Technologie

La reconnaissance faciale à la sauce Apple

Elle vous accueillera cet automne à l’aéroport de Montréal, elle classe déjà vos photos sur Facebook et elle vous permettra bientôt de déverrouiller votre iPhone. Après avoir annoncé qu’elle utiliserait la reconnaissance faciale, une technologie répandue mais controversée, Apple a promis cette semaine une protection inégalée des données personnelles. Le point.

Un dossier de Karim Benessaieh

Technologie

« Face ID » décortiqué

« Quand un service en ligne est gratuit, vous n’êtes pas le client. Vous êtes le produit. »

Cette pointe célèbre décochée il y a trois ans par le PDG d’Apple, Tim Cook, en direction des Facebook et Google de ce monde est devenue un véritable mot d’ordre pour l’entreprise, qui se pose désormais en champion de la vie privée. Une croisade qui, pour certains, a semblé incompatible avec l’arrivée de la reconnaissance faciale sur son nouveau téléphone, l’iPhone X. Comment Apple arrivera-t-il à combiner sécurité, efficacité et confidentialité ? Le géant informatique a répliqué cette semaine.

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Face ID, ce n’est pas seulement une caméra photographiant votre visage pour déverrouiller le téléphone, mais un ensemble de dispositifs appelés TrueDepth, tous contenus dans la petite bande noire emblématique de l’iPhone X. Un projecteur émettant 30 000 points, une caméra infrarouge, un détecteur de proximité et un capteur de lumière ambiante enregistrent les données pour recréer une représentation mathématique de votre visage. On assure que le système n’endommage pas les yeux ou la peau « en raison de ses faibles émissions ». La technologie détecte les couvre-chefs, les lunettes et des changements d’apparence mineurs, comme le maquillage ou l’apparition de poils. Si les changements sont plus importants, Face ID mettra à jour votre image après avoir exigé un code d’accès.

« Ce qu’Apple fait, c’est une application de vérification, où on concentre tout le calcul à confirmer l’identité d’une seule personne. On ne parle pas ici d’une caméra dans un aéroport. C’est raisonnable de penser que ça peut bien fonctionner. »

— Éric Granger, professeur à l’ETS, spécialiste en apprentissage machine et vision par ordinateur

Sécurité

Selon Apple, la probabilité qu’une personne prise au hasard dans la population puisse déverrouiller votre téléphone est de 1 sur 1 million – elle était de 1 sur 50 000 pour le système d’identification par empreinte digitale, Touch ID. Évidemment, cette probabilité augmente si un jumeau ou un parent vous ressemblant énormément tente de déverrouiller le téléphone. Le système se bloquera automatiquement après cinq tentatives de reconnaissance faciale infructueuses, et c’est d’ailleurs ce qui est arrivé lors de la présentation d’Apple le 12 septembre dernier : trop de personnes avaient regardé l’iPhone X dans les minutes précédant son dévoilement.

« La sécurité et la confidentialité sont devenues des éléments de design dans tellement d’appareils que nous concevons […], nous devons les intégrer à un niveau fondamental, souvent jusque dans le silicium. »

— Craig Federighi, vice-président de l’ingénierie logicielle chez Apple, en entrevue avec le blogueur et programmeur John Gruber

Attention

Pour empêcher que l’iPhone ne soit trompé par une photo, un masque ou qu’on l’utilise à l’insu du propriétaire pendant qu’il dort, par exemple, Face ID est « sensible à l’attention ». Il détecte essentiellement si les yeux sont ouverts et si on regarde l’appareil. Le vice-président marketing d’Apple, Phil Schiller, a d’ailleurs précisé le 12 septembre dernier qu’on avait travaillé avec des techniciens professionnels d’Hollywood pour s’assurer que des visages synthétiques ne pourraient pas remplacer celui de l’usager. On a également prévu un mode de verrouillage de secours, si on craint de se faire attaquer et voler l’appareil, activé en appuyant sur deux boutons situés sur le côté gauche.

Confidentialité

Apple répète depuis trois ans que la plupart des données sont cryptées à même l’iPhone et protégées dans ce qu’on appelle une « enclave sécurisée ». Avec Face ID, on applique le même traitement en assurant en outre que les données « ne quittent jamais votre appareil et ne sont jamais sauvegardées sur iCloud ou ailleurs ». Depuis le bras de fer qui l’a opposé au FBI, en 2016, Apple n’a pas fait mystère de son intention de stocker le moins d’informations possible qui pourraient être saisies par les autorités. Résultat : quand des données sont envoyées chez Apple, elles sont brouillées et combinées aux données de millions d’utilisateurs, ce qu’on appelle la « confidentialité différentielle ».

Reconnaissance faciale

Où en est-on ?

De la lecture des photos de passeport au repérage de criminels au centre-ville de Londres, du tri des photos par Google au déverrouillage de votre Samsung S8, la reconnaissance faciale est-elle infaillible ? Pas vraiment, mais elle est incontestablement utile.

97 %

C’est le taux de succès de l’outil DeepFace, utilisé par Facebook pour identifier les personnes sur les photos. Il s’agit de l’un des succès les plus éclatants en matière de reconnaissance faciale. Il a cependant été interdit par l’Union européenne en 2013.

12 milliards

Marché mondial de la reconnaissance faciale en 2022, selon Allied Market Research. Les leaders industriels mondiaux sont Cognitec Systems, NEC, FaceFirst et 3M.

« L’un des marchés les plus importants, c’est les enquêtes policières : on reconstruit l’image pour identifier un criminel, à partir d’images prises par des iPhone, des caméras. Ça fait des années que les corps policiers font ça. »

— Éric Granger, professeur à l’ETS

Quelques exemples

Windows Hello

Système de déverrouillage par l’iris, les empreintes digitales ou le visage offert seulement sur quelques modèles d’ordinateurs compatibles. Le système semble très efficace, bien que Microsoft ait donné peu de précisions à ce sujet.

Samsung Galaxy Note8 et S8

Les deux modèles offrent le déverrouillage par l’iris, les empreintes digitales ou la reconnaissance faciale. Cette dernière fonction est toutefois loin d’être au point, ont noté la plupart des experts.

Aéroports

Des dizaines d’aéroports dans le monde – et Montréal devrait leur emboîter le pas d’ici quelques semaines – utilisent des systèmes de reconnaissance faciale simples, pour associer photos de passeport, visas, casiers judiciaires et passagers.

Foules

Depuis 1998, le centre-ville de Londres est scruté par près d’un demi-million de caméras, le plus vaste réseau au monde, auxquelles on a greffé depuis quelques années des capacités de reconnaissance faciale. On retrouve aujourd’hui ce type d’usage dans d’autres villes, des casinos, des lieux publics de toutes sortes. « Ça prend toujours un analyste humain en arrière-plan, précise le professeur Éric Granger. C’est impossible pour un humain de reconnaître toutes les personnes recherchées : ce sont des systèmes d’aide à la décision, qui permettent de faciliter l’analyse. »

Paiement

Le géant chinois du commerce électronique Alibaba a officiellement inauguré il y a deux semaines le premier terminal de paiement par reconnaissance faciale dans un restaurant PFK de Hangzhou, près de Shanghai. Plusieurs services virtuels de paiement, notamment avec MasterCard et PayPal, existent déjà. Apple Pay pourra en outre être validé par reconnaissance faciale.

Les qualités

Capacité de comparer et trier des millions de photos

Rapidité d’exécution

Minimalement intrusif

Faible coût de traitement avec les avancées de l’intelligence artificielle

Les défauts

Plus grande imprécision avec les minorités visibles et les femmes. Comme on a surtout analysé des photos d’hommes américains blancs, on note des taux d’erreurs plus élevés pour les autres groupes.

Incapacité à traiter les images de mauvaise qualité

Inquiétudes liées au respect de la vie privée

« La reconnaissance faciale pourrait devenir la plus envahissante des technologies d’identification biométrique populaires modernes, car le sujet n’a pas à donner son consentement ou même à participer sciemment. »

— Extrait du rapport préparé par le groupe de recherche du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, mars 2013

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