ÉDITORIAL VIOLENCE ENVERS LES FEMMES AUTOCHTONES

De la colère à l’action

S’il veut faire toute la lumière sur les violences subies par les femmes autochtones, le gouvernement Couillard doit commencer par ouvrir les yeux.

Depuis une semaine, son plan d’action se résume ainsi : se cacher derrière la commission d’enquête fédérale, et ne pas faire grand-chose en même temps…

M. Couillard a d’abord proposé une vague « table de concertation ». Mais avant de lancer cette idée, il aurait dû consulter les communautés touchées. Acculé au mur, il accepte maintenant de le faire. Il a parlé hier avec le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, et d’autres entretiens sont prévus dans les prochains jours.

La pression augmente pour déclencher une enquête judiciaire québécoise sur les relations entre les femmes autochtones et les policiers (violences sexuelles, abus de pouvoir et autres formes de discrimination). Québec refuse de bouger, en invoquant que le fédéral fait déjà ce travail avec la nouvelle commission d’enquête lancée sur les femmes autochtones tuées et disparues. Cette excuse ne convainc pas.

Certes, la commission fédérale se penchera entre autres sur le Québec, et son mandat inclut maintenant les violences sexuelles. Mais le Canada est un vaste pays, et le temps de la commission sera limité.

Le gouvernement Couillard pourrait rétorquer que la commission pourra compléter cet examen, car les causes sont en partie déjà connues. Mais si c’est le cas, cela signifie qu’on les connaît aussi déjà assez pour trouver des solutions ! Or, Québec n’a encore rien proposé pour mieux former les policiers et protéger les femmes.

Le refus de Québec aurait également été plus crédible si les policiers étaient eux aussi prêts à agir. Mais contrairement à la Gendarmerie royale du Canada, la Sûreté du Québec (SQ) refuse de reconnaître la discrimination envers les autochtones.

***

À la suite du reportage de Radio-Canada sur les agressions sexuelles et abus de pouvoir de la SQ à Val-d’Or, une enquête policière indépendante a été lancée. Il y avait 38 dossiers (31 victimes, dont 21 femmes autochtones). Seulement deux ont mené à des accusations.

Ce n’est pas à cause du travail d’enquête, qui était exemplaire*. C’est par manque de preuve. Par exemple, dans certains cas, les victimes ne réussissaient pas à identifier un agresseur.

Mais il ne faut pas en rester là. La justice criminelle est nécessaire, mais non suffisante. Elle permet d’identifier les individus coupables, mais pas les causes sociales profondes du racisme et de la vulnérabilité de ces femmes.

On comprend donc que le ménage ne se fera tout seul, et que la commission fédérale peinera à l’accomplir à elle seule. Il faut quelque chose de plus.

Mais est-ce une enquête publique québécoise ? Ce n’est pas si évident. Il faut éviter la tentation de refaire l’enquête policière ou de dédoubler la commission fédérale.

Pour trouver la bonne formule, deux questions se posent. D’abord, quels aspects risquent d’être négligés par la commission fédérale, dont les travaux ne sont pas commencés ? Et ensuite, quel serait le meilleur mécanisme pour compléter ce travail ?

Peut-être qu’il s’agit d’une enquête avec un mandat pointu ou d’une vérification auprès d’un corps de police. Peut-être qu’il s’agit au contraire d’une consultation plus vaste de justice réparatrice traditionnelle, sur le modèle des « grands cercles de guérison » ou de la « vérité et réconciliation », pour que les femmes puissent raconter leurs histoires.

Il faut à la fois prendre le temps de documenter ces problèmes et adopter sans délai des mesures concrètes (formation policière, aide aux femmes vulnérables). Car la colère justifie de passer à l’action.

* C’est ce que démontre le rapport de Fannie Lafontaine, professeure de droit à l’Université Laval et observatrice indépendante de l’enquête sur la Sûreté du Québec.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.