Opinion Nadia El-Mabrouk

SOCIÉTÉ Le progressisme des uns, c’est l’enfer des autres

Une femme en hijab pour symboliser l’égalité hommes-femmes dans une campagne fédérale à l’occasion du 8 mars.

Un chef de parti politique en turban sikh prônant la laïcité de l’État ; une loi sur la neutralité religieuse qui ouvre la porte au port des signes religieux par les agents de police ; une affiche « bienvenue au niqab » dans une manifestation antiracisme ; une directive qui demande d’éviter les mots « madame », « monsieur » à Service Canada. Tout ça au nom de l’inclusion.

Comment en est-on arrivé à une telle falsification du sens des mots ?

Pour illustrer le « progressisme » à rebours qui en résulte, voici quelques mises en situation fictives.

Vivre ensemble

À 7 ans, Cyrile n’avait que des amis. Brandon, le pro au ballon-chasseur ; Samuel, le spécialiste des dinosaures ; et Lina, la meilleure en dessin. Après quelques années de cours d’Éthique et culture religieuse (ECR) et de célébration de la différence, Brandon se revendique chrétien, Samuel est juif et mange kasher et Lina est musulmane et dit vouloir porter le voile. Quant à Cyrile, il se désole de ne pas avoir de religion.

Égalité hommes-femmes

Vous avez connu la Révolution tranquille et la fin du contrôle de la vie des femmes par l’Église. Vous êtes solidaire des femmes arabes dans leur marche vers l’égalité, et participez à la journée mondiale sans voile en soutien à celles qui luttent pour leur émancipation, notamment en Iran.

Aux yeux de Raphaëlle, étudiante en études féministes, vous êtes raciste. Raphaëlle prône le respect absolu de toutes les pratiques religieuses, et participe à la marche « antiraciste » pour défendre le choix des femmes à porter le niqab.

Diversité

Lorsque Manuel, enseignant de géographie, aborde une région du monde, il présente la diversité linguistique, culturelle, sociopolitique, historique et religieuse qui, au Maghreb par exemple, explique la richesse des peuples arabes, berbères, séfarades, kabyles ou touaregs.

Pour les enseignants tenus d’aborder l’objectif « reconnaissance de l’autre » du cours ECR, l’« autre » qui vient du Maghreb est simple à décrire : il est musulman, fait ses prières cinq fois par jour, va à la mosquée le vendredi et mange halal.

Liberté religieuse

Vous êtes enseignante au primaire et vous vous désolez de voir des enfants privés de boire et de manger toute la journée en raison du ramadan, dans l’indifférence totale des services de protection de la jeunesse. Vous vous inquiétez que le respect de la liberté religieuse des parents prévale sur le bien-être des enfants.

Justin, premier ministre du Canada, se réjouit quant à lui de célébrer le ramadan et de mettre de l’avant les belles valeurs de la prière, du jeûne, et des repas partagés après le coucher du soleil. Lors de ses allocutions adressées à la « communauté musulmane », Justin n’aura aucune recommandation pour les enfants de familles rigoristes tenus de jeûner de longues heures, alors qu’ils auraient besoin de toute leur énergie à l’école. Serait-ce que, pour Justin Trudeau, le bien-être de certains enfants passe après la liberté religieuse des parents ?

Inclusion

Vous quittez un pays aux prises avec un islam radical qui vous étouffe. À votre arrivée à Montréal, vous êtes accueilli par une douanière en hijab. Les personnes-ressources au service d’aide aux immigrants vous indiquent le quartier où vous devriez vous établir pour sa forte densité musulmane, ses épiceries halal, ses cafés unisexes et ses mosquées. Votre petit dernier est pris en charge par une éducatrice voilée et, comme il a un nom arabe, le yogourt de la collation lui est retiré puisqu’il contient de la gélatine. Vous avez l’impression de retrouver l’intégrisme religieux que vous aviez espéré quitter.

Progressisme

En Égypte, le témoignage de deux femmes est toujours nécessaire pour contrebalancer celui d’un seul homme devant les tribunaux de la famille. Des attributs considérés « naturellement féminins » comme la sensibilité, l’émotivité, la fragilité sont souvent évoqués pour justifier un traitement discriminatoire envers les femmes et freiner la marche vers l’égalité.

Au Québec, on dit que Léo, qui est sensible, en plus d’aimer porter des robes, jouer avec des poupées et dessiner des sirènes, est en fait une fille née dans un corps de garçon. Affirmer le contraire serait considéré comme réactionnaire, voire discriminatoire.

Cette redéfinition des hommes et des femmes par des stéréotypes de « genre », qu’on nous présente comme « progressiste », rejoint-elle le conservatisme le plus affirmé ?

On se croirait dans le roman d’Orwell, 1984 ! L’égalité, c’est l’aliénation ; la neutralité, c’est le favoritisme religieux ; l’inclusion, c’est faire de l’« autre » un éternel étranger.

Plutôt que d’inverser le sens des mots pour accommoder des particularismes, il serait temps que nos politiciens se préoccupent du bien commun et reviennent aux fondamentaux de la Déclaration universelle des droits de la personne.

En attendant le début d’une campagne électorale qui s’annonce riche en sophismes, je vous souhaite un bon été. Profitez bien du gazouillis du soleil et de la chaleur des oiseaux.

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