Série 5 de 6 Amours d’antan

Cher bonheur conjugal…

Quelle revue a obtenu en 1991 le record du plus grand magazine de consommation de l’histoire mondiale ? La réponse est étonnante : c’est, selon le livre Guinness, le périodique Bride’s, une publication qui s’adresse pourtant en apparence à une frange très mince du lectorat : les personnes qui préparent leur mariage.

C’est que le mariage, justement, n’est pas un événement comme un autre. À partir surtout de l’après-guerre, il est investi d’une immense charge symbolique.

Au Québec, dès cette époque, on assiste à un essor sans précédent de ce qu’on appellera plus tard les lavish weddings (« mariages somptueux »). La consommation engendrée par le mariage enfle de plus en plus. Le marché nuptial devient une véritable « mine d’or ».

Le plus beau jour d’une vie

Pourquoi le mariage est-il devenu une célébration matérialiste dans les années 40 et 50 ? Des trois grands rites de la vie d’un chrétien, le mariage est en effet seul à l’époque à faire l’objet d’un aussi puissant investissement commercial. Ni le baptême, dont la cérémonie reste simple, ni les funérailles, dont la cérémonie se veut sobre (malgré leurs coûts parfois exorbitants), ne font l’objet d’une telle récupération économique.

Pourquoi donc en va-t-il autrement pour le mariage qui fait se succéder les réceptions, les showers, les tournées de magasinage et les visites chez les couturiers ? On pourrait citer des explications générales, comme la montée de l’individualisme contemporain ou l’essor de la société de consommation. Mais, pour l’heure, restons-en au niveau du mariage lui-même.

D’abord, par rapport aux baptêmes et aux funérailles, la consommation stimulée par le mariage ne s’arrête pas aux dépenses de la cérémonie elle-même. Au contraire des bébés qui n’ont pas encore besoin de grand-chose, et des défunts qui n’ont plus besoin de rien, les nouveaux mariés doivent se constituer un énorme trousseau justifié par leur établissement dans un nouveau foyer. Une partie importante des dépenses lors du mariage est ainsi constituée par les présents offerts par les amis et parents des mariés. Cent invités qui donnent un cadeau valant en moyenne 100 $, cela fait quand même 10 000 $.

À cette première raison qui explique que le mariage soit devenu une affaire à ce point commerciale s’en ajoute une deuxième.

À partir des années 40, plus que jamais, le mariage est présenté comme un conte de fées, un mirage symbolisé entre autres par le fait que des mariées portent littéralement une couronne de princesse sur la tête.

Le bonheur conjugal semble conditionné par son acte fondateur, un beau mariage étant la garantie d’un bon ménage et la joie de cette journée étant la promesse d’une félicité éternelle. Le mariage doit donc être pour les conjoints « le plus beau jour de leur vie », la robe de mariée la plus belle robe jamais portée, le voyage de noces « le voyage le plus important de leur vie ».

Plus l’angoisse de la vie future à deux est exacerbée, plus la perfection de cet acte public qu’est le mariage devient cruciale. Il faut n’économiser ni temps ni effort pour que l’événement soit splendide et porter par voie de conséquence une attention maniaque à tous les détails.

En 1949, Odette Oligny le rappelle dans les pages de la revue Mon mariage : « Oui, très bientôt, on vous appellera “la mariée” ! Oh ! vous y pensez depuis longtemps... vous vous voyez déjà, dans la nef de l’église, au bras de celui que vous avez choisi, que vous aimez et avec qui vous fonderez un nouveau foyer. Évidemment, vous avez l’ambition très légitime que tout soit parfait, que rien ne soit laissé au hasard dans l’organisation, non seulement de la cérémonie qui marquera peut-être le plus beau jour de votre vie, mais aussi de votre nouveau foyer où tout respirera le bonheur. »

Les annonces publicitaires autour du mariage accentuent les dépenses ostentatoires. Peu importe que ce qu’on achète soit au fond futile. L’important, c’est de marquer l’importance de l’événement par une surenchère de distinction et d’élégance. On vend des montres de luxe, des bijoux sertis de diamants, des vins dispendieux, des voyages de noces dans des hôtels cinq étoiles. Rien n’est trop beau, et donc rien n’est trop cher, pour faire du mariage un moment unique, inoubliable, magique.

Les mariages princiers

Le mariage devient un événement de plus en plus compliqué et somptueux. Le temps d’organisation des mariages s’allonge. Les lavish weddings deviennent de plus en plus fréquents. Avec pour résultat, bien sûr, que les factures des célébrations ne cessent d’augmenter.

En 2014, un sondage réalisé auprès des lectrices des magazines Weddingbells et Mariage Québec a révélé que celles-ci dépensaient en moyenne 17 000 $ pour un mariage d’une centaine d’invités. On citait des cas où les célébrations avaient fracassé le plafond des 100 000 $ pour des couples de classe moyenne. Aujourd’hui, il n’est pas rare d’entendre des personnes s’alarmer de ne pouvoir se marier sans s’endetter.

Vivre d’amour et d’eau fraîche est certes possible. Mais quand on espère devenir le prince et la princesse d’un conte de fées, comment se priver d’un mariage princier ?

Série Amours d’antan

Jeudi 26 décembre L’amour au temps de la bourgeoisie catholique

Vendredi 27 décembre 1845 : les tourments d’un journal intime

Samedi 28 décembre Mange, paie, aime

Dimanche 29 décembre 1890 : le langage de l’amour de Mlle Nitouche

Lundi 30 décembre Cher bonheur conjugal…

Mardi 31 décembre L’amour, un piège pour les femmes ?

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