Quatre pistes de solution

Répartir les touristes géographiquement

Depuis 2012, le Japon fait la promotion de la route du Dragon, qui sillonne la région de Chübu, pour désengorger l’axe très fréquenté Kyoto-Osaka-Tokyo et mieux répartir les touristes dans le pays. La tactique a toutefois davantage de succès avec les touristes qui en sont à leur deuxième visite dans un endroit donné et qui ont déjà vu les incontournables.

Limiter l’accès

L’interdiction est la mesure la plus radicale pour régler certains problèmes de surtourisme. Elle peut être partielle : on interdira seulement les boutiques de souvenirs ou on limitera le nombre total de visiteurs dans un parc, par exemple. « C’est l’option la plus douloureuse et à employer en dernier recours », prévient-on toutefois dans le rapport de la WTTC. Elle s’applique surtout lorsque des questions environnementales sont en jeu.

Ajuster les prix

Selon le WTTC, les lieux touristiques devraient prévoir, dans le prix du billet d’entrée, une somme pour pallier les dégâts potentiels d’un trop fort achalandage. Le service des parcs nationaux américains songe ainsi à doubler les droits d’entrée de 17 de ses parcs les plus populaires, l’été, pour financer les travaux d’entretien de ses infrastructures dans l’ensemble de son réseau.

Répartir les touristes dans le temps

Deux millions de touristes en deux mois, ce n’est pas comme en douze mois : répartir l’afflux de visiteurs dans le temps améliore l’expérience des touristes – qui aime faire la queue pendant des heures pour visiter un musée ? – tout en ménageant les infrastructures. Mais la mesure a ses limites. Par exemple, le calendrier des croisières est difficile à déplacer en raison de la météo et des périodes de tempêtes.

VOYAGE Surtourisme

Quand le touriste n’est plus le bienvenu

Jamais la population n’a autant voyagé qu’en ce moment. Et jamais ne s’en est-on autant plaint. Oui, la croissance phénoménale de l’industrie touristique soulève peur et colère… Mais des solutions existent.

Vous avez envie d’aller à Amsterdam ?

Très bien. Mais dans les faits, on préférerait de loin que vous alliez voir ailleurs. Rotterdam ? Groningen ?

L’Office de tourisme des Pays-Bas – dont le rôle essentiel vise à accroître le nombre de visiteurs au pays – a décidé de ne plus faire la promotion à l’étranger de sa destination la plus populaire de toutes, Amsterdam, estimant qu’elle compte déjà assez de touristes comme ça : 19 millions par année, pour une population nationale totale de 17 millions de personnes.

Amsterdam est victime d’un mal qui n’avait même pas de nom il y a 10 ou 15 ans encore : le « surtourisme ».

« Dans les années 80, on parlait plutôt des problèmes de “capacité de charge” liés à l’écologie d’un site, remarque Pascale Marcotte, professeure en tourisme à l’Université Laval. Mais on a trouvé un nouveau vocable parce qu’il ne s’adaptait plus à la situation actuelle. » De fait, l’afflux de visiteurs ne menace plus seulement l’environnement, mais aussi le climat social de certains quartiers, de certaines villes, et fait naître des mouvements de révolte. Le touriste est devenu dans certains endroits « persona non grata ». Des communautés se sentent « envahies et dépossédées », dit Pascale Marcotte.

Pourquoi ? Il y a d’abord un effet de masse. On voyage plus que jamais : le nombre de touristes augmente bien plus vite que la population mondiale, et bien au-delà des prévisions officielles. « La réalité, c’est qu’en 1976, un billet d’avion pour aller en France coûtait 1200 $. J’y suis allé cette année pour 650 $ !, note Paul Arsenault, directeur de la Chaire de tourisme de l’UQAM. Le voyage se démocratise. Il n’y a aucun incitatif financier à moins voyager, bien au contraire ! »

Sauf que voilà, le tourisme ne se répartit évidemment pas de façon égale sur toute la surface du globe. L’Islande, par exemple, a connu une hausse de 39 % du nombre de touristes internationaux entre 2015 et 2016 et de 24 % l’année suivante ; quant à l’Asie du Sud-Est, on y a vu une augmentation de 10 % en moyenne l’an dernier, soit trois fois la hausse moyenne globale. Tout le monde semble vouloir aller aux mêmes endroits au même moment.

Les réseaux sociaux sont souvent montrés du doigt pour expliquer le phénomène, entre autres à cause des listes en tout genre qui nomment les 10 endroits qu’il faut voir « dans sa vie, en 2019, avant d’avoir 25 ans », alouette… Même si l’on n’y reste que quelques heures, le temps de prendre des photos, les deux tiers des 18-34 ans choisiraient d’abord et avant tout le lieu de leur prochain voyage en fonction de son caractère « instagrammable » (selon un sondage mené par Expedia en 2017). Ce faisant, 20 pays absorberont à eux seuls 70 % de la croissance du tourisme mondial d’ici 2020, prévoit le Conseil mondial du tourisme et des voyages (WTTC).

L’industrie touristique a toutefois aussi sa part de responsabilité, tempère Pascale Marcotte.

« Pendant très longtemps, des villes comme Barcelone ont travaillé pour avoir plus de touristes, ont investi dans des ports de croisière, des aéroports, etc., pour pouvoir parler de croissance et non pas de décroissance. »

— Pascale Marcotte

Les villes ont récolté ce qu’elles avaient semé, sans toujours prévoir avec acuité les conséquences qu’une telle croissance pourrait avoir sur la population ou les infrastructures. Un exemple parmi tant d’autres : l’augmentation du tourisme aux Philippines est liée à une raréfaction de l’eau potable et à une augmentation des pannes de courant pour la population locale.

Vers un tourisme responsable

Cela dit, l’ampleur de la grogne n’est pas nécessairement liée au nombre de touristes qui visitent un lieu donné, constate le WTTC dans un rapport détaillé sur le sujet. À preuve : Barcelone et Venise, têtes d’affiche des mouvements de protestation, ne sont qu’au 23e et 38e rang des villes les plus fréquentées, derrière d’autres villes où l’on remarque une meilleure cohabitation.

Il faut faire une distinction entre la touristophobie – une aversion pour le touriste – et la tourismophobie – qui constitue plutôt un rejet de l’industrie en soi, remarque Paul Arsenault, de l’UQAM. La première s’explique en partie parce que le touriste est plus visible, « il est beaucoup plus “proche” qu’avant, note Pascale Marcotte. Il ne loge plus seulement dans les hôtels loin du centre, mais directement dans les quartiers résidentiels, avec Airbnb », remarque la professeure.

La « touristophobie » est à décrier avec force, insiste Paul Arsenault. La tourismophobie, elle, peut être adoucie avec des mesures d’apaisement établies notamment de concert avec la population locale et en sensibilisant les touristes aux us et coutumes locaux. « Il y a aussi des notions de civisme de base à respecter », note Paul Arsenault. À Amsterdam, l’office de tourisme a dû diffuser une série de consignes aux visiteurs… incluant celle de ne pas piétiner les célèbres tulipes en les photographiant !

« Vous pouvez encore visiter des destinations “surfréquentées” de façon responsable, observe ainsi Olivia Ruggles-Brise, directrice des stratégies du WTTC. N’y allez pas aux heures de pointe, dormez en périphérie du centre touristique, restez assez longtemps sur place, achetez localement et sortez des sentiers battus. Venise a besoin du tourisme et arrêter d’y aller ne réglera pas le problème à long terme. »

« Il ne faut pas arrêter de voyager », confirme même Rodolphe Christin, qui a pourtant signé le Manuel de l’antitourisme. « L’homme a toujours voyagé, c’est une réalité anthropologique. Mais il faut retrouver une forme de voyage au long cours. On ira une fois dans sa vie à Venise, trois mois au lieu de 24 heures, dit-il. Il faut opposer le tourisme – qui est une opération commerciale – au voyage, une vraie recherche de connaissance de l’autre et de soi. »

Il faut faire de la place aux destinations « moins glamour », au « slow travel », insiste Pascale Marcotte, et « ne pas passer en coup de vent ». Prendre le temps de se perdre, comme l’écrivait Nicolas Bouvier : « Lorsqu’on s’égare, les projets font place aux surprises et c’est alors, mais alors seulement que le voyage commence. »

1,4 milliard

Nombre de touristes internationaux (qui séjournent au moins une nuit à destination) enregistrés en 2018, en hausse de 6 % par rapport à 2017.

1 sur 10 

Nombre d’emplois reliés directement ou indirectement au tourisme ; cette industrie génère 10 % de l’économie mondiale.

Source : Organisation mondiale du tourisme

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