Soins palliatifs

Plaidoyer d’un médecin pour une « belle mort »

Dans un manifeste publié hier par la Société québécoise des médecins de soins palliatifs, un médecin de famille de Montréal lance un cri du cœur pour sensibiliser la population et les politiciens aux droits des gens en fin de vie

Élan du « cœur » et de « colère »

Le Dr Robert Marchand, médecin de famille qui travaille en soins palliatifs depuis 20 ans à Montréal, a écrit ce manifeste au cours de l’été, mû par la « colère » et un élan « du cœur ». La belle-mère d’un voisin était en train de mourir chez elle, en souffrance, faute de services adéquats offerts par son centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS). Ce voisin est venu cogner chez le Dr Marchand un samedi matin, en détresse, ne sachant pas à qui s’adresser pour recevoir de l’aide. « La dame vivait à l’extérieur de Montréal et ça m’a ouvert les yeux sur les inégalités qui persistent au Québec sur la qualité des soins palliatifs, particulièrement à domicile », explique le Dr Marchand en entrevue à La Presse.

Une indignation devenue manifeste

Ébranlé par cette histoire, le Dr Marchand a jeté ses sentiments sur papier. « Personne ne traitait la douleur de cette femme. Personne n’avait écouté ses demandes ni celles de sa famille », raconte le Dr Marchand, qui a donné des conseils à son voisin pour que les droits de la femme en fin de vie soient respectés. La famille a suivi ses conseils et a réussi à obtenir un lit en soins palliatifs à l’hôpital local. Le Dr Marchand a transmis son document « écrit à chaud » à d’autres confrères qui lui ont suggéré de le transformer en manifeste. La Société québécoise des médecins de soins palliatifs le publie depuis hier sur son site web dans l’espoir de récolter l’appui du public pour sensibiliser les politiciens à cet enjeu de société en pleine campagne électorale.

« Libre choix »

Le manifeste contient les mots suivants : « En tant que patients en fin de vie au Québec, nous avons droit : à une belle mort, avec de l’accompagnement pour tenir au maximum la souffrance en échec ; à l’accès à des soins palliatifs de qualité, qui est un droit garanti par la Loi concernant les soins de fin de vie ; à la possibilité de discuter de toutes les options de fin de vie avec notre médecin, incluant les soins palliatifs et l’aide médicale à mourir ; au libre choix de l’endroit où nous souhaitons vivre jusqu’à notre mort, et à l’accès à des soins à domicile bien organisés ; à des équipes de soins qui travaillent ensemble, en réseau et qui incluent des médecins. »

Outiller les gens

Les patients ne doivent pas « accepter » le fait que l’accès à des services palliatifs de qualité est inégal au Québec et souvent difficile hors des hôpitaux, insiste le Dr Marchand, puisque c’est un droit garanti par la loi.

« Je veux que le manifeste serve à outiller les gens à poser les bonnes questions à leur CISSS ou leur CIUSSS [responsables de l’organisation des soins], et s’ils n’ont pas de réponse, qu’ils se tournent vers les politiciens de leur circonscription. »

— Le Dr Robert Marchand

Un suivi précoce privilégié

Le suivi précoce par une équipe soignante compétente en approche palliative incluant un médecin dès le diagnostic d’une maladie incurable avancée améliore la qualité de vie et prévient les traitements disproportionnés ou inappropriés, rappelle le Dr Marchand dans le manifeste. « Lorsque le patient est confiant qu’il recevra les soins appropriés à la maison, la sérénité s’installe. Il se concentre alors sur son cheminement personnel », décrit le médecin.

Connaître ses options

Le médecin expert en soins palliatifs l’admet : lorsque des patients ont commencé à lui demander l’aide médicale à mourir, il a eu plusieurs nuits blanches. Puis ces mêmes patients lui ont fait réaliser que pour certains, la souffrance associée à la fin de vie est pire que la mort elle-même, et, dans certains cas, on ne peut la soulager. Si un médecin a une objection de conscience par rapport à l’aide médicale à mourir, cela lui appartient, mais il doit s’assurer qu’un collègue prendra la relève et évaluera la demande du patient, rappelle le Dr Marchand. « Je ne suis ni pour ni contre l’aide médicale à mourir, précise-t-il. Je travaille pour le patient. »

Une équipe 24 heures sur 24, 7 jours sur 7

Impossible de demeurer serein à domicile avec une maladie grave, voire terminale, sans avoir accès minimalement à une équipe infirmière-médecin 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, plaide le Dr Marchand dans le manifeste. Or, un réseau de soins palliatifs bien organisé par le CISSS dans lequel s’intègrent les soins à domicile n’est malheureusement pas mis en place dans tous les CISSS du Québec, décrit le médecin de famille. C’est au ministère de la Santé d’imposer les mêmes exigences dans l’ensemble des CISSS, croit-il. « J’ai parfois l’impression que la santé, c’est comme les routes dans les années 60. On se contente de mini-promesses à réaliser dans un horizon de quatre ans. Il n’y a pas de vision à long terme », conclut le Dr Marchand, qui travaille aujourd’hui dans un CHSLD montréalais après avoir longtemps pratiqué au service de soins palliatifs de l’hôpital de Verdun.

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