Maurice Boucher 1953-2022

« Il aura fait verser du sang et de l’encre »

L’ancien Hells Angel a été terrassé par le cancer au pénitencier de Sainte-Anne-des-Plaines

L’une des figures marquantes de l’histoire criminelle du Québec et instigateur de l’un des conflits les plus meurtriers au Canada, l’ancien Hells Angel Maurice Boucher, est mort dimanche après-midi dans les installations pénitentiaires de Sainte-Anne-des-Plaines, a appris La Presse.

Boucher, 69 ans, souffrait d’un cancer de la gorge devenu généralisé. Le sexagénaire, qui était incarcéré à l’Unité spéciale de détention (USD) du pénitencier de Sainte-Anne-des-Plaines, au nord de Montréal, la seule unité super maximum au Canada – où sont incarcérés les criminels les plus dangereux du pays –, se savait gravement malade depuis quelques années, mais refusait tout traitement, selon nos sources.

Au cours des dernières semaines, il avait finalement accepté d’être transféré dans un hôpital régional aménagé sur les terrains des Services correctionnels du Canada, au pénitencier Archambault, à Sainte-Anne-des-Plaines, où il recevait des soins palliatifs depuis quelques jours.

Sa famille aurait été avisée, il y a quelques jours, que son état de santé se dégradait rapidement.

Le coroner a demandé à la Sûreté du Québec d’enquêter sur son décès même si tout démontre que la cause est naturelle.

Boucher purgeait depuis 22 ans une peine de prison à vie, sans possibilité de libération conditionnelle avant au moins 25 ans, pour les meurtres de deux gardiens de prison, Pierre Rondeau et Diane Lavigne, commis à la fin des années 1990, alors que la guerre des motards faisait rage au Québec.

Durant sa longue incarcération, Boucher ne s’était pas assagi, complotant notamment le meurtre du caïd Raynald Desjardins et prenant part à une attaque contre un codétenu en 2015, des crimes qui lui ont valu d’autres condamnations qui se sont ajoutées à sa longue peine.

« C’est une page de l’histoire sombre du crime organisé qui se tourne aujourd’hui », a déclaré à La Presse l’ancien expert des motards à la Sûreté du Québec et député de Chomedey Guy Ouellette.

« Mes premières pensées vont à la gardienne de prison Mme Diane Lavigne. Cela a fait 25 ans qu’elle a été tuée il y a 10 jours, le jour même où Maurice Boucher aurait pu être admissible à une libération conditionnelle. Je serais surpris qu’il y ait beaucoup de motards à ses funérailles », a ajouté M. Ouellette qui, avec le journaliste Norman Lester, avait écrit un livre sur Maurice Boucher qui sera bientôt réimprimé.

« Il aura fait verser du sang et de l’encre, mais ma seule pensée aujourd’hui est pour toutes ses victimes », a déclaré Michel Tremblay, ancien enquêteur des Crimes majeurs du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et membre de la fameuse escouade Carcajou par laquelle la police a démantelé les Hells Angels Nomads et leur club-école des Rockers de Montréal vers la fin de la guerre des motards.

« La loi antigang, c’est le cadeau et l’héritage laissé par Maurice Boucher au crime organisé. C’est la raison pour laquelle plusieurs motards lui en voulaient. Il n’avait plus de leadership après sa condamnation. Je crois qu’il a voulu redorer son blason en complotant le meurtre de Raynald Desjardins. Un Hells Angel avait déjà dit de lui qu’il était l’homme le plus dangereux qu’il ait connu », a réagi l’ancien journaliste aux affaires criminelles de La Presse André Cédilot.

« À partir du moment où il a été condamné, le nom de Maurice Boucher n’existait plus sur l’asphalte. Beaucoup de Hells Angels, actuels et anciens, lui en ont beaucoup voulu, ont payé la note et ont fait du temps à cause de lui », a renchéri le journaliste Claude Poirier, qui dit avoir rencontré Maurice Boucher une vingtaine de fois dans sa carrière.

« On savait qu’il ne sortirait plus de prison, sauf les deux pieds devant. »

— Claude Poirier, journaliste

« Pour le cancer, peu importe si tu as porté des patchs ou non. Quand il a été condamné pour les meurtres des gardiens de prison, tout le monde disait qu’il allait mourir en prison. C’est maintenant un fait », a pour sa part déclaré le journaliste aux affaires criminelles du quotidien The Gazette Paul Cherry, qui a écrit un livre sur les superprocès du début des années 2000.

Instigateur d’une guerre sanglante

Né en juin 1953 à Causapscal, dans le Bas-Saint-Laurent, Maurice Boucher était très jeune lorsque lui et sa famille se sont établis à Montréal.

Sa carrière criminelle a débuté 20 ans plus tard, en 1973, avec une affaire de vol.

Durant les années 1980, il avait notamment été condamné à 23 mois d’emprisonnement pour des vols et pour une affaire d’agression sexuelle armée commise contre une adolescente.

Boucher avait également des antécédents de possession d’arme.

D’abord membre des SS, défunt groupe de motards installé dans le quartier Pointe-aux-Trembles, dans l’est de Montréal, Boucher était devenu en 1987 membre des Hells Angels de la section de Montréal, alors établie à Sorel.

Au milieu des années 1990, Boucher avait cofondé la section des Hells Angels Nomads, composée d’une « table » d’importateurs de cocaïne, dont le but était de prendre le contrôle de la distribution et de la vente de cette drogue à Montréal et au Québec.

Mais les membres du club de motards Rock Machine et leurs alliés composés de clans familiaux et de trafiquants indépendants n’entendaient pas se laisser faire. C’est ainsi qu’a débuté en 1994 une guerre qui a duré 8 ans et fait 160 morts, dont une vingtaine d’innocentes victimes, et autant de blessés.

En 1997, les Hells Angels ont tué deux gardiens de prison, Pierre Rondeau et Diane Lavigne, et en ont blessé un autre, Robert Corriveau, vraisemblablement pour s’assurer de la loyauté des tueurs et pour déstabiliser la justice au Québec.

L’année suivante, Maurice Boucher avait été arrêté et accusé des deux meurtres et de la tentative de meurtre.

Il avait eu un procès, mais avait été acquitté. Il était sorti triomphant du palais de justice de Montréal, escorté par des motards, et avait assisté le soir même à un gala de boxe au Centre Molson, où il avait même été applaudi par des spectateurs.

Le 28 mars 2001, les membres de l’escouade Carcajou ont mené l’opération Printemps 2001 et démantelé les Nomads et leur club-école le plus actif, les Rockers.

Mais lors de la frappe, Boucher était déjà en prison parce que la Cour d’appel avait cassé le verdict de non-culpabilité pour les meurtres des gardiens de prison prononcé à son endroit.

Le motard avait eu en 2002 un deuxième procès à l’issue duquel il avait été reconnu coupable des meurtres et condamné à la prison à perpétuité, grâce notamment au témoignage de l’un des tueurs, Stéphane Godasse Gagné, devenu témoin repenti.

Durant la guerre des motards, et après son acquittement à l’issue de son premier procès, Maurice Boucher était régulièrement vu prenant un café à la Place Versailles, près de l’ascenseur menant aux bureaux des enquêtes spécialisées du SPVM, pour narguer les policiers, disaient certains d’entre eux aujourd’hui retraités.

Pendant la guerre, Boucher avait un contrat sur sa tête et avait été suivi par le tueur à gages Gérald Gallant, qui n’avait toutefois jamais été en mesure de remplir sa mission.

Durant sa longue incarcération, Boucher avait été victime de quelques attaques de codétenus, notamment une à coups de pics artisanaux survenue dans la cour du pénitencier de Sainte-Anne-des-Plaines, en octobre 2010.

Quatre ans plus tard, Le Journal de Montréal avait révélé que Boucher avait été expulsé des rangs des Hells Angels.

Cette expulsion ne l’avait toutefois pas empêché de continuer de recevoir de l’argent de fidèles, provenant de la vente de stupéfiants, 4000 $ par mois selon la preuve obtenue durant l’enquête Magot-Mastiff, par laquelle la Sûreté du Québec a démantelé en novembre 2015 une alliance motards-mafia-gang qui dirigeait le crime organisé montréalais.

Durant l’enquête, les policiers avaient découvert que Boucher, sa fille Alexandra Mongeau et le chef de gang Gregory Woolley avaient comploté pour faire assassiner le caïd Raynald Desjardins.

Boucher avait été arrêté et accusé pour ce complot. Il avait plaidé coupable et été condamné à une peine de dix ans supplémentaires.

En le condamnant en 2018, le juge Éric Downs, de la Cour supérieure, avait déclaré que cette affaire démontrait que Boucher n’était pas sur la voie de la réhabilitation.

En 2015, Boucher avait également été arrêté pour avoir attaqué un codétenu à coups de pic et avait été condamné à une autre peine de deux ans en 2019.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.

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