À ma manière

La comptable qui aimait les jouets

L’aventure : la comptable Isabelle Mathieu a quitté son emploi de contrôleur pour acheter quatre magasins de jouets. La manière : assembler une brique à la fois.

Quel comptable vendrait un jouet en échange d’une suce ?

Isabelle Mathieu.

Il y a peu de chance que ça arrive chez Toïzarrehosse.

L’anecdote est racontée un peu plus loin.

Mais d’abord, présentation.

Isabelle Mathieu

Comptable professionnelle agréée, Isabelle Mathieu était contrôleur dans une entreprise de technologies de l’information quand elle s’est mise en quête d’un peu de souplesse dans son horaire. Mère de deux jeunes enfants, elle cherchait « quelque chose de plus flexible ».

Mais pas n’importe quoi. « Je ne serais pas allée vendre des thermopompes. » Elles ne les auraient pas testées avec ses enfants à la maison, comme elle le fait encore avec de nouveaux jeux pour tout-petits.

En 2007, elle reçoit un courriel de la propriétaire du magasin de jouets La Ronde enchantée, à La Prairie, qui annonce à tous ses clients qu’elle prend sa retraite et cherche un acheteur.

« Ça m’intéressait. Avant d’avoir des enfants, mon mari et moi, on était du genre à aller voir des films de Walt Disney. »

Car elle aime jouer – c’est une tradition ancestrale. « Ça date de mes grands-parents paternels. Chez eux à Noël et toutes les fins de semaine, ça jouait aux cartes, aux pichenottes… »

« Avec mes parents, ça a continué. L’été, on faisait des parties de Monopoly avec ma mère et on mangeait au coin du comptoir, pour ne pas déranger le jeu sur la table de cuisine. »

Le jeu en vaut la chandelle

Elle fait l’acquisition de la petite boutique de 1000 pi2 en 2007, qu’elle déménage cinq ans plus tard dans un local de 6000 pi2.

En 2015, par des contacts communs, elle apprend que la famille Lépine désire vendre les trois magasins de jouets Le Tambourin qu’elle détenait depuis près d’un demi-siècle.

« Les hasards de la vie », dit-elle. Ses enfants sont maintenant au secondaire. « L’opportunité de faire une acquisition était parfaite. »

La transaction est conclue le 1er septembre 2015.

Additionner sans soustraire

« Je savais que le nerf de la guerre serait les ressources humaines. Du côté financier, j’avais bien fait mon analyse d’acquisition. »

La comptable sait additionner, mais elle hésite à soustraire. Elle multiplie les trésors d’organisation pour éviter les mises à pied. Son plus grand défi est de « rassurer tout le monde et s’assurer que tout le monde trouve sa place ».

« Je suis fière de dire que, jusqu’à présent, tout le monde est encore là, depuis 15 mois. »

Modèles réduits, gros ennuis

Environ 80 % des stocks des deux entreprises étaient communs. « Il a été facile de faire l’intégration des fournisseurs. »

Une exception lui réserve toutefois des surprises. Le Tambourin se spécialisait dans les modèles réduits, véhicules téléguidés, drones, trains… La nouvelle propriétaire doit montrer patte blanche aux deux plus importants fournisseurs, situés aux États-Unis. « Il a fallu que je fasse beaucoup de représentations pour conserver les mêmes conditions, raconte-t-elle. Pour un des deux, il a fallu que je montre mon état financier personnel ! »

40 000 articles

Les quatre magasins comptent près de 40 000 articles dont il faut unifier les prix et les codes.

Heureusement, les deux entités utilisent les mêmes systèmes informatiques, qui sont fusionnés en mars 2016.

Coïncidence ? Deux semaines plus tard, le système intégré fait l’objet d’une prise d’otage virtuelle par le redoutable virus Locky. La sale bête crypte toutes les données du siège social et les rend inutilisables.

Comment règle-t-on un tel problème ? « Il y a deux choix, répond Mme Mathieu. Ils donnent un numéro de téléphone. On appelle et on paie. »

La rançon doit être versée en bitcoins, afin de brouiller les pistes. Elle choisit l’autre solution. « J’avais à l’interne des ressources informatiques, des gens qui ont été en mesure de réinstaller nos programmes. »

Attention, lutins au travail

En même temps, elle doit répondre à une autre urgence, prévue celle-là.

L’entrepôt des trois boutiques Le Tambourin ne suffit plus pour quatre établissements.

Le nouveau local qu’elle déniche n’a pas d’espace pour l’administration. Durant l’été, des cloisons sont érigées et des bureaux, aménagés – sobrement, mais efficacement, à son image.

Au début du mois de septembre, l’entreprise a pris possession de son nouveau siège social.

Dans l’entrepôt qu’elle fait visiter, c’est le branle-bas des Fêtes.

« Ces temps-ci, on travaille six jours par semaine. »

Dans l’allée centrale, trois palettes de jouets Playmobil attendent d’être déchargées.

À trois semaines de Noël, l’entrepôt sert de tampon pour les boutiques des centres commerciaux, qui ont peu d’espace de rangement.

« Je vous amène dans l’atelier de lutins. »

Deux sont à l’ouvrage sur une mezzanine. Line, de la comptabilité, est venue donner un coup de main à Patricia qui, depuis septembre, « emballe à temps plein » quelque 2500 cadeaux destinés aux fêtes de Noël d’une trentaine d’entreprises.

Triple anniversaire

Le Tambourin a sonné son 50e anniversaire cette année.

« Bonne fête, Isa ! »

Mais ce vœu, lancé par une employée qui passe la tête dans la porte du bureau, souligne plutôt l’anniversaire d’Isabelle, le jour même. 

C’est également le 10anniversaire du bail de la boutique du Carrefour Laval.

À l’occasion du renouvellement, Cadillac Fairview lui demande de rafraîchir la devanture du Tambourin du Carrefour Laval, qui date de 10 ans.

Elle s’y attendait, tout de même. « J’avais lu tous les baux. » Elle produit celui du Carrefour Laval, pour montrer l’ampleur du défi : 46 pages de caractères serrés !

La rénovation est tout juste terminée. « Ils sont venus mettre les enseignes il y a trois semaines. »

La suce

Une mère était venue en boutique avec son enfant d’environ 3 ans, qui s’accrochait à sa suce comme un ado à son premier cellulaire. « La maman m’avait dit : il faut faire comme s’il donnait la suce en échange du jouet. »

« Vous jetterez la suce, lui a dit la mère, après avoir discrètement payé.

– Vous êtes sûre que vous ne voulez pas que je la garde, au cas où, demain ?

J’avais pris ça vraiment à cœur, raconte la comptable. Ça m’avait touchée. »

Devant la guerre de prix des grandes surfaces, Isabelle Mathieu ne peut répliquer qu’avec la qualité du service.

« J’ai toujours autant de plaisir à servir la grand-maman qui hésite entre les casse-têtes de pirates et de chevaliers, et qui va prendre une demi-heure à choisir, confie-t-elle. C’est la beauté du monde de l’enfance. »

« Et enfance, je le mets au sens très large. On a tous un enfant en nous qui s’émerveille. »

Trois palettes pleines de Playmobil ! Wow !

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