PRÉSIDENTIELLE AMÉRICAINE OPINION

Bilan d’une dure soirée

En termes politiques, aux États-Unis, on pourra dire qu’après le « 9/11 », il y aura désormais un « 11/9 ». À peu près tous les sondeurs se sont trompés en prédisant encore lundi une victoire, à l’arraché, d’Hillary Clinton.

Non seulement le troisième scénario que j’évoquais dans ces pages il y a deux jours s’est produit, il a été encore plus facile pour Donald Trump de le réaliser. La candidate démocrate a perdu dans cinq États-clés des dizaines de milliers d’électeurs sans doute influencés, si l’on en croit l’inflexion enregistrée dans les intentions de vote, par le scandale des courriels ressuscité par le directeur du FBI James Comey. Alors que Clinton semblait se diriger vers la victoire, que s’est-il passé ? Cinq leçons peuvent être tirées et d’autres s’ajouteront très certainement.

Les sondages ne sont plus fiables

Malgré le fait que, depuis plusieurs semaines, les maisons de sondage prévoyaient une victoire de Clinton, elles ont sous-estimé les impondérables. Par exemple, il est impossible d’anticiper le taux de participation. Pour l’instant, il semblerait moindre qu’en 2008 et en 2012, ce qui apporterait une première réponse : le vote serait moins « sorti » pour Clinton que pour Trump, et ce, malgré la formidable machine électorale des démocrates.

La popularité moindre de Clinton auprès de sa base, en comparaison avec celle de Trump, notamment chez les jeunes électeurs, explique cet effet de frein qui a pu lui nuire comme le vote de ceux-ci pour des tiers partis.

Le vote féminin a aussi été plus divisé que prévu, particulièrement dans les États-clés des Grands Lacs, mais aussi au New Hampshire et en Pennsylvanie (pas plus de femmes ont voté pour Clinton que pour Trump). Enfin, une partie non négligeable du vote latino est allé à Trump – une surprise de taille et qui a déjoué toutes les prédictions.

Le désir de changement à tout prix

La popularité du président Obama n’a pas suffi. L’engouement pour une première femme à la Maison-Blanche n’a pas suffi. Les messages rassurants sur l’état de l’économie et du monde n’ont pas suffi. L’expérience de Clinton, démontrée durant les débats, et sa « présidentiabilité » n’ont pas suffi non plus à convaincre la classe moyenne des Blancs américains (hommes et femmes) à voter démocrate.

En fait, cela constitue le tremblement de terre de cette élection : les cols bleus américains, historiquement fidèles au Parti démocrate, sont passés (comme en 1980 et en 1984) au Parti républicain. Cela explique les résultats au New Hampshire et en Caroline du Nord, et surtout au Michigan, au Wisconsin et en Pennsylvanie – des États qu’Hillary Clinton ne devait pas perdre. Comme il y a 30 ans, la classe moyenne américaine a voulu prendre le pari du changement avec Trump plutôt que croire encore à l’establishment avec Clinton. Le message de la colère l’a emporté sur le message de l’espoir. Les cols bleus ont vu leur niveau de vie reculer et Clinton en a payé le prix. Tandis que Trump a pu compter sur sa base, Clinton a vu la sienne s’effriter.

La crise identitaire est sérieuse

La classe moyenne ne s’y retrouve plus dans les discours des politiciens. Elle ne s’y retrouve plus sur les enjeux économiques et blâme la mondialisation pour les pertes d’emploi, notamment dans les vieux États de la « ceinture d’acier ». Elle ne s’y retrouve plus dans la recomposition démographique des États-Unis, craignant la dilution du « facteur blanc » pour l’avenir. Trump a su habilement manipuler ces deux arguments et accuser les « autres » (les Chinois et les Mexicains notamment) d’être responsables des méfaits envers la classe moyenne. Ses arguments simplistes et populistes ont convaincu et fait oublier ses travers et ses frasques que visiblement ses électeurs lui ont pardonnés.

Une nouvelle dynastie républicaine

Karl Rove, l’organisateur de campagne de George W. Bush, prédisait une domination républicaine après 2000, et ce, pour une génération. Il dut ravaler ses paroles après l’élection de Barack Obama. Or mardi, non seulement Donald Trump a redonné vie à ce rêve, mais il pourra composer avec une législature dominée entièrement par les républicains (Chambre des représentants et Sénat). Ce sera la première fois en près de 90 ans que les républicains contrôleront tant le pouvoir exécutif, législatif, judiciaire (à la Cour suprême), que la majorité des postes de gouverneurs et des législatures d’État. Le rêve de Rove se réalisera-t-il cette fois ? 

Réponse dans deux ans lors des prochaines élections au Congrès. Entre-temps, Trump a le temps voulu et dispose de la marge de manœuvre pour lancer ses projets (fiscaux, de santé, sur la frontière et le libre-échange, notamment), mais il constatera que l’harmonie au sein d’un parti est loin d’être acquise, si on se fie à l’histoire. Autrement dit, ce n’est pas parce que le même parti est au pouvoir partout que l’effet de contrepoids disparaît pour autant, surtout dans le cas de Trump. Les leaders républicains au Congrès en auront plein les bras et lui feront opposition, si on se fie aux expériences précédentes. Encore que…

Une campagne ne fait pas un président, mais…

On entend encore que Trump agira de manière présidentielle, ou encore qu’il atténuera son discours haineux et méprisant, qu’il sera pragmatique, qu’il tendra la main aux démocrates, que devant les réalités du pouvoir de la puissance américaine, il sera accommodant avec les Chinois, les Mexicains, les Canadiens et les Européens (entre autres). Que les leçons de l’histoire sur les présidents s’avéreront plus importantes que les leçons sur les élections. 

Attendons. Le style décisionnel de Trump demeure une inconnue (le premier président en 100 ans à n’avoir effectué aucun service public). Les conseillers qui l’entoureront seront à cet égard déterminants (lire rassurants ou inquiétants).

Il doit en outre tenir les promesses faites à ses électeurs, même s’il les adoucit. Une chose semble évidente, cependant, et on peut le croire sur cette affirmation : il est tout sauf un décideur prévisible.

Gouvernera-t-il comme Nixon, comme Reagan, ou inventera-t-il son propre modèle ? Une chose est sûre : le populisme de Trump constituera un facteur décisionnel très inquiétant pour l’avenir à la fois de la présidence et des États-Unis.

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