OPINION POLITIQUE INTERNATIONALE

La Russie s’impose au Proche-Orient

La Russie tisse patiemment sa toile au Proche-Orient. Elle est maintenant maître du jeu en Syrie, et les dirigeants de tous les États de la région se pressent à Moscou afin d’être dans les bonnes grâces de Vladimir Poutine. Le dernier en date à avoir effectué ce pèlerinage la semaine dernière n’est nul autre que le roi d’Arabie saoudite.

Une visite exceptionnelle

C’est la première fois qu’un souverain saoudien se rendait en Russie depuis la création du royaume dans les années 30. Cette visite est exceptionnelle à plus d’un titre. Les Saoudiens sont inquiets. Sur le plan économique, le royaume est en mauvaise posture à cause de la chute des prix du pétrole. La diminution des revenus met en péril le plan de croissance piloté par le prince héritier. Il y a un an, grâce à un accord avec la Russie, les deux pays ont réussi à convaincre les membres de l’OPEP de stabiliser ces prix. Si l’accord est renouvelé l’an prochain, cela permettra de renflouer les caisses à Riyad comme à Moscou.

Sur le plan sécuritaire, Riyad se sent encerclé, et cela en grande partie par sa propre faute. Sa diplomatie de pyromane a mis le feu autour de l’Arabie saoudite et lui a fait perdre des pions dans la région. La guerre criminelle qu’elle mène au Yémen avec une coalition de bric et de broc a tué des dizaines de milliers de civils dans l’indifférence totale sans changer grand-chose sur le terrain. Son intervention en Syrie avec les Occidentaux est un échec lamentable. Elle perd du terrain dans les pays arabes comme l’Irak, la Syrie et le Liban face à un Iran agressif et déterminé à retrouver le rôle de puissance régionale qu’il détenait avant la chute de la monarchie en 1979. Enfin, et il faut le faire, l’Arabie saoudite s’est brouillée avec le Qatar, véritable porte-avions américain dans le golfe Persique.

Les discussions entre Poutine et le roi ont donc porté sur tous ces sujets et, à l’évidence, ont donné quelques résultats, dont l’un est très surprenant.

Pour la première fois, Riyad achète des armes russes, dont le fameux système de défense antimissile S400 récemment vendu à la Turquie. Sur la Syrie, les Saoudiens ont laissé tomber leur exigence concernant le départ du président Assad et reconnaissent maintenant que la Russie mène le jeu et que la solution est entre leurs mains. Avec l’Iran, c’est le statu quo, Moscou n’ayant aucun intérêt à abandonner cet allié.

Moscou engrange donc les alliés. Déjà, la Syrie, l’Iran et l’Irak lui sont fidèles. La Turquie se rapproche lentement. L’Égypte est le plus grand importateur de blé russe et a relancé la coopération militaire avec Moscou. Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou est un familier de Poutine. C’est à croire que le chef du Kremlin n’a aucun ennemi dans la région. Il ne faut pas rêver.

La Russie reste une puissance faible. Au Proche-Orient, elle dispose d’une seule base militaire, en Syrie, et ne s’est jamais liée par des traités de défense commune avec les pays de la région, contrairement aux États-Unis, à la France et au Royaume-Uni.

La plupart de ses nouveaux amis sont de fidèles alliés des Occidentaux. Ils achètent surtout des armes occidentales. Le moindre mouvement dans la géopolitique locale et régionale risque de fragiliser les relations entre la Russie et certains de ses nouveaux amis.

Pour l’instant, la Russie gagne, sans doute par défaut. Les Occidentaux ont perdu en crédibilité au moment où la guerre en Syrie a été gagnée par le régime Assad soutenu par la Russie et l’Iran. Les États-Unis sont en retrait, du moins pour le moment. Le président Trump consacre toutes ses énergies à un jeu de massacre où ses alliés, le Canada, le Mexique, l’Allemagne, la Corée du Sud, sont défiés sinon insultés aussi vicieusement que ses ennemis, l’Iran et la Corée du Nord, le sont. Sur la scène intérieure, le président se met à dos son parti, les sénateurs républicains les plus influents, et son secrétaire d’État Rex Tillerson, dont un sénateur a dit qu’il est un rempart entre le président et le chaos.

La Russie n’a ni la vocation ni les moyens de devenir une puissance mondiale. Tout au plus ambitionne-t-elle d’être une puissance avec laquelle il faut compter sur certains dossiers chauds en Europe, au Proche-Orient et en Asie. Elle prend tous les moyens pour y parvenir, et ça marche.

* Jocelyn Coulon a été conseiller politique principal du ministre canadien des Affaires étrangères en 2016-2017.

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