Éditorial

Créer dans un camion de déménagement

Montréal est une ville créative. La preuve, tout le monde le dit !

En fait, il y a pas mal de gens qui se disent créatifs – les entrepreneurs culturels, les développeurs du numérique et les autres adeptes de l’innovation. Ils se vendent bien, tellement que la semaine dernière, l’administration Plante lançait le RDV Accélérer Montréal, qui les financera.

Tout cela est juste et bon. Reste que le mot « créativité » devient un gros panneau-réclame qui cache l’essentiel. Il fait oublier qu’à la base de notre ville de culture, il y a ceux qui font la culture. Il y a cette espèce que l’on nomme communément « l’artiste ».

Montréal s’en sert pour vendre son image de marque, mais elle les oublie pour leur demande la plus minimale : quatre murs et un toit sous lequel travailler.

On en a un bel exemple à nouveau avec la vente du 305 Bellechasse Est, dans Rosemont, qui héberge une cinquantaine d’artistes, artisans et autres travailleurs indépendants. L’histoire qui s’y déroule est hélas trop fréquente.

Des artistes investissent un quartier. Ils le développement sur le plan culturel, économique et humain, et contribuent à en faire un milieu de vie attrayant. La demande augmente, ce qui attire les promoteurs. Ils achètent les édifices et les convertissent en condos ou bureaux luxueux. Les baux de ces petits travailleurs, qui ne sont pas protégés par la Régie du logement, explosent. Alors ils déménagent, avec la perte de temps et d’argent que cela suppose.

C’est arrivé dans le Mile End, et ça pourrait se répéter dans le Mile-Ex, dans Hochelaga-Maisonneuve, Saint-Henri et maintenant sur Bellechasse, lors de la prochaine révision des loyers. Ils risquent de prendre à nouveau leur baluchon pour recommencer ailleurs, en sachant que d’ici quelques années, ils chercheront une nouvelle adresse.

Certains sont rendus dans le secteur Chabanel, derrière le Marché l’Acadie. S’ils contribuent suffisamment à revitaliser le quartier, ils devront bientôt payer plus cher ou rappeler le déménageur.

Pourtant, le développement de la ville ne devrait pas être soumis à la loi de l’offre et de la demande. Le marché n’est pas le meilleur urbaniste…

Ce problème ne se limite pas à Montréal. Les autres grandes métropoles le vivent aussi. Certaines, comme Toronto, agissent en offrant des locaux au rabais comme au 401 Richmond.

On ne peut pas dire que Montréal ne fait rien. Depuis 2007, l’OBNL Ateliers créatifs cherche des solutions sur le terrain. En 2012, un Fonds a été créé pour aider les ateliers. Le maire Coderre avait aussi adopté une politique pour protéger les lieux de création.

Reste que les dernières interventions n’ont pas tout à fait fonctionné. Par exemple, en 2013, Québec et Montréal annonçaient une entente « historique » avec l’acheteur du 5455, De Gaspé, qui s’engageait à réserver des ateliers d’artistes sur quatre étages en échange d’une aide pour de petits travaux. Or, trois années plus tard, la valeur de l’édifice a explosé, et le prix des loyers a suivi…

Face à ces irritants, Projet Montréal proposait l’année dernière plusieurs engagements pour que le cœur de notre ville créative obtienne le minimum : un endroit où travailler.

Cela adonne bien, sa chef Valérie Plante a été élue. Et grâce aux nouvelles lois 121 et 122 adoptées il y a un an, elle possède maintenant de nouveaux pouvoirs. La Ville peut désormais créer une nouvelle catégorie d’immeuble à vocation culturelle, avec un compte de taxe allégé.

Montréal pourrait aussi mettre à la disposition des artistes des bâtiments publics inutilisés, ou offrir aux promoteurs privés des dérogations règlementaires (comme construire en hauteur) en échange de locaux réservés aux artistes.

Cela pourrait même devenir un investissement. Car avec la revitalisation des quartiers, la Ville fait le plein de taxes foncières.

Peu importe la solution, la logique devrait rester la même : aider les artistes, artisans et petits travailleurs indépendants à se prendre en main, à se financer collectivement pour occuper un espace de façon prévisible et durable. Et permettre à Montréal de se vendre la tête haute comme métropole créative.

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