Chronique

La Grande Séduction à Saint-Ubalde

Rue Saint-Paul, à Saint-Ubalde, il y a une jolie maison en face de l’église avec une affiche qui dit « Bienvenue aux réfugiés ! » et une banderole multicolore qui flotte au vent. Autour, un petit village au grand cœur qui attend avec impatience une famille de Syriens qui n’arrive pas.

« Les gens ont tellement hâte. D’après moi, on va dérouler le tapis rouge ! Et nos Syriens vont être sur un nuage quand ils vont arriver à Saint-Ubalde ! », me dit avec enthousiasme Loraine Denis, membre du comité de parrainage du village.

Saint-Ubalde est un village de 1400 habitants entre Québec et Trois-Rivières. « Pourquoi on n’accueillerait pas une famille syrienne ? »

C’est Gilles Pellerin, le diacre du village, qui a eu l’idée un jour de novembre 2015. Il avait vu passer un message du pape invitant chaque paroisse à accueillir une famille de réfugiés syriens. Il se souvenait que Saint-Ubalde avait déjà accueilli une famille de Cambodgiens dans les années 80. L’expérience avait été heureuse. L’an dernier, quand Céline Gingras, la dame du village qui avait accueilli la famille, est décédée, une réfugiée cambodgienne devenue citoyenne à part entière a tenu à venir livrer un témoignage à sa mémoire. « C’était un témoignage très touchant. On a vu la différence que ça fait dans la vie des gens. »

« Dans le fond, on leur donne une nouvelle vie. On remet au monde dans un nouveau pays des gens qui n’ont plus de pays, qui n’ont plus rien. Si on était dans la même situation, on aimerait bien qu’on nous aide. »

— Gilles Pellerin, le diacre du village

Très vite, un comité de parrainage de 12 personnes a été mis sur pied à Saint-Ubalde. Pour s’assurer de bien faire les choses, on a consulté le Comité d’accueil de la paroisse Saint-Louis-Saint-Yves, un groupe de la région de Québec qui accueille des réfugiés depuis plus de 30 ans. Toute la communauté était très enthousiaste. « C’est la première fois que je travaille dans un dossier où les gens courent après moi pour faire partie d’un projet ! », raconte Gilles Pellerin.

La priorité, c’était de trouver une maison pour accueillir les Syriens. Loraine en a parlé à Margot Moisan, une dame de 80 ans qui avait une maison à louer au cœur du village. « Margot, il n’y a personne dans ta maison… Est-ce que tu nous la prêterais pour nos Syriens ? »

Margot n’a pas hésité. « C’est la maison de mes parents. Elle est tout plein de souvenirs. Mais depuis deux ans, elle était vide. Si ça peut servir, je serais bien contente ! »

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Le gouvernement Trudeau s’étant engagé à accueillir 25 000 réfugiés syriens d’ici la fin du mois de février, les gens de Saint-Ubalde avaient espoir que leur famille syrienne arrive au pays très rapidement. Ils ont mis les bouchées doubles pour s’assurer que la maison de Margot soit prête pour les accueillir. Ils ont organisé des activités de financement. Ils ont obtenu l’appui de la municipalité. Ils ont recueilli plus de 13 000 $ pour subvenir aux besoins de la famille pendant un an. Ils ont fait des démarches pour s’assurer d’obtenir des services de francisation. Ils ont organisé des cafés-rencontres pour mieux faire connaître leur projet.

Ils ont fait un grand ménage dans la maison. Ils ont lavé les vitres. Ils ont recueilli des électroménagers, des meubles, de la vaisselle, de la literie, des vêtements… Ils ont même lancé un appel pour trouver des chansons québécoises à faire écouter à tout prix aux réfugiés syriens.

En janvier, ils ont pu mettre des visages et des noms sur leur projet. Ils avaient été jumelés à une famille chrétienne de Damas, par l’intermédiaire de jésuites à Beyrouth. Le comité a annoncé la nouvelle au village comme on annonce une naissance. « Oyez ! Oyez ! ! ! ! Nous avons l’immense plaisir de vous informer que nous recevrons, d’ici la fin du mois de février, la famille tant attendue ! ! ! Nous accueillerons un homme de 32 ans et sa femme de 27 ans ainsi que leur petite fille de 4 mois ! ! ! Lui, Hani, est vendeur et parle arabe et un peu anglais ! Elle, Evlin, a une formation en journalisme et parle arabe, anglais et un peu français ! ! ! Leur petite fille se prénomme Lamitta. »

Ils ont mis leurs photos sur le frigo. Une banderole devant la maison. Ils ont organisé une journée « portes ouvertes » après la messe pour que les gens puissent venir voir comment la maison de Margot avait été aménagée pour accueillir les Syriens. Margot n’en revenait pas. « C’est tout beau, tout bien placé. C’est plus beau que quand j’étais là… S’ils peuvent venir ! »

Les Syriens attendus à Saint-Ubalde n’ont pas eu la chance de se retrouver parmi les 25 000 réfugiés accueillis l’hiver dernier. Depuis, le parrainage privé se fait au compte-gouttes. « Ils ont hâte de s’en venir, dit Gilles Pellerin. Mais ça ne dépend pas d’eux autres. On attend après l’Immigration. »

Michelle Dupéré, enseignante à l’école du village, espère non seulement qu’ils viendront, mais qu’ils voudront rester à Saint-Ubalde plus qu’un an. Elle s’est portée volontaire pour leur enseigner le français s’ils arrivent durant l’été et qu’aucun autre enseignant n’est disponible. Elle voit dans l’accueil des réfugiés une façon de contrer la dévitalisation de son village. « En se croisant les doigts, on souhaite qu’ils prennent racine. Si on arrive à aller chercher un petit plus, c’est peut-être ça qui va leur permettre de prendre goût à la vie culturelle de la place. »

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La neige a fondu. Pas de Syriens. Le printemps est arrivé. Toujours pas de Syriens. Les gens de Saint-Ubalde pensaient devoir apprivoiser des réfugiés. Mais ils apprennent avant tout à apprivoiser l’attente.

Un comité d’accueil aux réfugiés du village de Saint-Raymond, à 60 km de Saint-Ubalde, qui devait parrainer un membre de la même famille, a annoncé à regret récemment qu’il devait abandonner son projet. « À tort ou à raison, nous n’avons pas senti le support des gens d’ici relativement à ce projet », a dit le président du comité lors d’un point de presse, le 11 mai. « On a entendu beaucoup de manifestations de peur face à la venue chez nous de réfugiés. »

Le fait de devoir payer un loyer en attendant les réfugiés a aussi compliqué les choses. Ailleurs au pays, des gens qui ont décidé de parrainer des Syriens ont englouti des milliers de dollars pour le loyer de logements qui restent vides, en raison des délais imposés par Immigration Canada dans le traitement des demandes.

Pressé par des parrains déçus, le ministre John McCallum a dit il y a deux semaines que des ressources supplémentaires ont été déployées pour accélérer les choses. En principe, les parrains qui ont déposé une demande avant le 31 mars 2016 devraient pouvoir accueillir leurs réfugiés d’ici la fin de 2016 ou au début de 2017.

« Je suis probablement le seul ministre de l’Immigration au monde dont le plus gros problème est l’incapacité d’offrir suffisamment d’aide pour satisfaire la générosité du public », a déclaré le ministre, en disant comprendre l’impatience des parrains.

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À Saint-Ubalde, pas question d’abandonner, même si l’attente devient désespérante. L’opération « Grande Séduction » se poursuit. « Des préjugés, il y en a chez nous comme il y en a partout, dit Loraine. Mais il y a aussi une tradition d’ouverture. » Et puis, grâce à la générosité de Margot qui prête sa maison, on a la chance de ne pas avoir à se soucier du loyer.

Nous voilà donc en mai. Et Saint-Ubalde attend, attend et attend encore…

Les saisons passent, la bonté reste. La maison est de plus en plus belle.

« On a fait le ménage en janvier. On a fait le ménage du printemps. D’après moi, on va ramasser les feuilles ! (rires) »

— Loraine Denis, membre du comité de parrainage

Le comité aimerait bien que les choses bougent. « On est toujours enthousiastes. Mais ils n’arrivent pas ! Et là, pour le bébé de 8 mois… On a bien ri. On a amassé des vêtements. Un membre de notre comité a dit : “Ben là ! Ça ne fait plus ! Il va habiller un an !” »

Le village ne sait plus quoi faire pour tromper l’attente. « On s’occupe avec toutes sortes de projets », dit Michelle Dupéré. Avec ses élèves, elle a organisé des activités pour préparer l’arrivée des Syriens. Ils ont récolté des jouets pour le bébé.

Bref, si la tendance se maintient, ces Syriens seront accueillis comme des rois. Aux dernières nouvelles, la pelouse a été tondue. Les vitres ont été lavées encore. Et Réginald, autre valeureux membre du comité de parrainage, a même décidé de peinturer le poteau de la corde à linge. « Ça commence à ressembler à un mari qui attend que sa femme accouche ! »

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