CHRONIQUE

Vous n’aurez pas notre haine…

« Vous n’aurez pas ma haine », affirme le conjoint d’une des victimes du Bataclan dans un message publié sur sa page Facebook, dans la foulée des attentats du 13 novembre.

Il s’appelle Antoine Leiris, il est le père d’un bambin de 17 mois, et son message est d’une poignante intelligence.

« Je ne vous ferai pas le cadeau de vous haïr, dit-il en s’adressant aux assassins de sa femme. Vous l’avez bien cherché pourtant, mais répondre à la haine par la colère serait céder à la même ignorance qui a fait de vous ce que vous êtes. Vous voulez que j’aie peur, que je regarde mes concitoyens avec un œil méfiant, que je sacrifie ma liberté pour la sécurité. Perdu… »

Ce message individuel peut aussi être brandi collectivement, comme réponse à la vague anti-réfugiés qui ne cesse d’enfler depuis une semaine. Ne cédons pas à la haine et à la peur, ne tournons pas le dos aux réfugiés syriens au nom de la sécurité. Car ce faisant, nous tomberions bêtement dans son piège.

On sait aujourd’hui que le passeport syrien trouvé près du stade de France, dans les heures qui ont suivi les attentats, était un faux. Au moins deux autres passeports porteurs d’une même identité ont émergé depuis et ils étaient tout aussi faux. Oui, son détenteur, d’origine inconnue, a pu s’infiltrer en France en suivant la route des migrants. Oui son arrivée a été enregistrée par les autorités grecques sur l’île de Leros. Mais selon ce qu’on en sait, il n’a jamais été reconnu comme un demandeur d’asile, ni enregistré par le Haut commissariat pour les réfugiés.

Or, le Canada choisira « ses » réfugiés parmi ceux que cette agence a déjà interviewés et enregistrés après avoir vérifié leur dossier. Des gens qui, selon toute vraisemblance, croupissent depuis des années dans un des camps établis dans les pays voisins de la Syrie. 

Le HCR priorise les dossiers des femmes qui voyagent seules avec un enfant, des mineurs non accompagnés, des personnes âgées, bref, ceux des personnes les plus vulnérables. Le cas échéant, les candidats à l’asile politique au Canada passeront ensuite au tamis des vérifications de sécurité canadiennes.

En d’autres mots : le risque qu’un homme seul voyageant avec un faux passeport quelque part entre la Grèce et l’Allemagne voie se dérouler le tapis rouge vers le Canada est proche du zéro absolu…

La crainte d’une invasion par des terroristes se faisant passer pour des réfugiés peut paraître légitime, après le choc des attentats. Mais elle n’est pas rationnelle. En même temps, cette crainte fait parfaitement l’affaire de l’EI. Elle tombe pile dans sa stratégie qui vise à stigmatiser les réfugiés et à exacerber les tensions sociales et le rejet des minorités musulmanes en Occident. Tellement pile que l’EI aurait très bien pu choisir de faire voyager un faux demandeur d’asile avec un faux passeport syrien…

Aaron Zelin, chercheur à l’Institut pour une politique du Proche-Orient à Washington, a analysé une douzaine de vidéos publiées par l’EI dans les jours suivant les attentats de Paris. Ces vidéos préviennent les demandeurs d’asile des risques qui les attendent sur la route de l’Europe, et leur enjoignent de se réfugier… dans son « califat », ce territoire qu’il contrôle en Syrie et en Irak, explique Aaaron Zelin dans un article paru dans le Washington Post.

Dans une de ces vidéos, l’EI soutient que seule la vie sur le territoire du « califat » peut rendre les musulmans heureux. Dans une autre, elle qualifie ceux qui fuient ce bonheur de traîtres et d’apostats.

En d’autres mots, l’EI en veut aux musulmans qui choisissent Paris plutôt que Raqqa… Mais en même temps, le groupe djihadiste espère que la méfiance qu’il suscitera en Occident poussera de plus en plus de musulmans à prendre la route en sens inverse.

C’est ce que ses idéologues décrivent comme une stratégie visant à éliminer « la zone grise. » « Après avoir polarisé la société irakienne et syrienne, l’EI espère faire la même chose en Europe en poussant les gens à prendre parti et à se rabattre sur leurs instincts tribaux », écrit Aaron Zelin.

« Pour échapper à la persécution, les musulmans en Occident devront bientôt choisir entre commettre l’apostasie ou se réfugier au califat », écrivent les têtes pensantes de l’EI.

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Pour résumer : plus les sociétés occidentales craindront leurs minorités musulmanes, plus elles les ostraciseront et les rejetteront, et plus elles fermeront les frontières aux nouveaux arrivants – et plus ceux-ci se radicaliseront et se tourneront vers l’islam extrême. C’est en tout cas ce qu’espère l’EI.

Présentés officiellement comme des gestes de représailles, les attentats servent en réalité à ça : nourrir la haine et le ressentiment afin de gonfler le bassin du recrutement au djihad.

Vous avez peur des musulmans et des réfugiés ? Bravo. Vous faites le jeu des terroristes qui espèrent justement cette réaction.

Vous voulez résister collectivement ou individuellement au terrorisme ? Répétez après moi : « Non, vous n’aurez pas notre haine… »

DES CONTRÔLES PLUS STRICTS

AUX ÉTATS-UNIS

Malgré une menace de veto du président américain, la Chambre des représentants a voté en faveur hier d’un projet de loi républicain qui imposera de nouvelles barrières pour les réfugiés syriens et irakiens qui tentent de rejoindre les États-Unis. Si elle a lieu, l’entrée en vigueur de cette loi retarderait l’arrivée de réfugiés de plusieurs mois ou années. Plusieurs démocrates ont soutenu le projet.

— Associated Press

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