Elle passe réellement à travers », illustre le professeur. Cette transformation de la lumière repose sur une base théorique complexe. « On a travaillé pendant plus d’une décennie pour établir le cadre mathématique de ça », dit l’expert. De l’autre côté des lunettes roses, évidemment, la lumière est devenue complètement rose. Un observateur sait qu’il s’est passé quelque chose. Un autre dispositif fait donc l’opération inverse et redistribue la lumière selon les couleurs initiales. Aux yeux d’un observateur qui se trouve derrière l’objet, rien n’y paraît. C’est comme si la lumière n’avait jamais traversé cet objet. Bref, celui-ci est invisible.

L’expérience

Après avoir jeté les bases théoriques de leur méthode d’invisibilité, les chercheurs l’ont testée. Ceux qui imaginent Harry Potter revêtant une cape pour quitter Poudlard incognito seront peut-être déçus. Mais il faut entendre l’enthousiasme de José Azana pour comprendre qu’il y a ici une réelle avancée scientifique. Les chercheurs ont utilisé un signal laser infrarouge comme ceux utilisés pour les communications par fibres optiques, puis ont modifié sa fréquence pour lui faire traverser un filtre optique. L’opération inverse a ensuite été effectuée, si bien que le signal laser capté derrière l’objet était exactement le même que celui qui avait été initialement envoyé. « Quand on a vu l’onde passer à travers l’objet… Un objet qui déforme très fortement la lumière… c’est comme s’il n’était pas là ! » Le professeur éclate de rire. « C’était fou ! On a appelé tout le monde », s’exclame José Azana.

La suite

L’expérience réalisée par l’équipe de l’INRS laisse déjà entrevoir des applications pratiques. Rendre un signal invisible dans un réseau de fibres optiques pourrait par exemple augmenter la sécurité de nos communications. « Mais on veut aller beaucoup plus loin », dit José Azana. L’idée ne figurait pas dans le programme initial des chercheurs. Mais avec l’attention générée par leur découverte, ils veulent maintenant faire disparaître un véritable objet, comme une pomme, dans des conditions réelles. Et pas seulement lorsqu’on le regarde dans une direction précise, mais sous tous les angles.

« Nous sommes des scientifiques, il faut faire attention, prévient José Azana. On ne connaît pas tous les défis qu’on va affronter. Quand on met toutes les variables ensemble, il y aura peut-être des obstacles fondamentaux. Mais si on pense au concept général, le fondement scientifique est là. Ce n’est pas de la folie. » Si ce n’était pas du fait qu’on parle d’invisibilité, on dirait qu’on a hâte de le voir de nos yeux.

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