Opinion

L’avenir incertain de l’Algérie

L’Algérie est le plus grand pays d’Afrique, soit un quart de la superficie du Canada et une population légèrement supérieure à la nôtre.

Là s’arrête toute comparaison, même sur le plan francophone puisqu’elle ne fait pas partie officiellement de l’Organisation internationale de la Francophonie. Cette dernière est considérée comme trop harnachée à la France, même si le président Abdelaziz Bouteflika a toujours fait son apparition aux sommets francophones sur invitation solennelle du secrétaire général de l’OIF.

Mais il faut essayer de comprendre l’Algérie avant de déplorer son incurie. Comme tous les pays du Maghreb, elle est plus berbère qu’arabe même si cet aspect identitaire a été souvent réprimé. Mais la grande différence avec l’Algérie, c’est qu’elle a été la seule colonie de peuplement de la région. Même si les raccourcis historiques font état de 1830 comme la prise par la France du territoire aux Ottomans, cette conquête a pris 35 ans de durs combats et par la suite, la population locale a subi une inégalité de traitement profonde en termes de représentation politique et de développement économique et social. Par ailleurs la guerre d’indépendance a été d’une brutalité inouïe jusqu’à ce que le général de Gaulle accepte de l’accorder par les accords d’Évian de 1962.

L’Algérie devait s’engager dans une phase d’arabisation forcenée, récusant toute influence française qui lui aurait permis de profiter de l’émergence du Marché commun européen. Elle se dota d’un système politico-économique inspiré par l’URSS et les expériences de dictature des pays du Machrek, à la sauce stalinienne de surcroît, tout en gardant les yeux sur la France comme un aimant mythique dans le style « je t’aime moi non plus ».

Le pétrole léger, en grande demande, et le gaz sauvèrent l’économie, mais cette richesse n’empêcha pas l’horreur de 10 années de guerre civile entre islamistes du Front islamique du salut et l’armée du régime. Cette guerre est la raison pour laquelle le pays fit l’impasse sur le Printemps arabe, bien que le régime ait eu à lâcher du lest pour satisfaire les islamistes.

Le pays vit encore et toujours dans une atmosphère lourde de tensions sous la botte d’un appareil de sécurité que le régime justifie par la lutte contre le terrorisme.

La sclérose politique que dénoncent les manifestants aujourd’hui – dont il faut saluer le courage – tient à la peur d’un éclatement entre revendications identitaires, religieuses et culturelles.

Dépendance au pétrole et au gaz

Mais c’est sur le plan de l’économie que l’aberration politique risque de provoquer une nouvelle déflagration. En effet, pour comprendre combien la situation économique algérienne est délétère, il suffit de passer en revue huit points précis : 

– Le pétrole et le gaz représentent 97 % des exportations algériennes et 75 % du budget ;

– Pour que le budget de l’Algérie soit équilibré, il faudrait que le baril de pétrole soit à plus de 110 $US ;

– Le fonds de réserve qui avait été créé en 1986 pour parer aux difficultés – un peu comme le fonds albertain – est pratiquement vide ;

– L’économie de rente de l’Algérie est telle qu’elle ne produit pratiquement rien d’autre. Ses dattes sont certainement très bonnes, mais leur exportation ne couvre que les importations de moutarde et de mayonnaise ;

– Le pétrole est entièrement subventionné – le litre d’essence ne coûte que 10 cents. La facture pour l’État est de 70 milliards de dollars ;

– La fonction publique est pléthorique avec des augmentations de salaire insoutenables, mais accordées pour éviter qu’il y ait en Algérie des tentations de Printemps arabe ;

– L’aspect le plus extraordinaire, c’est que les pensions pour les soi-disant pères de la révolution et de l’indépendance représentent 6 % du budget national, presque 60 ans après les accords d’Évian ;

– Il y a eu des investissements massifs dans la construction d’usines de liquéfaction du gaz, mais aujourd’hui, il n’y a plus suffisamment de capacité de production gazière pour alimenter ces usines.

Il n’est donc absolument pas étonnant que la foule manifeste contre la cinquième candidature de Bouteflika.

On peut s’étonner et se féliciter – au moment d’écrire ces lignes – qu’il n’y ait pas eu de répression massive, mais il est difficile de croire qu’elle ne se produira pas si les manifestations s’accroissent. La mémoire de la guerre civile ne suffira peut-être plus à forcer le calme.

La candidature du président Bouteflika a été déposée hier au Conseil constitutionnel, a déclaré son directeur de campagne. Le président algérien s’est néanmoins engagé à ne pas terminer son mandat s’il est réélu le 18 avril prochain.

La momie Bouteflika permet aux militaires et aux services secrets de se partager le pouvoir dans un équilibre instable et ils ne sont pas prêts à le céder à qui que ce soit qu’ils ne seraient pas en mesure de dominer. L’avenir de l’Algérie est loin d’être rassurant.

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