Opinion

Pour en finir avec la ségrégation scolaire

Il y a quelque chose de pourri au royaume de l’éducation au Québec. Plusieurs d’entre nous viennent de se taper le cirque des examens pour que leurs enfants soient admis dans une école privée ou un programme spécial d’une école publique que font nombre de jeunes et de parents dans les premières semaines de la sixième année du primaire. Et ils en sont sortis épuisés, dégoûtés et découragés.

Certains enfants ont fait jusqu’à cinq examens. Ça t’occupe un automne, ça ! Plusieurs examens duraient près de quatre heures en tout ! En attendant nos rejetons dans le gymnase de l’école, nous avons écouté des parents parler de leur stress, de leur peur que leur enfant soit obligé d’aller au « public régulier », perçu désormais comme la pire des solutions. 

Avant, les enfants qui allaient dans un programme particulier étaient l’exception. Désormais, c’est le contraire. 

Nous avons vu des enfants sortir en larmes d’un examen qui leur avait paru trop difficile. D’autres, pleurer parce qu’ils n’avaient pas été admis dans le programme « où c’est si facile d’être accepté ». On a aussi vu dans les jours qui ont suivi les examens des parents pleurer, cherchant comment annoncer la « nouvelle » à leur enfant : « Tu devras aller au régulier… », malheureusement de plus en plus perçu, par les parents comme par les enfants, comme étant un repaire des « plus poches parmi les poches ».

Nous avons entendu des « Quand ma fille a vu les locaux de telle école, elle a voulu à tout prix y aller » en parlant, bien sûr, d’une école privée. « Il y avait de grandes fenêtres, un coin avec un sofa, le labo de science est si bien équipé. » Etc. Tout ça avec l’argent des contribuables. Mais ceux qui envoient leur enfant au public, par conviction ou manque de ressources, ils payent aussi pour le coin sofa chauffé au soleil dans lequel leur enfant ne pourra jamais se reposer pendant sa pause avant d’aller faire du théâtre sur une grande scène avec éclairage high-tech et rideaux en velours… Alors, certains qui étaient persuadés qu’ils enverraient leur enfant au public pour toute la durée de ses études hésitent maintenant, après avoir vu les étoiles dans les yeux de leur progéniture à la visite d’une école privée.

Nous avons entendu un enseignant de sixième dire que ses élèves passaient les mois de septembre et octobre épuisés et stressés. « Ils veulent tellement faire plaisir à leurs parents. Et pour certains parents, le bonheur passe par le collège privé » a-t-il ajouté, découragé.

Alors, quelqu’un peut-il nous expliquer une fois pour toutes la logique derrière ce système où il manque cruellement d’argent dans le système public, où les écoles s’effondrent, sont de véritables cultures de champignons, où on ne peut presque plus se payer de psychologue, d’orthophoniste, et ainsi de suite, mais où on subventionne à hauteur de 60 ou 75 % (selon les sources) les écoles privées ? 

Un système où, à cause de la « fuite de cerveaux » vers le privé, les écoles publiques sont obligées de rivaliser d’originalité avec des programmes intéressants, certes, mais pas inclusifs. Et surtout, pourquoi les politiciens n’abordent presque jamais ce sujet crucial ? Cet éléphant dans la pièce, comme l’écrivait Josée Legault dans un article. (D’ailleurs, nous aimerions savoir combien parmi eux envoient leurs enfants au système public.)

D’après ce que nous avons compris, les subventions aux écoles privées devaient être une mesure temporaire pour accommoder les communautés religieuses qui craignaient qu’on ne déserte leurs établissements après le rapport Parent. Cinquante ans plus tard, la mesure semble devenue permanente.

Nous comprenons que si d’un coup, une bonne partie des élèves du privé devait être transférée au public, on se retrouverait avec un manque de locaux et un gros casse-tête à gérer. Mais doit-on reculer chaque fois que l’on se retrouve devant un problème auquel il n’existe pas de solution facile ? 

L’éducation publique n’est-elle pas un enjeu qui mérite qu’on se casse un peu la tête ?

Certains de nos enfants ont été admis dans le programme ou l’école de leurs rêves. D’autres figurent sur la liste d’attente. D’autres n’ont pas été admis et vivent très bien avec cela. Et, malheureusement, certains ont été refusés et en sont bouleversés. Quoi qu’il en soit, ceux d’entre nous qui viennent de la vivre sont ressortis meurtris de cette épreuve des examens d’entrée au secondaire, tout en étant conscients du fait qu’ils ont accepté de jouer un jeu dans lequel ils auraient pu refuser d’embarquer.

Nous considérons que ce système accentue les inégalités sociales et que les valeurs d’un Québec ouvert et multiculturel ne peuvent pas exister au sein d’un tel système à deux vitesses. Et nous promettons de voter pour le prochain politicien qui ouvrira ce dossier.

* Madeleine Allard, Philippe Axelsen, Hélène Belleau, Sylvie Bernaquez, Laurence Bherer, Patricia Boissonneault, Mireille Brullemans, Michelle Castonguay, Laurence Charton, Peter Clibbon, Sophie Doucet, Pascale Dufour, Geneviève Guérin, Nadine Guesdon, Geneviève Henry, Bruno Huissoud, Sébastien Huot, Paul Kunigis, Catherine Lachance, Catherine Laplante, Delphine Lobet, Vincent Magnat, Sophie Mankowski, Alexis Miara, Raquel Munoz, Frédérique Normand, Pascal Patenaude, Isabelle Roy, Estelle Schmitt, Sophie Vajda, Marie Vanbremeersch et Benoit Vermeulen.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.