Jérusalem, capitale d’Israël

Trump persiste et signe

Malgré les nombreux appels à la prudence, le président Donald Trump est allé de l’avant, hier, avec sa décision de reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël. Il a du même coup annoncé son intention de déménager l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv vers la Ville sainte. Et a appelé les futurs architectes à construire un bâtiment qui rendrait « un magnifique hommage à la paix ».

Ce geste a été aussitôt acclamé par Israël, dont le premier ministre Benyamin Nétanyahou s’est dit « profondément reconnaissant » à l’égard de Donald Trump. Mais il a soulevé une vague d’indignation dans la communauté internationale en général, et dans le monde arabe en particulier.

Dans une déclaration de 11 minutes dont chaque mot avait été pesé avec soin, le président Trump a présenté sa décision comme une évidence. 

« Ce n’est ni plus ni moins que la reconnaissance de la réalité. »

— Extrait de la déclaration de Donald Trump

Le président a de plus rappelé que Jérusalem constituait déjà le cœur de la vie politique israélienne.

Sans l’évoquer dans son discours, Donald Trump a néanmoins renouvelé la clause de dérogation qui permet de suspendre périodiquement ce déménagement imposé par une loi américaine adoptée en 1995.

Le cas échéant, les États-Unis deviendraient le premier parmi les 86 pays ayant une représentation diplomatique en Israël à établir leur ambassade à Jérusalem, ville dont le statut est au cœur du conflit palestino-israélien. La décision marque une rupture avec 70 ans de diplomatie américaine à l’égard de l’État hébreu.

Dans son discours d’hier, le président Trump a pris la peine d’assurer que ce virage ne changerait rien à l’engagement des États-Unis en faveur d’un accord de paix durable au Proche-Orient. Mais les réactions dans le monde arabe et chez les représentants palestiniens laissent penser que les États-Unis se sont plutôt auto-éjectés de tout processus de négociation susceptible de survenir dans un avenir rapproché.

C’est notamment ce qu’ont déploré le président Mahmoud Abbas et de nombreux autres leaders palestiniens.

C’est également ce que dénonçait le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies António Guterres, qui s’est dit opposé « à tout geste unilatéral susceptible de saper les efforts de paix entre Israéliens et Palestiniens ».

Le mouvement islamiste Hamas a joint la menace à l’indignation, affirmant que le geste de Donald Trump ouvrait « les portes de l’enfer » aux intérêts américains dans la région.

Dorer la pilule

Pourtant, Donald Trump a bien tenté d’amadouer les Palestiniens dans son allocution d’hier.

Ainsi, pour la première fois depuis son accession au pouvoir, le président républicain a affirmé son soutien à la solution des deux États. Il a aussi indiqué que la reconnaissance du statut de capitale ne présumait pas des « limites spécifiques de la souveraineté israélienne à Jérusalem ». En d’autres mots, que les revendications palestiniennes sur les quartiers orientaux de la Ville sainte restaient ouvertes à la négociation.

Et enfin, il a reconnu l’attachement des musulmans à l’égard de leurs lieux sacrés dans la vieille ville de Jérusalem.

« Cette déclaration était écrite avec soin pour adoucir la pilule, mais ça ne passera pas », tranche Hady Amr, chercheur à la Brookings Institution, à Washington, et ancien membre de l’équipe de négociation au Proche-Orient sous Barack Obama.

« C’est un peu comme le mari qui trompe sa femme, et qui veut s’excuser de ça en lui offrant des fleurs et des chocolats. Ça ne règle pas la trahison. »

— Hady Amr

Selon Hady Amr, la journée du 6 décembre marquera une date historique : celle où Washington a « complètement abdiqué son rôle de médiateur au Proche-Orient ».

L’expert américain s’étonne aussi du fait que Washington a fait ce cadeau à Israël sans rien demander en échange.

Silences éloquents

Il faut dire que pour bien des analystes, les silences de Donald Trump sont tout aussi éloquents que ses affirmations. Ainsi, le président américain n’a mentionné ni les mots « Jérusalem-Est », territoire annexé par Israël en 1967, où les Palestiniens veulent établir leur future capitale, ni les revendications politiques des Palestiniens, ni la colonisation juive qui a cours actuellement dans ces quartiers.

« Donald Trump a envoyé des messages pour faire absorber le choc, mais il s’est contenté du strict minimum », dit Sami Aoun, spécialiste du Moyen-Orient à la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

« Oui, il a reconnu pour la première fois la solution des deux États, il a essayé de ménager les susceptibilités, mais ce ne sont que des touches esthétiques. »

— Sami Aoun

Selon M. Aoun, il y a peu de chances que les Palestiniens soient dupes d’un tel écran de fumée.

À titre de comparaison, la Russie a reconnu Jérusalem comme capitale israélienne au printemps dernier. Mais elle a spécifiquement accordé ce statut à Jérusalem-Ouest, la partie juive de la ville. Donald Trump ne s’est pas embarrassé de telles nuances.

Pourquoi maintenant ?

Les analystes se questionnent aussi sur le moment choisi pour faire cette annonce, alors que Washington assure avoir dans sa manche un nouveau plan de paix pour le Proche-Orient, porté par le gendre de Donald Trump, Jared Kushner.

Le président Trump n’a pas fait la moindre référence à ce plan, hier. Or, dans toutes les négociations de paix israélo-palestiniennes, la question ultra-délicate du statut de Jérusalem était gardée pour la fin. Ici, Donald Trump a en quelque sorte inversé la formule.

Sami Aoun n’exclut pas que ce renversement de prémisse diplomatique produise l’électrochoc qui réveillera le processus de paix, actuellement moribond. Mais ça reste hautement improbable.

En répondant à cette vieille demande israélienne, le président Trump voulait-il s’assurer de pouvoir faire ensuite pression sur l’État hébreu ? Le politologue israélien Moshe Maoz évoque cette hypothèse, mais dit en douter. D’autant plus que Donald Trump ne semble pas avoir demandé quoi que ce soit en échange de son cadeau.

En revanche, en s’excluant de leur rôle d’intermédiaire, les États-Unis mettent en péril la relative stabilité qui règne actuellement dans les territoires palestiniens. Cette stabilité repose pour beaucoup sur la coordination entre les forces de sécurité israéliennes et palestiniennes – un dialogue soutenu par Washington.

Pourquoi donc Donald Trump a-t-il fait cette annonce, tout en reconduisant la suspension de la loi de 1995 qui oblige les États-Unis à déménager leur ambassade à Jérusalem ?

La décision est difficile à décoder. Pour le politologue Julien Tourreille, spécialiste de la politique étrangère américaine à l’UQAM, il ne faut pas oublier que le président poursuivait aussi des fins liées à son pays. Ainsi, Donald Trump a voulu montrer que contrairement à ses prédécesseurs, qui ont successivement reporté le déménagement de l’ambassade, il a été le seul à réaliser sa promesse électorale.

« Il a voulu marquer une rupture avec les présidents qui l’ont précédé. »

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