Bertrand Laverdure/La chambre Neptune

Humanisme athée

Poète de la cité, Bertrand Laverdure publie un roman émouvant, La chambre Neptune, qui s’attarde à la relation entre une enfant de 11 ans atteinte d’une maladie incurable et son médecin qui possède une « sexualité clignotante », mi-homme mi-femme. 

Dans une langue naviguant entre l’hyperréalisme scientifique et la prose poétique, le romancier-poète en profite pour traiter de sujets qui lui sont chers : la vie, la mort, l’absence de Dieu et la bonté humaine. Un livre possédant plusieurs couleurs, strates et styles. À l’image de son auteur.

HUMANISTE

Bertrand Laverdure croit que les grands médecins et les poètes sont des champions de l’humanisme qui assurent une cohésion à notre monde, même si celui-ci l’est de moins en moins. 

« Ce sont des générateurs de pulsions humanistes. J’ai essayé de faire un roman humaniste athée, qui ne fait référence ni à l’âme ni à Dieu, mais qui parle, avec beaucoup d’humanisme, de la souffrance que les gens vivent de diverses façons. Pour ce faire, j’ai décidé d’utiliser des métaphores naturelles. Le corps est un laboratoire biochimique. On se croit le capitaine de ce navire, mais on est plutôt une Gaïa, chacun en soi. » 

PHILOSOPHE

La théorie du roman est à savoir qu’une vie est complète, peu importe l’âge du décès, le statut social, la religion ou la célébrité. Le bonheur se situerait lors des périodes de transition vécues par un être humain.

« Qu’une vie dure 3 mois, 15 ou 80 ans, elle atteint sa complétude. C’est le cas de Sandrine dans le livre. Je suis d’accord avec Jacques Brault, par exemple, quand il parle de la courte vie de Marie Uguay, que j’ai beaucoup lue, qu’elle a donné sa pleine mesure de poésie. Le bonheur arrive dans les périodes où on est encore dans le rêve. Le summum du plaisir chez l’être humain survient quand celui-ci est en transit, qu’il s’imagine autre, mais n’est pas encore arrivé à destination. Donc, j’ai fait un livre de voyage. »

POÈTE 

Bertrand Laverdure est Poète de la cité de Montréal jusqu’en 2017. Dans ce cadre, il prépare un herbier de Montréal en plus de faire de la médiation culturelle, dont l’animation d’une soirée de poésie bientôt au festival Metropolis bleu. Il a écrit six recueils de poésie en dix ans avant de publier son premier roman en 2006, Gomme de xanthane. La poésie reste essentielle à ses yeux.

« C’est un roman poétique. Je rends hommage à plusieurs poètes dans ce livre et dans d’autres. La poésie me paraît fondamentale en littérature. Je ne pourrais vivre sans elle. Je tiens à la complexité et à la liberté de la parole. Par ailleurs, pour traiter des enfants malades dans ce roman, j’utilise un langage médical aussi. J’ai rencontré un médecin très généreux de la Maison André-Gratton, un être formidablement humaniste. Je voulais lui rendre hommage en utilisant le vocabulaire très précis des soins palliatifs pour les enfants. »

INTERNAUTE

Adepte de multidisciplinarité, Bertrand Laverdure s’intéresse aux autres façons de présenter ou d’utiliser la littérature, dont l’internet. Il aime y faire partager les poèmes des autres, notamment. 

« Je suis très actif sur les réseaux sociaux. Alors j’ai demandé qu’on me crée un logo au nom du Poète de la cité avec lequel j’ai créé un compte Twitter et une page Facebook. Je les alimente beaucoup. »

HORTICULTEUR

Le poète Laverdure, même s’il n’a pas le pouce vert, travaille à un Herbier montréalais des poètes et des bédéistes. Pour ce faire, il collabore avec le Jardin botanique et les Éditions La pastèque, des bédéistes et des illustrateurs. 

« J’agis comme directeur de la publication. L’idée est de reproduire, sur le modèle des herbiers du XVIIIe siècle, un livre à la poésie inspirée des plantes. Ce ne seront que des plantes qui existent à Montréal et qui sont faciles à repérer. Et ça devrait sortir pour le 375e anniversaire, en novembre 2017.  »

CHRONIQUEUR

Parmi ses nombreuses activités, Bertrand Laverdure est chroniqueur littéraire à l’émission Tout le monde tout lu à MaTV. Ses romans fourmillent aussi de prises de position ou de commentaires sur la vie sociale et intellectuelle.

« Je fais toujours des romans un peu essais et magazines. C’était le cas dans Lectodôme notamment. Ça fait partie de mon style. On vit à une époque tellement fascinante qu’en tant qu’artiste, il faut s’y intéresser. Je ne comprends pas qu’on vive dans un Disneyland de thématiques et qu’on n’en profite pas. D’ici 100 ans, on va être capable de créer une conscience artificielle. Ça me fascine. J’en avais parlé dans Comment enseigner la mort à un robot  ?. Ne pas réfléchir à ça consiste à ignorer l’éléphant dans la pièce. C’est toujours l’éléphant qui m’intéresse. » 

La chambre Neptune

Bertrand Laverdure

La Peuplade, 234 pages

Extrait de La chambre Neptune

« Tout rituel traite du ridicule de nos questionnements. Nous n’avons pas de réponse brillante au pourquoi de la vie et le théâtre de notre moi imagine des échappatoires chorégraphiées qui droguent nos perceptions. Tirésias vivait une réelle peine et ne savait trop comment composer avec elle. Peut-on voir mourir cent enfants tout en restant étrangement professionnel, détaché, si formidablement clinique que les soins prodigués atteignent chaque fois l’optimum de ce qui peut être tenté dans ces circonstances ? Il/elle a toujours été d’un professionnalisme idéal. 

Trahissait-il/elle le serment d’Hippocrate ? Non. Au contraire, il/elle le respectait avec zèle, entretenait les restants de vie animant ses patients, se préoccupait d’eux jusqu’à ce que la moindre cellule impliquée dans la confection de notre identité parlante, de notre squelette vivant, tire sa révérence, abandonne le travail aux bactéries et aux microorganismes reprenant alors le dessus, recolonisant, en conquistadors naturels, la faune complexe de notre corps abandonné. »

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