Opinion : Direction du PCC

« Good luck, Mister »

C’était la manchette du Journal de Montréal au lendemain de l’annonce par Peter MacKay qu’il se lançait dans la campagne pour la direction du Parti conservateur, en référence à l’état pitoyable de son français. « J’ai sera candidate », avait-il déclaré, avec l’aide d’un téléprompteur en plus… Pas le meilleur départ qu’on souhaiterait, particulièrement pour un ancien chef de parti et ministre fédéral qui a eu maintes occasions d’améliorer ses compétences dans la langue de Molière. 

Heureusement pour MacKay – mais malheureusement pour son parti –, la plupart de ses adversaires n’ont pas un bien meilleur français. Erin O’Toole a critiqué l’état du français de MacKay, mais dans sa propre vidéo de lancement de campagne, il utilisait un français qui, ma foi, n’est pas tellement plus doux à l’oreille. De son côté, la candidate Marilyn Gladu se décrit sur LinkedIn comme ayant une « compétence professionnelle limitée » en matière de français. Le député Derek Sloan, lui, semble unilingue. Seul l’homme d’affaires Rick Peterson, candidat à la direction en 2017, se décrit comme parfaitement bilingue. Et puis, il y a Richard Décarie. Certes, il parle français, mais ce qu’il dit est tellement offensant dans les deux langues que ses chances de remporter le concours sont à peu près nulles.

Au Canada français, on se demande comment ces gens-là peuvent bien représenter un pays comme le Canada quand 7,3 millions des citoyens possèdent le français comme langue maternelle.

Près de 18 % des citoyens se disent bilingues, dont l’histoire est profondément enracinée dans le fait francophone. Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a tweeté à ce propos qu’« une langue n’est pas un assemblage approximatif de mots et de sons. Ce niveau convient au tourisme ». La chroniqueuse Chantal Hébert a ajouté, toujours à propos du lancement de campagne de MacKay, qu’il était « bien difficile de faire une seconde bonne première impression » (« Very hard to make a good second first impression »).

Mais au Canada anglais, un autre débat se dessine : certains se demandent s’il est vraiment nécessaire d’être bilingue pour devenir premier ministre. L’ancien rédacteur du National Post, Ken Whyte, conseille aux conservateurs de ne pas s’en soucier, car pour lui « le Québec n’est pas attiré par des leaders bilingues provenant d’en dehors du Québec ». La députée conservatrice Michelle Garner Rempel, elle, déplore que « tout le débat tourne autour de la langue française » aux dépens des besoins de l’Ouest canadien.

En riposte, l’animateur de radio Charles Adler a dit croire que « le français signifie beaucoup plus pour les Canadiens francophones que l’anglais pour les anglophones. Le français fait partie de leur identité. C’est personnel ». Même Rosemary Barton, l’analyste politique en chef de la CBC, a écrit : « Choisir de représenter des personnes dans la vie publique devrait inclure de travailler dur pour les comprendre dans leurs propres termes, pour reconnaître leur importance en tant qu’individus et en tant que membres d’une culture vivante. C’est ça le leadership ! » Et l’ancien commissaire aux langues officielles Graham Fraser a résumé sa position en affirmant qu’il n’y a qu’un mot pour définir les chefs de parti unilingues, et c’est loser.

Alors, le bilinguisme, un prérequis ou pas ? La réponse courte est : oui. Pas simplement à cause de l’histoire, de la géographie, des institutions et de la tradition. Pas seulement parce que le Canada a un pied dans le Commonwealth et l’autre dans la Francophonie. Et pas seulement parce que le premier ministre doit pouvoir parler à un électorat francophone s’il veut gagner ses votes – et les sièges qui viennent avec.

Non, le premier ministre doit être bilingue parce qu’il ou elle doit pouvoir écouter ces électeurs. Écouter et comprendre les enjeux qui sont uniques – oserions-nous dire distincts ? – au Canada français. Pour se connecter avec les électeurs, et non pas pour le gain, mais pour qu’ils se sentent compris, et ainsi encourager un esprit d’unité plutôt que d’adversité. Et parfois même pour pouvoir prendre les bonnes décisions politiques.

On trouve un exemple parfait de cela en Ontario. La semaine dernière, le gouvernement ontarien a signé une entente avec Ottawa pour financer une nouvelle université de langue française à Toronto. Cela représentait un revirement complet face à la décision du gouvernement de l’Ontario en 2018 de débrancher le projet d’école, qui était sur le point d’ouvrir en 2022. Cette décision a généré une énorme mobilisation de la part de la communauté francophone dans la province et a même provoqué la démission de la députée conservatrice Amanda Simard du caucus de son parti. À l’époque, le gouvernement Ford, et le premier ministre Doug Ford en particulier, semblait tout à fait immobile sur la question, bien que la ministre des Affaires francophones, Caroline Mulroney, semblait visiblement peinée chaque fois qu’elle devait défendre la décision.

La semaine dernière, cependant, elle était tout sourire, quand elle et son homologue fédérale Mélanie Joly ont signé l’accord de financement qui a remis l’université sur la bonne voie. Et ce n’est pas étonnant : Mulroney, qui est bilingue, a sans aucun doute compris l’importance du projet, non seulement pour la communauté francophone de l’Ontario, et non seulement sur le plan linguistique, mais aussi sur les plans culturel, social et économique.

Peut-être que s’il y avait eu plus de voix francophones à la table du cabinet de Ford, toute cette situation aurait été évitée.

Peut-être que si Ford lui-même avait pu écouter les voix des francophones avant qu’elles ne descendent dans la rue, il aurait mieux compris pourquoi le projet était si crucial pour cette communauté.

La langue ne consiste pas seulement à prononcer des mots ou même à saisir leur sens. Elle sert à se connecter. À une époque où de plus en plus de citoyens se sentent déconnectés du processus politique, les conservateurs auraient intérêt à s’en souvenir.

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