produits de la mer importés

Une pharmacie dans votre poisson

On trouve de nombreux contaminants dans les poissons et fruits de mer importés au Canada. Des bactéries, mais aussi des colorants, des antifongiques, des antiseptiques et des antibiotiques largement utilisés en médecine humaine.

« Trouver des produits synthétiques dans les poissons, ce n’est pas normal », estime le chimiste Richard St-Louis, professeur au département de biologie, chimie et géographie de l’Université du Québec à Rimouski. 

Pas normal, mais pas surprenant pour ce spécialiste. 

« L’aquaculture d’Asie du Sud-Est est intensive et est faite dans l’eau chaude [ce qui favorise la propagation des bactéries et maladies]. Les producteurs utilisent la pharmacopée qu’ils ont à portée de main », explique Richard St-Louis.

Une importante partie des poissons et fruits de mer qui ne passent pas les tests de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) proviennent effectivement d’Asie. Ils ont été élevés dans des bassins de Chine, d’Inde, du Viêtnam, de Corée, des Philippines, notamment. L’Agence a un programme particulier de surveillance uniquement pour les agents thérapeutiques, ces médicaments utilisés en aquaculture. Son taux de conformité est de 95 %. 

Ce qui ne veut pas dire que 95 % n’ont pas de traces d’antibiotiques, mais que 5 % dépassent les limites permises. À cela, il faut ajouter les poissons et crustacés qui arrivent au pays avec des infections ou d’autres contaminants, dont parfois des produits interdits au Canada. Par exemple, le violet de gentiane, un colorant utilisé comme antiseptique trouvé dans un arrivage des mers du Bangladesh, en novembre 2016. 

Crevettes indiennes

Même chose pour les nitrofuranes, un type d’antibiotique interdit en aquaculture au Canada qui a été trouvé l’année dernière dans des crevettes indiennes provenant de trois producteurs différents. L’Inde est le principal pays d’origine des crevettes importées au Canada. L’utilisation de nitrofuranes en élevage intensif est un phénomène largement documenté.

« C’est de l’aquaculture sauvage, ça ne peut pas fonctionner autrement. » 

— Richard St-Louis, département de biologie, chimie et géographie de l’Université du Québec à Rimouski

Dans la liste des constats d’infraction de l’ACIA pour les deux dernières années, on trouve des fluoroquinolones et de la tétracycline, des médicaments fréquemment utilisés en médecine humaine et animale, incluant en aquaculture. Les taux détectés par les inspecteurs de l’ACIA, non dévoilés, dépassaient toutefois les limites permises au Canada. Cette artillerie lourde utilisée par les producteurs n’empêche pas les bactéries de parfois se développer, car certains produits de la mer sont entrés au Canada avec des bactéries Listeria, E. coli ou salmonelle. Fait étonnant : un produit chinois contenait du monoxyde de carbone, une contamination probablement faite lors de son transport.

Les produits problématiques venus de la Chine en 2016 et 2017 proviennent de 41 producteurs différents. Au total, 17 % des poissons et fruits de mer qui ont été trouvés non conformes, toutes infractions confondues, étaient chinois.

« On demande que les produits importés respectent les normes canadiennes », souligne Daniel Burgoyne, gestionnaire national de la section de l’importation des aliments à l’ACIA.

Les échantillons testés par l’ACIA sont prélevés à l’entrée au Canada. Les poissons et fruits de mer sont choisis au hasard ou font partie d’un programme de surveillance ciblé après que l’ACIA a établi une liste des pays ou des producteurs problématiques.

Mais l’ACIA refuse de dévoiler si un pays est la cible d’une surveillance particulière. « Ce sont des informations sensibles », précise Daniel Burgoyne, qui compare les enquêtes de ses agents à celles de la police.

Plus d’inspections 

Au total, l’ACIA teste de 7000 à 8000 échantillons de produits de la mer importés, dont 1400 pour les agents thérapeutiques.

Selon le Dr Dinh Huy Duong, les tests de l’ACIA sont une goutte d’eau dans l’océan. Ce cardiologue de l’hôpital Charles-Le Moyne de Greenfield Park fait partie d’un groupe de professionnels d’origine vietnamienne qui s’est lancé dans une démarche citoyenne pour demander à l’ACIA d’augmenter le nombre d’inspections, particulièrement en ce qui concerne les produits vietnamiens. L’industrie du pangasius l’inquiète particulièrement, pour son utilisation d’antibiotiques, mais aussi pour la proximité des élevages avec des usines polluantes. « Notre but, explique le Dr Duong, ultimement, c’est que le gouvernement vietnamien améliore les pratiques. Nous sommes très attachés à notre patrie. » 

Les actions du groupe sont parrainées par la députée de Salaberry-Suroît, Anne Minh Thu Quach.

« La communauté vietnamienne est au courant de cet enjeu, mais la population en général ne l’est pas. »

— Anne Minh Thu Quach, députée néo-démocrate de Salaberry-Suroît

Le groupe prévoit organiser une conférence de presse à Ottawa au printemps pour sensibiliser les parlementaires à cette problématique.

« Avec la signature du Partenariat transpacifique, poursuit Anne Minh Thu Quach, ça serait bien que la population soit plus informée. Si on signe des traités avec des pays, il faut s’assurer que ceux-ci respectent les droits environnementaux et les droits humains. »

Le professeur Richard St-Louis, de l’Université du Québec à Rimouski, a aussi une petite pensée pour les travailleurs d’aquaculture qui sont exposés à ces produits. « Le prix que l’on paie pour ces poissons ne reflète pas du tout leur coût environnemental et social », dit ce chimiste. 

« Ce n’est pas normal qu’un produit qui a un impact négatif sur l’environnement soit moins cher qu’un qui n’en a pas », conclut Richard St-Louis, qui estime qu’en achetant des produits d’élevage importés d’Asie, on court plus de risques d’être en contact avec des contaminants qu’en consommant des produits de la mer locaux. 

Pourquoi des médicaments dans le poisson ? 

Les antibiotiques peuvent empêcher le développement de microorganismes. Ils sont utilisés en médecine animale, incluant en aquaculture. Au Québec, les éleveurs qui traitent leurs poissons doivent avoir en main une ordonnance du vétérinaire, qui va aussi établir le délai d’attente après le traitement avant de présenter les poissons pour la consommation humaine, afin d’éviter qu’il y ait des résidus. Au Canada, les antibiotiques permis font partie des familles des tétracyclines, des chloramphénicols et des sulfonamides. Au Québec, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) surveille la présence de résidus médicamenteux dans les poissons et produits de la mer d’élevage. La problématique n’est pas nouvelle. Dans une publication du MAPAQ en 2004, trois spécialistes écrivent : « La principale préoccupation en regard de l’utilisation des antibiotiques en aquaculture, et en agriculture de façon générale, concerne le développement et le transfert de la résistance des bactéries pathogènes depuis les animaux d’élevage aux humains. »

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