À ma manière

Le thé venu du froid

TeaTaxi, une toute jeune entreprise d’Amos, vend du thé dans 280 points de vente au Québec. Pourquoi Amos ? Parce qu’il n’y avait pas de thé. Histoire d’un paradoxe.

Il n’y avait pas de boutique de thé en Abitibi.

En 2013, Simon Letendre et Dave Tremblay avaient voulu ouvrir la première, mais les deux principales chaînes leur ont fermé la porte. « Ils n’offraient pas le franchisage », explique Dave Tremblay, directeur général de TeaTaxi.

Pas de thé ? Le refus qu’ils essuient ne les refroidit pas. Qu’à cela ne tienne, les deux trentenaires réinventeront plutôt le principe.

À LEUR MANIÈRE

« Il y avait déjà de gros joueurs, et plusieurs autres qui essayaient de faire comme les gros joueurs, narre Dave Tremblay. Nous, on s’y est attaqués avec notre concept. »

Plutôt que d’ouvrir eux-mêmes des boutiques, ils proposeraient aux commerçants un comptoir où les clients, servis par un employé du commerce, pourraient choisir un thé parmi 40 mélanges en vrac.

Une boutique dans la boutique, en quelque sorte.

Un designer industriel leur conçoit un long buffet en stratifié blanc, surmonté de rayons où logent les boîtes de thé. Une balance numérique communique au siège social d’Amos les transactions réalisées. « C’est la beauté de la chose : on passe beaucoup moins de temps à faire des commandes ou à faire l’inventaire. On se concentre à donner l’expérience aux clients. »

Ils le nomment en conséquence : le concept Expérience.

Et en effet, ils allaient apprendre beaucoup avec l’Expérience.

CONCEPT EXPÉRIENCE

Le 10 décembre 2013, le premier comptoir était installé à Val-d’Or.

Un an plus tard, l’entreprise comptait 27 points de vente dans 25 villes.

Cependant, quelques réticences s’étaient fait jour.

« Premièrement, il y avait un coût, parce qu’on vendait le meuble avec le concept. » TeaTaxi visait jusqu’alors les petites boutiques d’accessoires de cuisine et de cadeaux, peu enclines à investir.

« La deuxième problématique, c’est que notre meuble a 80 pouces de long » – l’équivalent d’un éléphant blanc dans une boutique de porcelaine.

Troisième élément, plusieurs commerçants comprennent mal ce concept clés en main.

« On s’est dit : OK !, on va bâtir quelque chose, qui va être un concept express. »

Tout aussi conséquemment, ils l’appellent Concept Express.

CONCEPT EXPRESS

Leur designer commence la conception d’un présentoir étroit, qui montre 12 échantillons de thés sur un haut dosseret, et accueille les sachets préemballés dans un damier de 12 cases correspondantes.

Ils déplacent aussi leur marché cible : désormais, ils s’adresseraient en priorité aux pharmacies, question de s’approcher de la clientèle. « On peut toucher à plus de clients, de telle sorte qu’on devient vraiment une entreprise de proximité », explique Dave Tremblay.

La stratégie semble bien fondée. Reste un détail : convaincre les pharmaciens.

UNE PREMIÈRE GOUTTE…

Ils mettent l’agence manufacturière 2L sur la piste. L’offensive commence en décembre 2014. « Avec la présidente de 2L, je suis allé au siège social de Brunet. Je suis arrivé là très simplement, tout bonnement, avec mon ordinateur et quelques produits. »

Les gens de Brunet goûtent fort le concept et autorisent un test de marché. Un comptoir Expérience est installé dans une succursale de Granby.

Le test est concluant : TeaTaxi est invitée à présenter son concept au salon de la chaîne, qui se tiendra en juin suivant.

DÉBOUCHÉS

Toujours en décembre 2014, Dave Tremblay rencontre des responsables de la chaîne Jean Coutu. Cette fois, l’accueil est plus tiède. Le thé les intéresse, mais il est servi sur un comptoir trop imposant.

« Je leur ai dit que j’allais revenir avec quelque chose de plus intéressant. »

Début janvier 2015, il est de retour avec des images du présentoir Express, en cours de conception. « Ils m’ont dit : ça, c’est le concept qu’il nous faut ! »

À la mi-mars, le premier prototype est installé dans une succursale Jean Coutu.

Puis, tout déboule.

Une administratrice de FamiliPrix repère l’étalage dans la succursale de son concurrent. « On était en train de dîner avec l’agence 2L quand on a reçu son appel. »

TeaTaxi est conviée au salon de la chaîne, tenu à peine trois semaines plus tard. Ils réussissent de justesse à préparer leur matériel et ils y concrétisent près de 70 ventes.

En juin, le salon de Jean Coutu procure à son tour une centaine d’ententes. Puis, celui de Brunet débouche sur 40 autres.

DÉBORDEMENT D’ENTHOUSIASME

Été 2015. Le carnet de commandes déborde. Le manque de liquidités risque de mettre l’entreprise théière dans l’eau bouillante.

Tremblay et Letendre font appel à toute la panoplie du soutien financier : SADC, CLD, Investissement Québec, Développement économique Canada…

« Ils nous ont aidés à passer à travers. »

Autre problème, l’entrepôt de TeaTaxi est situé à Amos. « Amos, Abitibi-Témiscamingue, précise Dave Tremblay. C’est loin. »

C’est à partir de cette sympathique mais nordique ville que sont approvisionnés les 280 points de vente. Durant la première année, ils conduisent de nombreux tests de livraison : ils essaient l’autocar, puis divers services de messagerie. Ils en retiennent un.

« Avec le volume qu’on a été capables d’atteindre aujourd’hui, on a probablement les mêmes prix que si on avait été basés à Montréal. La distance n’est plus un enjeu. »

— Dave Tremblay

AUJOURD’HUI AMOS, DEMAIN…

L’entreprise de 18 employés entreprend cette semaine un test de six mois dans neuf pharmacies de la chaîne Pharmaprix, version québécoise de Shoppers Drug Mart.

« Si on atteint nos objectifs dans les Pharmaprix, on va entrer probablement dans plus de 500 points de vente au Canada », soutient Tremblay.

L’été dernier, ils ont été guidés à New York par la Délégation générale du Québec. « On a déjà quelques pourparlers de ce côté. »

En mars prochain, à l’invitation de la Fondation de l’entrepreneurship, il se rendra en France présenter le concept TeaTaxi.

L’entreprise d’Amos finira peut-être par vendre du thé en Chine.

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