PRÉSIDENTIELLE AMÉRICAINE OPINION

La campagne de la haine

L’histoire américaine nous apprend que ce pays a toujours été déchiré par des conflits entre riches et pauvres, le nord et le sud, les circonscriptions urbaines et rurales et entre les White-Anglo-Saxon-Protestants (WASP) et les minorités.

La campagne présidentielle de 2016 ne fait pas exemption, mais les ingrédients populistes et la haine exacerbée du candidat républicain envers la candidate démocrate et l’establishment de Washington a ajouté une couche peu glorieuse à l’histoire américaine. 

Rarement avons-nous vu un candidat s’aliéner, et ce dès les premiers jours de la campagne, les minorités hispaniques et noires et en écorchant au passage tous les sans-papiers de ce monde. Cette campagne restera celle de la haine, de la haine contre tout ce qui va à l’encontre de ceux qui veulent unir et construire un véritable pays sur des bases égalitaires.

L’essence même de la démocratie américaine fut constamment remise en cause.

Les propos tonitruants du candidat républicain ont dépassé la ligne du respect et du fair-play à plus d’un moment. L’intelligence politique a semblé avoir échappé aux partisans de Trump qui n’avaient que hargne et colère contre tous ceux qui avaient encore un peu de retenue face aux exagérations volontaires de la droite américaine. La performance de Trump a certes de quoi surprendre.

Les États-Unis sont devenus au cours de cette campagne la risée partout dans le monde, mais nous devrons désormais vivre avec la volonté des électeurs américains pour un changement de direction et de politiques. Avec Trump, le libre-échange entre les Tres Amigos est devenu le pire traité commercial de l’histoire américaine, l’entente Asie-Pacifique, une mise aux enchères des entreprises américaines et l’entente éventuelle Europe–États-Unis, un canular, chacune de celles-ci faisant perdre des milliers d’emplois.

Il est facile de blâmer les autres quand on ne peut se réguler soi-même et lorsque les simples règles du commerce mondial ne permettent plus aux entreprises américaines de compétitionner sur la scène internationale. Donald Trump, le milliardaire qui ne paie pas d’impôt, l’équilibriste sachant contourner toutes les lois, est ainsi devenu un héros auprès de milliers de travailleurs, et ce, malgré ses frasques, simplement parce qu’il a ciblé les boucs émissaires responsables du déclin de la classe moyenne.

Qui plus est, il a réécrit l’histoire américaine durant toute sa campagne, allant jusqu’à accuser l’administration Obama des coûts de la guerre en Irak !

Il veut abolir l’Obamacare sans dire par quoi il le remplacera ou comment les coûts de la santé pourraient moins gruger le portefeuille des plus démunis. 

Comme pour bien des leaders de partis populistes, il a réussi à convaincre les travailleurs américains – surtout les hommes – de déserter le Parti démocrate. Malheureusement, les syndicats n’ont pu jouer le rôle de contrepoids face aux propos du candidat républicain, ayant perdu tout ascendant sur leurs membres, parce qu’incapables de maintenir leur niveau de vie et mener les luttes face à l’appétit du secteur privé. Ils devront en tirer les leçons. Trump a trouvé un filon lui permettant de devenir le grand défenseur d’une classe moyenne qui rêve encore et toujours de jours meilleurs.

Espoirs déçus

Hillary Clinton et le Parti démocrate auraient dû voguer vers une victoire convaincante. Depuis le New Deal de Roosevelt, ce parti pouvait rejoindre ceux qui avaient été heurtés de plein fouet par la crise économique. Le Parti démocrate avait emprunté les grands idéaux des républicains de la trempe d’Abraham Lincoln et avait fait sienne la quête d’une société plus juste. Il fallait unir tous les Américains sous un même drapeau, mais surtout favoriser la naissance d’une classe moyenne acquise aux grands projets du Parti démocrate.

L’administration de Bill Clinton avait poursuivi sur ces idéaux à un moment où la croissance économique était au rendez-vous et où le gouvernement américain pouvait rêver de créer un système de santé universel favorisant surtout les working poor – ceux qui travaillent et n’arrivent pas à joindre les deux bouts – et les familles monoparentales qui comptaient parmi elles les personnes les plus pauvres du début des années 90. Barack Obama avait promis un grand changement, mais manifestement, les Américains ont estimé qu’il n’a pu remplir ses promesses.

L’échec d’Hillary Clinton et du Parti démocrate lors de cette campagne s’explique en bonne partie par les attentes non comblées et l’espoir suscité par l’élection de Barack Obama en 2008.

La diminution des inégalités sociales est disparue du radar des politiques publiques, la colère et l’insatisfaction des électeurs ayant vite pris le dessus sur l’espoir du changement.

La candidature de Bernie Sanders, et son 43 % obtenu lors des primaires, représentait cet épiphénomène d’un ras-le-bol grandissant chez les démocrates qui, malgré toutes les bonnes intentions, n’ont pu mener à terme les réformes attendues. Le résultat serré de mardi soir traduit bien l’échec des démocrates à mobiliser son électorat traditionnel au cours de cette campagne. De nombreux électeurs ont douté de la capacité d’Hillary Clinton de pouvoir vraiment changer les choses.

Division et blâme

Aujourd’hui encore, au lendemain de cette longue campagne, Donald Trump demeure le symbole d’un Parti républicain incapable de redevenir un parti inclusif. Ils ont choisi le chemin de la division et du blâme facile envers tout ce qui n’est pas dans la mouvance de la défense des valeurs américaines, soit la liberté de commercer, la liberté de participer pleinement au processus démocratique et la liberté de choix.

Tout le monde a retenu son souffle. Il faudra le retenir encore pendant plusieurs mois et des années. La démocratie américaine sort grande perdante de cette course. Les démocrates auront sans doute quatre ans à réfléchir et à se redéfinir, alors que le Parti républicain aura à trouver les bonnes lignes pour un véritable changement et faire en sorte qu’il n’y ait pas de contrecoups chez les plus défavorisés de la société américaine.

* L’auteur est également secrétaire général de l’Association internationale de science politique.

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