Chronique

Du design en février

Le mois de février n’est pas le plus facile. Surtout quand il neige sans arrêt en ville et que l’immensité de la quantité de sloche et de glace n’a d’égale que la lenteur de la ville à retirer tout ça des rues et des trottoirs.

Mais il y a des choses qui nous remontent quand même le moral en ce deuxième mois de l’année, et, non, ce n’est pas la Saint-Valentin. Je pense plutôt aux agrumes et aux fruits exotiques en saison, aux journées qui allongent – plus de 10 heures de lumière maintenant ! – et aux Grands Prix du design, qui nous rappellent que tout ce qui se fait ici n’est pas aussi déprimant qu’un boulevard à concessionnaires sous le verglas. Ou une paire de bottes cernées de calcium.

D’ailleurs, avez-vous vu les petites bottes couvre-chaussures pour enfants de marque Butler, conçues par Tactix, qui ont gagné un prix « hors catégorie » de design industriel ? On en voudrait pour adultes, non ? Comment se fait-il qu’on soit encore si mal servis au Québec en bottes d’hiver réellement d’hiver ? Oui, il y a plus de choix dans le genre imperméable et chaud qu’avant, mais il y a encore tellement de place pour plus… (Me semble qu’il y a des occasions d’affaires qui continuent de se perdre…)

Les Grands prix du design, ce sont des reconnaissances remises annuellement sous la gouverne de l’agence PID, un organisme voué à la promotion du design d’ici – vous vous rappelez que Montréal est officiellement « ville Unesco de design » – et dirigé par Brigitte et Ginette Gadoury, la fondatrice du magazine Décormag, jadis bible québécoise de l’aménagement contemporain.

Ces honneurs ont été remis pour la 10e fois cette année et le « Grand prix du design » n’a pas été donné à ces petites merveilles turquoise ou vert lime anti-gadoue dont je parlais plus tôt, mais au genre d’endroit où on va quand on a réussi à braver la neige et qu’on veut aller prendre un café ou travailler en groupe. C’est le Crew Collective & Café qui l’a remporté.

Ce café n’est pas comme les autres. Aménagé par le studio Henri Cleinge Architecte – on les connaissait pour les SoupSoupe –, il est installé dans les bureaux ancestraux et quasi royaux de la Banque Royale, rue Saint-Jacques, le genre d’espace avec des plafonds plus que vertigineux et encore peints de dorures, avec mille arches et corniches. Déjà là, c’est spectaculaire.

Mais ce qui est intéressant et génial, c’est que le café n’est qu’une partie de la mission du commerce, qui est en fait d’abord et avant tout un lieu de travail collectif, et c’est ça, le tour de force qui a été relevé. Occuper l’espace intelligemment pour que toutes les fonctions aient une place. On peut donc aller manger, prendre un thé, louer des petites salles plus ou moins fermées pour travailler. Et toutes sortes de services sont offerts aux membres du « collectif » qui partagent ce grand bureau partagé par des gens qui ont surtout en commun d’être des pigistes en tous genres ou des microentreprises.

Les façons pratiques de travailler, l’identité du « bureau », se redéfinissent.

D’ailleurs, est-ce une surprise si le prix de design industriel catégorie mobilier de bureau a été remis, justement, à des unités à installer dans des espaces interactifs ? Bravo à Nomad et aux designers Charles Godbout et Luc Plante chez Topo Design.

En fait, quand on regarde la liste des gagnants, on se rend compte surtout que la mixité, la refonte, l’excentricité sont au premier plan.

Prenez la société Aesop, dont la boutique du Mile End a gagné le prix espace commercial de 1600 pieds carrés ou moins – réalisée par _naturehumaine architecture & design. Ses boutiques ne sont jamais classiques. Sur les sacs, on recommande des sorties culturelles à Montréal. Il y a toujours un lavabo pour essayer des savons et crèmes, un endroit pour s’asseoir, comme si on voulait qu’on s’arrête là pour se poser quelques minutes. Souvent, on nous accueille avec de l’eau citronnée ou du thé, selon le temps qu’il fait.

La boutique Must Société, qui a gagné le prix du meilleur espace commercial de plus de 5400 pieds carrés – un projet signé Paprika, dernier-né de Maison Corbeil –, a toutes sortes de fonctions aussi. On y vend des meubles et des objets de maison, oui, mais aussi des vêtements et des bijoux. Il y a même une boulangerie signée la Bête à pain.

Mais ce que j’ai trouvé très intéressant aussi dans cette mouture 2017 des grands prix, ce sont ces objets usuels réinventés. Comme les laisses et colliers pour chiens de Bond Pet, aux couleurs vives et modernes, qui ont gagné le prix des meilleurs objets et accessoires dans la grande catégorie du design industriel. Pas mal moins coincé ou matante que ce qu’on voit partout. Il y a même eu un prix, tenez-vous bien, pour des urnes funéraires. Conçues par le Studio Diane Leclair Bisson, pour Memoria, elles sont franchement modernes et élégantes, toutes bleues et en céramique, faites au Québec en plus.

Maintenant, quand est-ce qu’on redessine nos chouclaques, nos pelles, nos tapis d’auto et nos brosses à neige ? Un peu de vitamines dans tout ça, non ?

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.