Crise diplomatique

La Chine interdit les importations de porc et de bœuf canadiens

En froid avec Ottawa, la Chine choisit la ligne dure et suspend totalement toutes ses importations de produits de porc et de bœuf canadiens à la suite de la découverte de la production de faux certificats d’exportation de viande vers Pékin. L’Agence canadienne d’inspection des aliments enquête sur ce qu’elle qualifie « de problème technique ».

Ce nouveau coup d’éclat survient alors que le premier ministre Justin Trudeau s’envole aujourd’hui pour le sommet du G20 à Osaka, au Japon, où il espère que le président américain Donald Trump lui donnera un sérieux coup de main pour sortir le Canada de la profonde crise diplomatique et économique avec la Chine.

Cette sanction pourrait porter un coup dur aux producteurs de porc du Québec. L’an dernier, le Québec a exporté du porc pour une valeur de 283 millions vers la Chine.

Selon une déclaration publiée sur le site internet de l’ambassade de Chine au Canada, la suspension des importations est liée à la découverte de 188 certificats vétérinaires contrefaits attestant de la santé de porcs.

L’enquête aurait été menée par le Canada à la demande de la Chine, ce qu’Ottawa n’a pas été en mesure de confirmer. Elle découlerait d’une plainte des autorités chinoises selon laquelle une cargaison de produits de porc aurait été contaminée à la « ractopamine ».

Le chlorhydrate de ractopamine est un produit qui peut être donné sous forme de nourriture aux porcs et aux bœufs afin d’améliorer leur gain de poids et leur teneur en viande maigre. Il est interdit en Chine, mais permis au Canada.

Des failles « évidentes »

L’empire du Milieu considère que cette découverte « reflète » le fait que le système d’inspection canadien de la viande destinée à l’exportation comporte des failles « évidentes ».

« Afin de protéger les consommateurs chinois, la Chine a pris une mesure urgente de prévention et demandé au gouvernement canadien de suspendre l’émission de certificats pour les viandes exportées en Chine à partir du 25 juin. »

— Le consulat général de la République populaire de Chine à Montréal dans un courriel envoyé à La Presse hier soir

La ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, Marie-Claude Bibeau, a confirmé hier que l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) menait une enquête.

« L’Agence a identifié un problème ayant trait à de faux certificats d’exportation qui pourrait avoir une incidence sur les exportations de produits du porc et du bœuf vers la Chine. L’ACIA a pris des mesures pour remédier à la situation et continue de travailler en étroite collaboration avec des partenaires de l’industrie et les autorités chinoises », a-t-elle indiqué dans une brève déclaration.

Pékin, qui a déjà bloqué les exportations de canola canadien, serrait depuis peu la vis à l’industrie porcine.

La semaine dernière, La Presse canadienne a rapporté que l’entreprise québécoise Frigo Royal, établie à Saint-Hyacinthe, était dans la ligne de mire de la Chine pour avoir utilisé la ractopamine. Le bureau de Mme Bibeau n’a pas voulu confirmer hier le nom des exportateurs fautifs.

« Très mauvaise nouvelle »

« C’est une très, très mauvaise nouvelle », a indiqué le président des Éleveurs de porcs du Québec, David Duval, en entrevue avec La Presse. « Le gouvernement canadien doit prendre cela très au sérieux pour l’industrie du porc canadien », ajoute-t-il.

Le Canada exporte près de 70 % de sa production de porc.

La Chine arrive au troisième rang des pays importateurs, après les États-Unis et le Japon.

M. Duval s’étonne par ailleurs de la découverte de ractopamine dans des produits de porc canadiens. Dans les faits, dit-il, le produit n’est plus utilisé par les producteurs depuis 10 ans.

Les producteurs de bovins du Québec n’ont pas voulu commenter la décision de Pékin à ce stade.

« Pas une coïncidence »

Pour l’ex-ambassadeur du Canada en Chine Guy Saint-Jacques, il ne fait aucun doute que cette nouvelle sanction est une autre mesure de représailles imposée pour accroître la pression sur le Canada et le premier ministre Justin Trudeau, à la veille d’un sommet international. « Ce n’est pas une coïncidence », soutient M. Saint-Jacques.

« Les Chinois sont des experts dans l’utilisation de mesures sanitaires pour interdire des importations. […] Je trouve ça très peu crédible qu’il y aurait eu un problème de cette envergure-là », ajoute-t-il.

« Il y a eu des incidents dans le passé avec la Chine et nos exportateurs font le maximum pour s’assurer de respecter les règlements chinois. »

— Guy Saint-Jacques, ex-ambassadeur du Canada en Chine

Ottawa est empêtré dans une crise diplomatique avec Pékin depuis l’arrestation controversée de la haute dirigeante de Huawei, Meng Wanzhou, à la demande des autorités américaines, en décembre dernier à Vancouver. Deux Canadiens sont notamment détenus de façon « arbitraire » en Chine depuis bientôt sept mois.

Lors de la visite éclair de Justin Trudeau à Washington la semaine dernière, le président américain a dit qu’il ferait « tout ce qu’il peut » pour aider le Canada, en plus d’assurer qu’il allait « bien représenter » M. Trudeau s’il n’arrivait pas à rencontrer le président chinois Xi Jinping en marge du G20. Donald Trump a pour sa part un entretien au programme avec le leader chinois.

« Le seul espoir à court terme pour le Canada, c’est cette rencontre qui aura lieu entre M. Trump et Xi Jinping », admet Guy Saint-Jacques. « Il faut espérer que M. Trump va soulever la question des sanctions et des deux Canadiens emprisonnés en rappelant que le Canada ne fait qu’exécuter une demande d’extradition qui provient des États-Unis. »

Le président américain cherche à reprendre le dialogue avec la Chine pour négocier un nouvel accord économique. Selon M. Saint-Jacques, si les discussions reprennent entre les deux puissances mondiales, il se pourrait bien que l’affaire Huawei soit une clé.

Si, par exemple, les États-Unis abandonnaient les accusations contre Meng Wanzhou, soupçonnée, entre autres, d’avoir violé les sanctions contre l’Iran, le processus d’extradition serait suspendu. Il s’agirait du meilleur scénario pour Ottawa, estime M. Saint-Jacques.

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