parents de Québécois adoptés

Plus que quelques jours avant la levée de l’anonymat

Depuis un an, quelque 1400 Québécois ont signifié au gouvernement qu’ils refusaient que leur identité soit révélée à leurs enfants biologiques. Ceux qui ont confié un enfant en adoption et qui veulent eux aussi que leur nom reste secret ont jusqu’à vendredi à 16 h 30 pour remplir le formulaire en ligne à cet effet.

Dans quelques jours, « l’anonymat sera levé pour ceux qui n’ont pas inscrit leur refus [de divulgation de leur identité] », signale Nicole Anne Vautour, chef de service à Info-adoption.

Il y a un an était promulguée la loi visant à faciliter les recherches de personnes qui ont été adoptées. Jusqu’ici, le gouvernement ne dévoilait, sur demande, que le prénom et le nom d’origine des demandeurs, si ces renseignements étaient disponibles et s’ils ne permettaient pas d’identifier un parent qui aurait inscrit un refus à la divulgation de son identité.

À partir de la semaine prochaine, le gouvernement pourra transmettre les noms des pères et mères biologiques, de même que les renseignements permettant de prendre contact avec eux – à moins, encore une fois, qu’une demande de refus ait été envoyée dans les temps.

Louise Poirier compte parmi ceux qui se sont adressés à Québec pour manifester son souhait de connaître ses parents biologiques. En raison de la forte demande, elle n’a reçu jusqu’ici qu’un accusé de réception.

En parallèle, elle a fait un test d’ADN. De leur côté, par le plus pur des hasards, ses parents, qui ne vivent pas ensemble, avaient aussi fait un tel test. Son père l’a fait en ignorant totalement qu’il avait conçu deux enfants de plus que ce qu’il croyait. Sa mère était certaine que son premier bébé, qui est devenu Mme Poirier, était mort à la naissance.

« À l’époque, pour que les mères se détachent de leur nouveau-né, il y en avait, des bébés mort-nés ! » lance Mme Poirier.

Être confrontée à un refus

Si ses recherches lui ont permis de savoir qui sont ses parents, Mme Poirier ne les a jamais rencontrés. Comme ce qui risque d’arriver à d’autres Québécois au cours des prochains mois, elle a essuyé un refus.

« Ma mère m’a dit de ne plus jamais la contacter, mais ce n’est pas grave. Si j’ai fait des démarches, c’était beaucoup pour ma mère adoptive, qui voulait remercier ma mère biologique. »

« Je dis toujours que ma mère biologique m’a donné la vie et que ma mère adoptive m’avait donné ma vie. Des parents, j’en ai eu. Je n’étais pas à la recherche de liens affectifs. »

— Louise Poirier

Par ses nombreux demi-frères et demi-sœurs, Mme Poirier a quand même eu ce qu’elle souhaitait, soit des informations et des photos.

De loin en loin, elle tente quand même de garder la porte ouverte avec sa mère.

« Je lui ai tricoté des chaussettes. J’ai su par ses enfants qu’elle avait été touchée. »

Mme Poirier assure ne pas avoir de peine.

« On couvrait tellement de honte les femmes qui avaient des enfants. C’était l’époque. Je suis pleine d’empathie pour mes parents biologiques. Ça n’a jamais été un drame pour moi. Avant de me coucher, je demandais toujours à ma mère qu’elle me raconte la fois où elle est venue me choisir, à l’orphelinat. Mon histoire, c’est une belle histoire. »

Être préparé

L’histoire de Gisèle Côté et de sa fille Natalie Lecompte, qui se sont retrouvées il y a plusieurs années, est celle de retrouvailles idylliques. Elles mettent cependant en garde ceux qui s’apprêtent à profiter de la levée de l’anonymat de l’identité des parents biologiques pour entreprendre des démarches. Même dans le meilleur des scénarios, cela apporte une part de souffrance, et il faut y être préparé.

« Je suis super contente d’avoir retrouvé ma fille, les avantages dépassent de beaucoup les inconvénients, mais j’ai encore de la peine quand je vois des photos de Natalie toute petite. Je ne l’ai pas bercée, je ne l’ai pas lavée, je ne lui ai pas montré à marcher. »

— Gisèle Côté

« Non, ce n’est pas du sucre à la crème tous les jours », poursuit Mme Côté.

« Si on a été confié en adoption, c’est que notre vie a débuté par un drame », rappelle Natalie Lecompte.

Le cas de Gisèle Côté, c’est le cas classique de la mère célibataire qui, en raison des contraintes sociales de l’époque, a confié sa fille en adoption. À un couple de médecins, bien sûr, comme le disaient faussement à tant de parents les responsables des orphelinats.

D’autres personnes peuvent avoir bien pires surprises. Les demandes d’information faites au gouvernement peuvent mener à la révélation que les parents sont morts, qu’ils ne veulent pas voir leur enfant ou qu’il est le fruit d’un viol.

Un cas de conscience

Mme Côté ne peut s’empêcher de compatir avec tous les parents biologiques qui se retrouvent ces jours-ci avec un cas de conscience.

« Ces parents ont confié leur enfant en se faisant promettre qu’ils resteraient anonymes, dit sa fille, Natalie Lecompte. Ce n’est pas facile pour eux, ce changement de donne, d’autant qu’ils peuvent se retrouver à renoncer pour la deuxième fois à leur enfant, en quelque sorte. »

Elle ajoute que lorsqu’elle a fait ses démarches, elle aurait beaucoup souffert si elle avait appris que sa mère avait exigé que son identité soit gardée secrète.

Heureusement pour elle, Mme Côté était tout à fait ouverte.

« Une personne a le droit de connaître ses origines, dit Mme Côté. On n’a pas le droit de refuser cela à quelqu’un. »

Des milliers de dossiers toujours en traitement

Caroline Fortin, présidente du Mouvement Retrouvailles, dénonce le fait que des milliers de personnes n’ont reçu pour l’instant qu’un accusé de réception à leur demande. « Encore des milliers de personnes vont venir s’ajouter, croit-elle. Le gouvernement doit vraiment ajouter plus de personnel. » Au total, 12 300 dossiers sont toujours en traitement, selon Info-adoption. « Notre équipe de 16 personnes fait son possible, explique Nicole Anne Vautour, chef de service de l’organisme. Il reste que certains dossiers comportent peu d’informations et c’est ce qui explique les délais. » Elle précise que les personnes qui demandent d’ici vendredi à 16 h 30 à ce que leur anonymat soit préservé n’ont pas à s’inquiéter : leurs dossiers seront traités en priorité. Notons que si environ 1400 personnes ont demandé à ce que leur identité ne soit jamais révélée, 542 autres ont fait le cheminement inverse et ont retiré leur refus de divulgation de leur nom. Enfin, il faut souligner que la demande de confidentialité des parents biologiques ne tient plus lorsque la mort des parents biologiques remonte à plus d’un an.

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