Opinion Décrochage scolaire

Un soutien nécessaire, du début à la fin

On a encore parlé en abondance de décrochage scolaire cette semaine, comme c’est le cas périodiquement depuis plusieurs années. Le sujet reste donc d’actualité même s’il semble que rien ne réussisse à endiguer le fléau jusqu’à maintenant. 

Les chiffres d’un garçon sur deux et d’une fille sur trois qui décrochent demeurent à peu près constants à l’échelle du Québec et ces statistiques restent pour tous une grande inquiétude. Le décrochage est-il là pour rester ? Les solutions sont-elles à notre portée ? Où allons-nous comme société ? De vraies questions qui méritent certes notre attention à tous. 

D’abord, la prévention

On en demande beaucoup à la prévention comme outil un peu magique. De fait, elle l’est, magique, et efficace dans bien des domaines. Elle est certes applicable au décrochage scolaire si plusieurs conditions sont réunies, particulièrement en bas âge. Les bonnes conditions de vie, la motivation de l’entourage, la stimulation précoce du langage et de la lecture, la santé et la sécurité physique et affective en sont les éléments les plus porteurs. Or, ces bonnes conditions, on les retrouve surtout, mais pas toujours, en milieux plus favorisés et moins en milieu de grande vulnérabilité, là même où on retrouve un plus grand pourcentage de décrochage. 

Malgré une certaine croyance populaire, ce n’est pas la faute des parents, mais bien de l’absence de moyens pour mieux vivre et mieux outiller les enfants. Les écoles sont moins salubres, les services sont moins présents et, souvent, les attentes envers l’enfant y sont moindres. Si l’enfant ne parle pas à 2 ou 3 ans, on doit attendre des mois ou des années pour avoir de l’aide et un diagnostic plus précis, et même alors, les services spécialisés n’arrivent qu’au compte-gouttes. Le succès est compromis sérieusement. 

Premier constat

Le soutien à la prévention doit se faire plus massivement dans les milieux plus difficiles avec plus de moyens, plus d’intensité et plus de mobilisations des partenaires locaux mieux outillés. C’est une question de justice et d’équilibre social qu’appelle l’équité. 

Puis, le rattrapage

Presque la moitié des enfants de milieux vulnérables arrivent à l’école mal préparés, mal outillés et peu ou pas encadrés. Ce sont tous des enfants déjà à grand risque de décrochage dans les années à venir. Plusieurs n’ont pas fréquenté de services de garde et la plupart présentent une carence de développement habituellement par manque de stimulation adéquate : trouble de la parole, de la motricité, de la socialisation et troubles psycho-affectifs qui créent énormément d’anxiété chez l’enfant. 

Les classes de maternelle 4 ans qu’on retrouve dans les milieux défavorisés permettent un certain rattrapage, quoique en général, elles soient elles aussi défavorisées de façons diverses : manque de moyens et de spécialistes, personnel enseignant mal préparé et peu appuyé, tâches lourdes et impossibles à remplir sans aide… 

À la Fondation du Dr Julien, nous faisons actuellement une expérience de soutien massif aux cinq prématernelles d’une école primaire dans Hochelaga-Maisonneuve, compte tenu du fait que les enseignantes n’y arrivaient pas (risque de burn-out élevé) et que la complexité des problèmes provoquait des expulsions ou du décrochage précoce. Quelques jours par semaine, nous nous occupons des enfants plus difficiles en faisant autrement, dans un lieu différent et avec des spécialistes. Nous assurons ainsi un répit pour les enseignantes, un meilleur soutien à l’enfant et aux familles, et une possibilité de bien cerner et considérer les causes des problèmes. 

Deuxième constat

Le rattrapage est déjà difficile et coûteux à l’entrée scolaire (4-5 ans) et demande une concentration importante de ressources autour de l’enfant. Il ne peut réussir que par de gros moyens et un arrimage entre l’école, des partenaires du milieu institutionnel et communautaire et le milieu familial en harmonie. L’enjeu est encore plus grand après le préscolaire. Les retards scolaires s’accumulent vite et demandent de plus en plus d’expertise et de moyens coûteux pour assurer la réussite scolaire (troubles d’apprentissage, d’adaptation ou de comportement). Les moyens sont actuellement très limités, voire inexistants. 

Puis, la volonté et la motivation des milieux et la performance des systèmes 

Les plus motivés d’entre tous, ce sont les enseignantes, mais elles sont déjà fragilisées, dépassées ou même décrochées elles-mêmes. Tout le monde veut mais on n’y arrive pas malgré de nombreuses initiatives intéressantes, locales, civiles ou politiques. Il y a aussi la question de la pédagogie encore extrêmement rigide et d’une autre époque malgré les innombrables réformes au Québec. 

Dans notre société, les changements sont rapides et la technologie progresse de jour en jour. Les enfants adhèrent vite à ces nouvelles façons de faire et d’apprendre, mais les systèmes, eux, ne suivent pas et s’acharnent à préserver leurs acquis et à imposer aux enfants des méthodes qu’ils ne veulent plus suivre. Jamais on ne considère la vision des enfants. 

Troisième constat

Il est urgent de repenser tout notre système d’éducation et d’y apporter une touche de modernité et de technologie de plus en plus grande. Il faut impliquer les enfants et les jeunes dans la démarche et, bien sûr, les corps enseignants et les familles pour définir des méthodes plus adaptées et surtout plus attrayantes. Le goût d’apprendre se développe tôt et s’entretient au cours du parcours scolaire. C’est l’affaire de tous comme priorité de société. On ne doit pas l’imposer d’en haut ; il faut la définir tous ensemble. 

Puis enfin, les droits des enfants

L’éducation est un des droits les plus fondamentaux. Pour réussir à le respecter, plusieurs autres droits doivent être considérés parmi les 41 existants dans la Convention internationale relative aux droits des enfants. 

Des conditions de vie permettant d’être en santé, le droit d’être écouté et entendu, celui d’être protégé et entouré, celui d’avoir accès à des accompagnements et à des services adaptés à ses besoins, et surtout le droit au respect en tout temps. 

Quatrième constat

Une société juste et respectueuse de ses enfants doit assurer ce virage profond et concerté par rapport à l’éducation des enfants. Le succès scolaire est l’affaire de tous. On paie tous d’ailleurs des taxes scolaires pour faire arriver ces succès. Mais il faut plus que l’argent ; il faut le beurre aussi pour lier tous les membres de la communauté vers ce grand projet du succès pour tous. Tous les enfants doivent en bénéficier au même titre, selon leurs capacités et leurs orientations propres. C’est une question de dignité et de respect. 

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