OPINION

RÉSEAU ÉTENDU DE MATERNELLES 4 ANS Une mauvaise décision

Le gouvernement de la CAQ vient de déposer le projet de loi no 5 sur l’établissement de maternelles 4 ans partout au Québec.

On ne peut nier la légitimité de cette action qui fait suite à une promesse électorale, mais on doit déplorer sa précipitation et le peu de cas qui est fait des critiques nombreuses et diverses qui la visent.

Favoriser la complémentarité des deux réseaux

Le projet de loi met en concurrence deux cadres éducatifs pour la petite enfance : le réseau des garderies et des CPE et celui des maternelles. Bien que le ministre dit vouloir aussi investir dans le réseau des CPE (sans préciser combien ni quand), la mise en place des maternelles 4 ans partout nuira aux CPE, pourtant jugés satisfaisants par la population.

Qu’est-ce qui distingue les orientations pédagogiques de ces deux réseaux ? Si les deux visent le développement des habiletés cognitives, affectives, physiques et sociales des enfants, leurs approches pédagogiques respectives sont radicalement différentes.

Les CPE privilégient une pédagogie par le jeu alors que le programme ministériel des maternelles prescrit des apprentissages scolaires – par exemple, faire apprendre l’alphabet par répétition hors de toute situation de communication.

Contrairement aux CPE, les maternelles adoptent une perspective de scolarisation, ce qui, pour certains enfants de milieux défavorisés, peut représenter un grand défi. C’est avant tout pour venir en aide à ces derniers que l’ouverture des maternelles 4 ans est justifiée.

S’occuper des enfants qui ne fréquentent aucun service éducatif

Selon un rapport du Conseil supérieur de l’éducation de 2012, près de 27 % des enfants de 4 ans restent à la maison. Pourquoi ? Cela s’explique, bien entendu, par les frais des CPE et des garderies, mais aussi par les heures d’ouverture limitées des maternelles qui, bien que gratuites, imposent aux parents qui travaillent de mettre les enfants au service de garde de l’école, lequel est payant.

Mais il y a plus, car dans les milieux pauvres et défavorisés culturellement, envoyer ses enfants à une garderie ou à une maternelle ne va pas de soi : souvent, les parents n’en ont pas fait l’expérience, leur rapport à l’école n’a généralement pas été positif et leur vie est déjà assez compliquée comme ça.

Le ministre écrivait dans son livre : « L’éducation constitue la meilleure façon de lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale » (p. 7-8)*, aussi devrait-il lancer une campagne d’information auprès des parents des milieux défavorisés des villes et des campagnes pour les convaincre des bienfaits pour leurs enfants de l’éducation préscolaire, laquelle n’a pas pour but, faut-il le rappeler, de dépister les troubles d’apprentissage…

C’est dans ces milieux qu’il devrait faire ouvrir en priorité, mais sans précipitation inutile, des maternelles 4 ans.

Notons qu’une équipe de chercheurs sous la direction de Christa Japel a étudié l’expérience québécoise des maternelles 4 ans. Leur rapport de 2017 montre qu’elles n’ont pas amélioré significativement les compétences langagières des enfants et ont eu « très peu d’effet sur la préparation à l’école », parce qu’elles ne bénéficiaient pas des conditions nécessaires à leur mission.

Des conditions inexistantes

Malgré les dires du ministre, en 2019, les conditions minimales de succès de cette entreprise ne sont pas réunies. Dans les écoles, il n’y a ni locaux adaptés aux jeunes enfants ni personnel qualifié en nombre suffisant. L’actuel baccalauréat en éducation préscolaire et en enseignement primaire dispensé par les universités québécoises est en effet tout à fait insuffisant pour former adéquatement les enseignants du préscolaire. Il faudra le revoir et cela prendra au moins six ans.

De plus, en raison de la pénurie de professionnels de l’éducation (psychopédagogues, orthophonistes, psychologues) dans tout le réseau scolaire, il est irréaliste de penser qu’on pourra associer un professionnel à chaque enseignant de maternelle, comme le soutient le ministre. Quant aux diplômés en techniques d’éducation à l’enfance des cégeps, il n’y en a pas non plus en nombre suffisant.

Une question de justice sociale

Pour que les maternelles 4 ans en milieux défavorisés puissent atteindre leur cible, plusieurs conditions sont nécessaires : des classes non seulement gratuites, mais aussi avec des meubles convenant aux petits et des sanitaires adaptés, du personnel spécialisé en éducation à la petite enfance et des professionnels dans les écoles pour permettre aux enfants de rattraper leurs éventuels retards en littératie, en numératie, en motricité fine et en socialisation, ainsi qu’un programme repensé.

Si ces conditions sont réunies, les maternelles 4 ans en milieux défavorisés prépareront mieux à l’école, développeront la confiance et la motivation des enfants, et préviendront ainsi le décrochage.

* Et si on réinventait l’école ?, Québec Amérique, 2016 (version iBook)

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