Chronique

La plume du publicitaire

Je ne connais pas David Desjardins, mais je lisais régulièrement ses chroniques. D’abord dans Voir, où il a fait ses débuts à Québec, puis au Devoir et à L’actualité. Il avait – et il a toujours – une très belle plume : élégante, inspirée, riche en métaphores, mêlant avec bonheur l’atmosphérique et le philosophique.

C’est sa plume et cette petite musique personnelle et si rare qui m’ont attirée et séduite chez David Desjardins. Mais c’est ce qu’il disait qui m’a retenue et fait revenir semaine après semaine vers sa chronique.

Ne le connaissant pas, je m’étais construit une image mentale de sa personne : un trentenaire idéaliste, issu de la gauche bienveillante, légèrement désenchanté par son époque, tentant de s’y faire malgré tout une place, mais honnêtement, avec un esprit critique aiguisé.

Je le sentais proche de la simplicité volontaire, anti-consommation, anti-pollution, pédalant libre et souverain avec son vieux vélo dans les chemins de traverse. Et quand il écrivait qu’il se sentait « sacrifié sur l’autel de la politique qui roucoule des slogans pour mieux nous vendre le produit dont les experts espèrent qu’il nous passionnera, exactement comme on vend des chips, du yogourt ou du papier cul », je le croyais.

Je croyais qu’il n’aimait pas les marchands du temple, ni ceux de la pub qui vendent de vieux rêves frelatés à coup de savantes stratégies de marketing. S’il y en avait un qui se foutait éperdument des stratégies, des stratagèmes et des calculs épiciers, c’était bien lui.

Voilà ce que je me disais à son sujet en le lisant, lui apposant, dans mon inconscient de lecteur, un sceau de fraîcheur et de crédibilité.

Inutile de dire qu’en apprenant cette semaine que David Desjardins avait fondé sa propre agence de marketing de contenu il y a un an, je ne suis pas seulement tombée en bas de ma chaise, j’ai été déçue.

La lectrice en moi s’est sentie trahie. Comme si Desjardins avait abusé de ma confiance. Comme si j’avais lu quelqu’un faisant semblant de se livrer entièrement alors qu’il occultait une partie importante de sa personne. Mais ça, je le répète, c’est la lectrice qui parle.

Quant à la journaliste que je suis aussi et qui, en principe, pratique le même métier que Desjardins, elle s’est d’abord sentie coupable. Coupable de juger un pigiste qui peine à gagner sa vie avec des cachets de crève-faim. Pigiste qui n’a pas le luxe d’une job à temps plein, ni le privilège d’un statut de salarié et de syndiqué comme moi et qui n’aura jamais connu l’époque bénie où les journaux étaient des auberges espagnoles et où les jeunes journalistes avaient le choix des armes et des salles de rédaction.

Que David Desjardins se soit tourné vers le marketing pour gagner sa vie et payer ses pneus d’hiver, comme il l’a expliqué, je trouve cela navrant – le gaspillage d’un beau talent –, mais je le comprends aisément. Sauf qu’il aurait dû l’annoncer haut et fort à ses lecteurs. Pas en une phrase sur LinkedIn. L’annoncer au pied de chacune de ses chroniques pour qu’on sache à qui on avait affaire. Mais surtout, il aurait dû comprendre que la pub et le marketing ne sont pas compatibles avec le journalisme. Ce sont deux camps, toujours opposés, parfois ennemis. Et en journalisme, un conflit d’intérêts ou une apparence de conflit d’intérêts, c’est du pareil au même, sans égard à la pureté ou à l’intégrité du contrevenant.

Mais cela, je ne suis pas convaincue que Desjardins, qui a perdu sa tribune dans Le Devoir, le comprenne.

Dans sa chronique d’adieu au Devoir publiée ironiquement sur Facebook, il écrit en effet que le marketing de contenu ressemble beaucoup aux médias (traditionnels) et que la seule différence, c’est les bailleurs de fonds : un seul pour le marketing, plusieurs annonceurs pour les médias traditionnels. Disant cela, il participe à une dérive typique de l’époque et qui, à mon avis, torpille la fonction même du journalisme.

Ne voit-il pas la différence énorme entre écrire sur commande pour un client et faire de l’information, en principe indépendante et nullement soumise à la défense d’un intérêt, sinon celui de la démocratie ? Ne sait-il pas que les journalistes d’une salle de rédaction ne traitent jamais, jamais, avec les annonceurs ? Qu’il y a un mur étanche, un pare-feu entre les deux ?

Quand il écrit qu’il rédigeait un blogue santé pour le Groupe Cossette, « projet qui est au moins aussi bon que n’importe quel magazine sur le sujet », il dit dans le fond que la pub et l’information, c’est du pareil au même. Tout le monde a quelque chose à vendre, non ?

Eh bien non. La publicité est un monde, le journalisme, un autre. Et même si les journaux sont des entreprises qui veulent vendre de la copie, les journalistes n’ont pas à se soucier de cet aspect-là. Leur rôle, c’est de rendre compte des réalités de leur société sans biais, ni prérogatives, ni contrat les liant à un marchand de vélos ou à un vendeur de condos.

J’aimais beaucoup lire David Desjardins. J’espère le lire encore. Pas dans un blogue commandé, ni dans un dépliant publicitaire. J’espère à nouveau le lire dans un média traditionnel qui aura compris que le journalisme d’ici aurait tout intérêt à ne pas se priver de sa plume inspirée.

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