BLOC-NOTES

Trop, c’est trop

« Trop » est un mot qui décrit bien notre époque. Dans un petit livre qui se savoure avec le sourire, publié aux éditions La Différence, Jean-Louis Fournier nomme tout ce qui déborde : trop d’infos, de brosses à dents, de yogourts, de rigolos, de savons, de moteurs, d’argent, d’écrivains… Chaque élément est assorti d’une liste ahurissante ou d’un commentaire étonné devant tant d’abondance. C’est promis, demain, on se met à la simplicité volontaire. — Josée Lapointe, La Presse

ROMAN MÉLISSA VERREAULT

Trouver le souffle

L’angoisse du poisson rouge

Mélissa Verreault

La Peuplade, 462 pages

Regarder CSI en français l’après-midi à Série +, faire du tricot, feuilleter des revues : en congé de maternité, les activités mentales frôlent souvent le degré zéro. Maman de triplées âgées de deux ans et demi, Mélissa Verreault, elle, a pourtant écrit un ambitieux roman de 450 pages, L’angoisse du poisson rouge, qui fait le pont entre l’histoire d’un soldat italien survivant de la Seconde Guerre mondiale et celle d’une jeune Montréalaise d’aujourd’hui naïve et déboussolée.

Mais comment a-t-elle trouvé le souffle pour écrire un roman aussi vaste et solide en moins de deux ans ? « C’était le souffle du désespoir et de la survie ! », lance l’auteure. C’est que, après avoir vécu dans le déni pendant quelques mois à la suite de l’arrivée de ses triplées (« J’étais comme sur un nuage, je disais : tout va bien dans le meilleur des mondes ! »), elle a craqué. « J’étais exténuée. Et pour sortir de cette fatigue immense, l’écriture a été un rempart sur lequel j’ai pu m’appuyer. Je suis convaincue que ça m’a sauvée. Je ne voyais plus clair, je ne savais plus qui j’étais. »

LE PILIER

Après Voyage léger, premier roman intimiste, et Points d’équilibre, recueil de nouvelles qui frôlait le roman choral, Mélissa Verreault propose avec L’angoisse du poisson rouge une œuvre à trois voix. Il y a celle de Manue, jeune graphiste sans boulot qui multiplie les relations passagères et les amitiés vouées à l’échec. Celle de Flavio, jeune Italien installé depuis peu à Montréal, concierge au cinéma Beaubien, dont elle fait la rencontre. Et en parallèle celle de Sergio, soldat italien qui a échappé aux atrocités de la Seconde Guerre mondiale et qui, de retour dans son village, a coulé des jours tranquilles et silencieux à élever des pigeons voyageurs.

Dans le livre, Sergio est le grand-père de Flavio. Dans la vie, il est celui du compagnon de vie de Mélissa Verreault, et c’est ce personnage qui donne tout son sens au roman. « J’aurais pu raconter juste l’histoire de Manue, mais ça n’aurait donné qu’un autre roman sur les tourments d’une jeune femme de la fin vingtaine, mi-trentaine qui se cherche. Elle est attachante, loufoque, mais une parmi tant d’autres. Tout seul, ça ne valait pas grand-chose. »

Quand elle a découvert l’histoire du vrai Sergio, Mélissa Verreault a su qu’elle tenait son roman : elle pouvait confronter la réalité de Manue avec quelque chose de plus grand. Flavio est ainsi né pour faire le lien entre les deux.

« C’est un livre sur l’impossible. Manue est placée devant ce que Sergio a vécu et réalise que, s’il a pu survivre à toutes ces atrocités, elle peut bien survivre à ses histoires d’amour compliquées, à la perte de sa sœur, au départ de son père. »

« Il n’y a pas de petits deuils, pas de petits drames, mais on peut s’en sortir avec un peu de volonté. »

L’idée derrière tout cela n’était pas de faire la morale, mais « de montrer comment nous sommes tous liés les uns aux autres », dit Mélissa Verreault. L’histoire de Sergio, dont elle a comblé les trous en faisant de la recherche, est donc devenue le cœur de son projet. « Il en est le pilier. Ce n’est pas pour rien que ça se retrouve au milieu du livre. »

LA SUITE

Il faut tout de même être un peu effrontée pour s’attaquer à un sujet aussi vaste et aussi souvent traité que la Seconde Guerre mondiale. Elle l’admet. Elle est convaincue que quelques erreurs se sont glissées… et l’assume. « C’est une fiction basée sur une histoire familiale dont je suis très proche. Je voulais surtout rendre l’esprit de ce que Sergio avait vécu. L’intérêt restait d’établir des ponts entre les générations et les cultures, le présent et le passé. »

L’angoisse du poisson rouge est à peine sur les tablettes des librairies que Mélissa Verreault pense déjà à la suite. On y retrouvera sûrement Manue, Flavio et l’Italie, mais aussi son empathie et son humour bien particulier. Malgré des sujets souvent graves, la plume de Mélissa Verreault suscite souvent le rire.

« C’est ma manière de désamorcer : j’ai tendance à écrire des histoires sombres et difficiles, mais l’humour peut nous sauver, le cynisme aussi… »

« J’ai un humour un peu grinçant. Mais je suis quelqu’un d’optimiste et de jovial, et mes livres sont la mixture parfaite entre ma personnalité et le monde dans lequel on vit. »

Si on lui avait dit il y a 5 ans qu’elle se retrouverait avec 3 bébés et une fresque de 450 pages au compteur, Mélissa Verreault ne l’aurait jamais cru. « Mais s’il y a une chose que j’ai apprise avec les triplées, c’est que tu ne peux rien prévoir ! » Aujourd’hui qu’elle commence à être reconnue par le milieu littéraire – elle participe cet automne à un essai du Quartanier sur la nouvelle génération d’écrivains québécois – , elle est heureuse d’être « sortie de sa bulle ».

« J’ai du respect pour ceux qui font des choses vraiment autobiographiques, c’est correct, mais des fois ça me choque de voir qu’on est si égoïstes. Avec Points d’équilibre, je me suis rendu compte que je gagnais comme personne en explorant des univers loin du mien. C’est bien plus profond que de ressasser ses petits problèmes de Nord-Américaine, comme dans Voyage léger. C’était ça, mon premier roman, celui de la fille que j’étais à l’époque. Je l’aime encore, mais je ne réécrirais plus jamais ce livre. Jamais. »

EXTRAIT

L’angoisse du poisson rouge, de Mélissa Verreault

« Nicole s’était rendue aux urgences en autobus. Yvon, son mari, était parti en voyage d’affaires aux États-Unis avec l’auto. Elle aurait pu emprunter la voiture de sa voisine ou, mieux, lui demander de la conduire à l’hôpital pour ne pas avoir à prendre le volant, mais elle n’était pas sûre que Suzanne, ladite voisine, lui avait pardonné d’avoir coupé par mégarde son rosier en taillant la haie de cèdres qui séparait leurs terrains, alors elle n’avait pas osé la déranger. Appeler l’ambulance aurait été exagéré. Elle monta donc à bord d’un véhicule de la flotte des Autocars des Chutes en direction de l’hôpital Laval, en faisant comme si son linge n’était pas trempé. En essayant de se convaincre qu’elle n’avait pas perdu ses eaux et qu’elle n’était pas en train d’accoucher.

Elle n’en était qu’à vingt-sept semaines de grossesse. »

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