Opinion

DÉCLARATION DE REVENUS UNIQUE Aller au-delà de la joute politique

La proposition faite la semaine dernière par François Legault à Justin Trudeau de réunir les déclarations de revenus fédérale et provinciale en une seule serait fort avantageuse pour les contribuables : moins de formulaires à gérer, une seule agence avec laquelle transiger plutôt que deux.

En prime, quelque 500 millions en économies administratives qui pourraient être redirigées à des priorités. Les idées pour utiliser 500 millions ne manquent pas ; rares sont celles qui dégagent une telle marge de manœuvre tout en améliorant le service à la population. Qui dit mieux ?

En mai dernier, Jean-François Lisée, alors chef du Parti québécois (PQ), a proposé et fait adopter par l’Assemblée nationale une motion à l’effet qu’une déclaration de revenus unique devrait nécessairement être administrée par Revenu Québec plutôt que par Revenu Canada. Pour l’instant, M. Legault s’en tient à cette position. Malheureusement, à moins d’être plus créatif, quitte à marcher un peu sur la peinture, sa proposition restera lettre morte, car elle heurte deux puissants intérêts particuliers.

Pertes d’emplois et agences du revenu

Le premier est qu’elle entraînerait des pertes d’emplois à l’Agence du revenu du Canada (5300 emplois au Québec), notamment dans ses centres fiscaux de Shawinigan (1300) et de Jonquière (1000). Or, les bureaux de l’ARC en région, au Québec comme ailleurs, sont depuis toujours convoités ou défendus par les politiciens du coin pour les emplois qu’ils y créent.

Le second est celui des deux agences du revenu. Revenu Canada et Revenu Québec vont chacune continuer de résister bec et ongles aux velléités des politiciens d’en charcuter l’une au profit de l’autre. En 1991, quand le gouvernement Mulroney a délégué la perception de la TPS à Québec, le mandarinat fédéral a avalé de travers. À l’époque, ce geste décentralisateur était le prix que le fédéral devait payer pour obtenir l’adhésion du Québec à la TPS et son intégration avec la TVQ. Ce contexte particulier a donné un rapport de force exceptionnel au Québec, qui a été nécessaire pour passer outre aux objections du mandarinat fédéral. Rien n’indique que M. Legault dispose actuellement d’une monnaie d’échange semblable pour obtenir de M. Trudeau qu’il cède à Québec la perception de l’impôt fédéral.

Au vu de ces obstacles, l’idée d’avoir une déclaration unique, relevant pourtant du sens commun, ne servira en fin de compte à M. Legault qu’à illustrer son nationalisme. 

Une idée qui mérite mieux

Pourtant, elle mérite mieux que d’être une simple munition dans la joute politique. Pour la concrétiser, il nous faudra sortir des sentiers battus. Par exemple, Revenu Québec et la section québécoise de l’ARC pourraient être réunies dans une agence en copropriété fédérale-provinciale, avec un conseil d’administration paritaire et une présidence tournante.

Autrefois, chaque ministère et organisme avait ses propres services d’informatique et d’approvisionnement, entre autres.

De nos jours, les gouvernements ont des centres de services partagés. Pourquoi ne pas transposer ce concept aux agences de perception du revenu ?

Des penseurs canadiens écoutés au Parti libéral du Canada, comme Michael Ignatieff, Will Kymlicka ou Jeremy Webber, ont défendu le principe du fédéralisme asymétrique dont cette solution s’inspire. Les deux partis de l’opposition à Ottawa ont montré une ouverture à la position québécoise.

La délégation réciproque représente une autre piste à explorer. Québec pourrait déléguer à l’ARC la charge de percevoir l’impôt sur le revenu des particuliers ; en échange, Ottawa déléguerait à Revenu Québec la perception de l’impôt sur le revenu des sociétés. Un arrangement en sens inverse (les particuliers au Québec, les sociétés et la TVQ à Ottawa) est aussi envisageable.

Dans l’une ou l’autre de ces solutions, ni l’ARC ni l’ARQ ne soutiendrait seule le fardeau de coupes associées aux centaines de millions en économies. Chaque gouvernement conserverait l’essentiel de son autonomie en ce qui concerne la politique fiscale.

L’intérêt des contribuables, c’est-à-dire monsieur et madame Tout-le-Monde, doit primer les intérêts particuliers des parties prenantes. Espérons que cet intérêt public soit assez fort pour amener les politiciens à faire des compromis.

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