Face à face : Pour la maternelle 4 ans 

Une pierre angulaire de la réussite

Une question, deux experts : êtes-vous pour ou contre la proposition de la CAQ sur la maternelle 4 ans ?

Je suis d’avis que la maternelle 4 ans va contribuer à améliorer significativement la réussite scolaire des enfants vulnérables et des élèves handicapés et en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (HDAA).

Le cheminement scolaire des enfants vulnérables et à besoins particuliers

La réussite scolaire des élèves à besoins particuliers est très préoccupante. De 2001 à 2016, la proportion de la population scolaire des jeunes identifiés handicapés ou en difficulté d’adaptation et d’apprentissage (HDAA) est passée de 10,8 % à 20,4 %*. Alors que la clientèle globale des écoles du Québec a diminué de 9 % durant cette période, le nombre d’élèves HDAA a augmenté de 71,8 %*. Les derniers chiffres disponibles (janvier 2019) indiquent que ce nombre est toujours en augmentation et que 225 326 élèves sont maintenant considérés comme HDAA**. Il s’agit de jeunes qui vivent pour la plupart des problèmes d’apprentissage (particulièrement en littératie), de communication (langage) et des difficultés émotives, comportementales ou de santé mentale.

Le taux de diplomation de ces élèves (après sept années de fréquentation de l’école secondaire) n’est actuellement que de 36,2 %**, nettement inférieur au taux usuel de 60 % observé dans les autres systèmes éducatifs en Amérique du Nord. Cette situation perdure (le taux de sortie sans diplôme des HDAA était de 49,7 % en 2016-2017***) malgré le développement des CPE, des garderies privées, des services de garde en milieu familial et malgré les 2,7 milliards que nous dépensons maintenant chaque année pour leur offrir des services en milieu scolaire.

Des conditions pour que la maternelle 4 ans contribue à l’inclusion et à la réussite scolaires

L’amélioration de la réussite des jeunes en difficulté passe par l’offre à tous les enfants du Québec d’une maternelle 4 ans permettant à ceux qui sont vulnérables ou à risque de recevoir des services éducatifs en adaptation scolaire qui correspondent aux pratiques exemplaires. Cette maternelle doit être inclusive et éviter toute forme de ségrégation basée sur le niveau socioéconomique, la nature des difficultés ou du handicap.

Les actions suivantes m’apparaissent nécessaires pour que le niveau préscolaire (maternelle 4 ans et 5 ans) que comprendra à l’avenir le système scolaire québécois puisse faire une différence importante dans la réussite scolaire de tous les jeunes et plus particulièrement de ceux qui sont vulnérables.

1- Le Québec doit revoir, d’ici juin 2020, sa politique en adaptation scolaire et y consacrer la maternelle 4 ans et 5 ans comme un des environnements éducatifs prioritaires pour répondre aux besoins des jeunes vulnérables et prévenir les problèmes d’adaptation et d’apprentissage. Cette politique doit expressément affirmer que toutes les classes, dont celles de maternelle 4 ans, seront inclusives et que tous les enfants vulnérables, à risque, handicapés ou en difficulté d’adaptation y auront leur place.

2- Tous les enfants vulnérables, à risque, handicapés ou en difficulté d’adaptation devront bénéficier d’interventions personnalisées en maternelle 4 ans et avoir accès prioritairement à toutes les ressources professionnelles disponibles à l’école primaire.

3- Le Québec devra revoir à la hausse l’enveloppe financière des services en adaptation scolaire pour tenir compte des 50 000 élèves de maternelle 4 ans que comptera d’ici 2024 – cela est mon estimation – le réseau scolaire québécois. Ces sommes supplémentaires devront être ciblées et protégées.

4- Le programme du préscolaire 4 et 5 ans devra être rigoureusement basé sur les pratiques exemplaires reconnues et comporter des contenus spécifiques portant sur les services éducatifs à offrir aux enfants vulnérables ou en difficulté d’adaptation et d’apprentissage.

5- Les universités et les cégeps devront accélérer le développement d’ententes pour l’établissement de passerelles de type DEC-bac permettant aux éducatrices en petite enfance qui le désirent de devenir enseignantes au préscolaire. Les cégeps devront également offrir aux personnes qui font de la garde en milieu familial des programmes permettant d’acquérir en cours d’emploi, si elles le désirent, une formation collégiale d’éducatrice en petite enfance.

6- Les cégeps et les universités doivent également revoir leur programme respectif de formation initiale en petite enfance et en enseignement préscolaire-primaire pour y inclure des contenus spécifiques portant sur l’intervention précoce auprès des enfants vulnérables, à risque, handicapés ou en difficulté d’adaptation.

7- Il est nécessaire que le Québec, dans le futur Institut d’excellence en éducation (INE), a) crée un réseau spécifique sur les pratiques éducatives exemplaires en petite enfance et en maternelle 4 et 5 ans et b) mette en place un programme d’évaluation pour assurer le suivi du développement des maternelles 4 ans, évaluer leur impact sur la réussite éducative des jeunes vulnérables et identifier les ajustements jugés nécessaires.

Depuis longtemps, on affirme en éducation qu’un dollar investi en prévention permet d’économiser ultérieurement six dollars en intervention.

Il s’agit pourtant de beaucoup plus qu’une question de coût : la prévention et l’intervention précoce changent des vies. Chaque jour, des milliers d’enseignants et d’éducateurs agissent avec la profonde conviction qu’il est beaucoup plus facile de bâtir des enfants forts que de réparer des adultes brisés. L’offre d’une maternelle 4 ans de qualité à l’ensemble des jeunes du Québec leur permettra, j’en suis convaincu, de faire une différence encore plus importante.

* Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (2018). Le respect des droits des élèves HDAA et l’organisation des services éducatifs dans le réseau scolaire québécois : une étude systémique 

** MEES (2019)

*** Québec (2018). Le taux de sortie sans diplôme ni qualification en formation générale des jeunes (décrochage scolaire). Chez les élèves en retard, ce taux atteint 58,6 %.

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