AIDE MÉDICALE À MOURIR

BEAUCOUP DE MÉDECINS REFUSENT DE L' ADMINISTRER

« Théoriquement » en faveur de l'aide médicale à mourir, des médecins refusent pourtant de l’administrer à un patient, invoquant « l’objection de conscience ». Dans la majorité des cas, c’est plutôt un fardeau émotionnel trop lourd qui est en cause.

Des médecins en faveur de l’aide médicale à mourir (AMM) « en théorie » refusent pourtant de l’administrer à un patient, invoquant « l’objection de conscience » lorsqu’ils en reçoivent concrètement la demande.

Ces médecins se servent de l’objection de conscience comme « échappatoire » pour justifier leur refus, ont découvert deux chercheuses québécoises – l’une éthicienne et l’autre médecin – qui ont mené une étude inédite sur le sujet auprès de médecins qui travaillent à Laval.

Dans la majorité des cas (59 %), c’est plutôt un fardeau émotionnel trop lourd qui est en cause, et ce, même s’ils sont « théoriquement » en faveur de la loi.

Selon la Loi sur les soins de fin de vie – entrée en vigueur en décembre 2015 –, un médecin peut refuser d’administrer l’AMM en vertu d’une « objection de conscience ».

Avant l’entrée en vigueur de la loi, le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Laval avait sondé les médecins de son territoire. La grande majorité était en faveur de la loi. Un tiers seulement avait indiqué qu’il allait refuser de participer à l’AMM.

Or, 18 mois plus tard, le CISSS de Laval s’est rendu compte que maintenant que la question se posait concrètement, 77 % des médecins à qui un patient avait demandé l’AMM ont refusé de participer au processus (47 sur 61), se prévalant tous de la clause d’objection de conscience.

Le plus souvent, les médecins s’opposent à participer à l’AMM pour autre chose que des raisons religieuses ou morales.

Les médecins refusent parce qu’ils se disent déjà débordés par leur charge clinique actuelle, parce que l’AMM prend beaucoup de temps, ou carrément pour des préoccupations médicolégales, révèlent l’éthicienne Marie-Ève Bouthillier et la Dre Lucie Opatrny après avoir mené des entrevues avec une vingtaine de médecins.

La majorité d’entre eux disent également que cela représente un fardeau émotionnel trop lourd à porter. D’autres estiment qu’ils ne sont pas dotés d’une expertise clinique suffisante pour l’administrer. Certains craignent d’être stigmatisés par leurs pairs ou par la société.

Mieux soutenir les médecins

Un résumé de l’étude vient d’être publié dans le plus récent numéro du magazine Le spécialiste, publication de la Fédération des médecins spécialistes du Québec.

« Les déclarations d’objection de conscience des médecins sont beaucoup plus nombreuses que ce que nous avions prévu en nous fiant à leurs réponses au sondage », a expliqué la Dre Opatrny en entrevue à La Presse.

La Dre Opatrny tient à préciser que tous les patients qui se qualifiaient pour recevoir l’aide médicale à mourir à Laval l’ont reçue, mais qu’il a fallu les diriger vers la minorité de médecins qui acceptent de le faire.

Pas question, toutefois, de jeter la pierre aux nombreux médecins qui ont refusé de l’administrer, insiste la Dre Opatrny.

L’idée, avec cette étude, c’est de trouver des moyens pour mieux soutenir les médecins dans ce processus et d’assurer un accès juste et raisonnable aux patients à l’AMM, explique l’intensiviste, aussi directrice des services professionnels au CISSS de Laval.

« On doit maintenant se demander comment on peut mieux épauler les médecins qui sont en faveur de la loi, mais qui nous décrivent des freins à son application », poursuit la Dre Opatrny.

« Les médecins nous expriment des émotions sincères, ajoute Mme Bouthillier, qui est membre du Bureau de l’éthique clinique de la faculté de médecine de l’Université de Montréal. Ils nous disent : “Ça me fait vivre trop d’émotions fortes. J’ai besoin de me préserver. Ce n’est pas parce que je veux abandonner mon patient, bien au contraire.” »

Alimenter la réflexion

Il s’agit de la première étude qualitative menée au Québec sur le sujet – et même dans le monde, affirme Mme Bouthillier, aussi cadre responsable du Centre d’éthique du CISSS de Laval, qui a fait une revue de la littérature scientifique sur la question de l’objection de conscience pour réaliser cette étude.

« On pense que d’autres [régions] vivent la même situation que nous [à Laval], alors on souhaite que ces résultats servent à alimenter la réflexion partout au Québec », conclut la Dre Opatrny.

Des 47 médecins à Laval qui ont invoqué « l’objection de conscience », 22 ont accepté de répondre aux questions des chercheuses. Ces derniers sont âgés de 26 à 67 ans. Il y a autant d’hommes que de femmes.

Ce que les entrevues ont révélé* 

72 %

Même s’ils ont invoqué une objection de conscience, 72 % sont en faveur de l’aide médicale à mourir.

22 %

s’y opposent pour de véritables raisons morales ou religieuses.

59 %

ont invoqué un fardeau émotionnel trop lourd à porter.

36 %

ont la perception de manquer d’expertise clinique.

27 %

craignent la stigmatisation de la part de pairs ou de la société.

1

Un seul médecin a dit avoir peur de la mort.

41 %

ont répondu que cette tâche ne pouvait être ajoutée à leur charge clinique actuelle déjà lourde.

41 %

ont indiqué que le processus prend beaucoup de temps.

32 %

ont soulevé des préoccupations médicolégales.

* Un médecin pouvait invoquer plusieurs raisons classées dans deux catégories : intrinsèques et extrinsèques.

Disparités régionales

Un total de 638 personnes ont eu recours à l’aide médicale à mourir au Québec en 2016-2017, selon le rapport de la Commission sur les soins de fin de vie déposé à l’Assemblée nationale à la fin d’octobre. Ainsi, c’est 62 % des 992 demandes formulées dans les différentes régions du Québec entre le 10 juin 2016 et le 9 juin 2017 qui ont été accordées. De fortes disparités régionales ont été relevées dans ce rapport. Près de la moitié des demandes n’ont pas été acceptées à Montréal (93 sur 205). Le constat est semblable à Laval, où 53 demandes ont été accordées sur les 113 reçues.

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