protection de la jeunesse

Sauvé par la DPJ

Le documentaire Les voleurs d’enfance de Paul Arcand sur les ratés du système québécois de la protection de la jeunesse a ébranlé Nicolas Zorn. Mais pas comme vous l’imaginez. Entrevue avec un « profiteur du système » – il se qualifie lui-même ainsi – dont la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) n’a pas bousillé l’existence. Au contraire.

À l’école primaire, Nicolas Zorn sortait les poings à la moindre contrariété. Une fois, il a tenté d’étrangler un camarade de classe qui venait de le taquiner dans l’autobus scolaire.

Une autre fois, il a frappé un professeur en plein ventre. Il était si agressif et imprévisible qu’on a fini par lui interdire de dîner à l’école, de passer ses récréations avec les autres et même de monter à bord de l’autobus scolaire.

À la maison, ce n’était guère mieux. Incapable de faire le deuil de son père mort subitement lorsqu’il avait 8 ans, Nicolas déversait souvent sa colère sur sa mère. Un jour, il l’a même menacée à la pointe d’un couteau.

À 11 ans, après qu’il eut démoli sa chambre pour une énième fois, sa mère l’a menacé d’appeler la police s’il ne se calmait pas. Il l’a alors mise au défi de le faire en réclamant du même coup d’être placé en famille d’accueil.

Ce jour-là, Nicolas a été confié à la DPJ. Véritable bombe à retardement, il n’est pratiquement pas ressorti des centres jeunesse avant ses 18 ans.

À chacun de ses épisodes de liberté, il s’est enfoncé plus profondément dans la délinquance (agression armée, consommation de drogues dures, introduction par effraction).

Mais malgré ses frasques, ses crises et ses rechutes, ses éducateurs en centre jeunesse n’ont jamais baissé les bras.

Sans le soutien indéfectible des éducateurs de la DPJ auprès desquels il a appris à gérer son impulsivité, Nicolas Zorn est convaincu qu’il aurait connu un sombre destin. « J’étais en naufrage », se rappelle l’homme qui a aujourd’hui 32 ans.

Plutôt que de finir en prison, Nicolas Zorn est devenu chercheur en science politique. Le trentenaire fait actuellement son doctorat à l’Université de Montréal tout en travaillant comme analyste de politiques à l’Institut du Nouveau Monde.

« Voleurs d’enfance » ou sauveurs ?

Avant de visionner le documentaire Les voleurs d’enfance de Paul Arcand, le chercheur n’avait jamais eu l’intention de faire son « coming out » sur son passé d’« enfant de la DPJ ». Or, ce film-choc sur les ratés du système québécois de protection de l’enfance sorti en 2005 l’a profondément irrité. Il lui consacre d’ailleurs tout un chapitre dans son livre publié ces jours-ci : J’ai profité du système – Des centres jeunesse à l’université : parcours d’un enfant du modèle québécois.

« Dans le film, mis à part les lieux physiques, je ne reconnaissais pas du tout les centres jeunesse tels que je les ai connus, explique M. Zorn en entrevue à La Presse. Les centres y sont dépeints comme s’ils faisaient partie du problème. »

« Selon mon expérience et mes recherches, les centres jeunesse n’empirent pas la vie des jeunes qui y entrent. Au contraire, ils font partie de la solution. »

— Nicolas Zorn

Le chercheur trouve que les éducateurs – et les centres jeunesse en général – ont été injustement malmenés dans le documentaire qui, à ses yeux, manquait cruellement de nuances.

« Le portrait général [des centres jeunesse] se rapproche davantage d’un système efficace, mais perfectible, plutôt que d’un goulag flirtant avec une théorie du complot », conclut-il d’ailleurs dans son livre mi-essai, mi-autobiographie.

Ado, lorsqu’il était en crise, Nicolas Zorn a été amené à plusieurs reprises de force dans les salles d’isolement critiquées dans le film. « Quand on est hors de contrôle et qu’on représente un danger pour nous-même et pour les autres, les éducateurs ne peuvent quand même pas nous passer une camisole de force. Elles sont nécessaires », plaide le chercheur.

Paul Arcand a indiqué à La Presse qu’il préférait s’abstenir de commenter puisqu’il n’avait pas lu le livre de M. Zorn.

Seconde chance

Au-delà des centres jeunesse, Nicolas Zorn affirme qu’il a réussi dans la vie grâce aux « secondes chances » que le « modèle québécois » accorde à ses citoyens.

À 18 ans, comme bien des « enfants de la DPJ » qui doivent quitter le centre jeunesse, il est parti « sur une dérape ». Il a flambé l’héritage de son père en se livrant à un marathon sans fin de consommation de drogues et d’alcool. Or, grâce à une conseillère en orientation, il a atterri dans un programme spécialisé pour décrocheurs qui lui a permis de terminer son secondaire.

Une fois au cégep, il a découvert l’implication militante et citoyenne. Trop pris dans différentes luttes étudiantes, il n’a pas réussi à obtenir son DEC, mais il a quand même été admis à l’UQAM en communication et politique. C’est grâce aux droits de scolarité peu élevés, à un système généreux de prêts et bourses et à la souplesse d’une université comme l’UQAM qu’il s’est rendu au doctorat, fait-il valoir.

« Je souhaite que les attaques récurrentes contre le modèle québécois ne feront pas en sorte que les jeunes qui vivront une expérience comme la mienne seront davantage laissés à eux-mêmes. Comme tant d’autres, j’ai profité du système, et c’est le Québec en entier qui en profite aujourd’hui à son tour. »

— Extrait du livre de Nicolas Zorn

Un juge a d’ailleurs récemment conclu que la réforme du ministre de la Santé Gaétan Barrette a causé des torts aux enfants de la DPJ.

« Le ministre Barrette et sa collègue Lucie Charlebois – ministre responsable des centres jeunesse – auraient intérêt à lire mon livre pour comprendre à quel point les interventions auprès des jeunes sont complexes et doivent être soutenues, dit M. Zorn. Avec les coupes et les fusions des dernières années, les éducateurs, qui avaient déjà beaucoup de pression sur les épaules, se plaignent de manquer de temps pour bien faire leurs interventions. »

« J’ai coûté au moins 400 000 $ »

D’après un administrateur de la DPJ que le chercheur a consulté, son séjour dans les centres jeunesse et les foyers de groupe a coûté plus de 400 000 $ à l’État, sans compter les services de psychologues et de travailleurs sociaux, les programmes pour décrocheurs, les faibles coûts pour ses études postsecondaires et les prêts et bourses.

Cet investissement sera « largement profitable », selon M. Zorn, puisqu’il calcule qu’il versera près de 450 000 $ de plus en impôts, en taxes et en cotisations sociales pendant sa vie active que ce qu’il aurait fait s’il était resté décrocheur. « S’ajoute à ça le fait que je vais possiblement injecter près de 1,7 million de dollars de plus dans notre économie », insiste-t-il. 

« On oppose souvent la logique comptable aux principes ; le discours populaire voulant que c’est bien beau, la justice sociale, la redistribution des richesses, etc., mais qu’on n’a pas les moyens comme société de se payer ça, explique le chercheur. Avec mon exemple, je voulais faire la démonstration que même en utilisant une logique comptable, investir dans les centres jeunesse, les programmes pour décrocheurs, le système d’éducation, la solidarité sociale, c’est rentable. »

Aujourd’hui, Nicolas Zorn se dit « fier » de payer des impôts pour redonner à la société dont il a tant « profité ».

J’ai profité du système – Des centres jeunesse à l’université : parcours d’un enfant du modèle québécois

de Nicolas Zorn,

publié aux éditions Somme toute, sort en librairie le 25 avril.

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