Soccer

De réfugié à joueur professionnel

Nevello Yoseke a oublié le nom de l’équipe face à laquelle il a fait sa première apparition en USL, le 29 août dernier. Mais en entrant à huit minutes du terme de la rencontre – sur le terrain des Islanders de Harrisburg City –, le défenseur gauche/milieu défensif du FC Montréal se souvient très bien de la sensation qui l’a envahi.

Il s’est remémoré le parcours qui l’a mené de son Soudan natal jusqu’à Montréal en passant par un camp de réfugiés, en Égypte, puis par Ottawa. Il a eu une pensée pour sa famille et revu, en accéléré, les 19 premières années de sa vie dont les obstacles l’ont prématurément fait basculer de l’enfance à l’âge adulte.

Parmi ses intérêts extra-sportifs, Yoseke est d’ailleurs bien loin des clichés habituels. Oui, il aime les jeux vidéo ou la danse, mais il est également avide de lecture sur la politique internationale et, notamment, sur les événements actuels en Syrie. Mieux que quiconque, il comprend la démarche de millions de personnes qui cherchent à construire un avenir meilleur en quittant ce bout du Moyen-Orient.

Avec sa mère et ses quatre frères et sœurs, c’est le Soudan qu’il a quitté à un jeune âge. De ce pays déchiré par la guerre civile, il se souvient surtout de la mort de son père. Il se rappelle aussi un quotidien rythmé par une peur permanente où il n’était même pas possible d’imaginer aller à l’école. Puis à 4 ans est survenu le premier grand déménagement, vers l’Égypte.

« On a pris le bateau et on s’est enfui du Soudan en pensant qu’on se rendait dans un endroit meilleur, que l’on quittait un pays sombre pour un autre pays où il y aurait de l’espoir. Mais les choses n’ont fait qu’empirer. »

— Nevello Yoseke

TORTURE EN ÉGYPTE

Le traumatisme est encore palpable quand il évoque la vie dans le camp de réfugiés, près du Caire, et, surtout, ses journées d’école. « Ce n’est pas comme au Canada où on veut t’apprendre des choses et faire en sorte que tu aies un avenir radieux. C’était une torture en Égypte. Si tu répondais à l’instituteur ou si tu avais une mauvaise note, il te frappait devant tout le monde. La pire chose que j’ai eu à traverser, c’est quand ma jumelle, Neveen, s’est fait battre par un professeur. Je ne pouvais pas réagir, je pouvais seulement la regarder se faire battre. » 

Il enchaîne ensuite sur quelques-uns des châtiments corporels subis : les coups de règles de bois sur les jointures ou la flagellation au moyen de tuyau d’arrosage. Pour réduire la douleur, il enfilait discrètement plusieurs couches de sous-vêtements. Parce qu’ils étaient noirs et chrétiens, sa famille et lui ont plusieurs fois été victimes de jets de pierre, ajoute-t-il.

Durant cette période difficile, il a aussi très peu vu sa mère, qui travaillait de 5 h le matin jusqu’à minuit, comme femme de ménage. Yoseke a traversé ces six années sans joie et sans véritable espoir de voir sa condition évoluer pour le mieux. 

Jusqu’à une nuit où il n’a d’abord pas saisi la portée des mots de sa maman qui, pour une fois, avait troqué sa mine triste pour un regard plein d’espoir. « C’était la première fois que je voyais ma mère heureuse. Elle est revenue en nous disant qu’on allait partir pour un pays qui s’appelait le Canada. Comme on n’apprenait pas la géographie des autres pays et que, selon moi, on n’apprenait rien à l’école, on ne savait rien du Canada. Mais ma mère était contente et pleurait. Moi, je me disais qu’on était parti du Soudan pour l’Égypte sans que cela s’améliore et que, maintenant, on allait se rendre dans un endroit du même genre. »

Les portes du Canada se sont ouvertes par l’entremise du programme de parrainage des réfugiés. Le saut dans l’inconnu, à Ottawa, s’est toutefois accompagné de quelques craintes pour celui qui ne connaissait pas un mot d’anglais. « Dans les premiers mois, mes plus grands défis ont été la barrière de la langue, l’école et les gens, en général. J’étais habitué à n’être aimé que par ma famille, mes meilleurs amis et quelques amis ici et là tandis que les autres ne me traitaient pas bien. Je ne savais pas comment les Canadiens allaient me traiter ou me percevoir. »

L’AMOUR DU SOCCER

Pour son premier Noël à Ottawa, Yoseke a reçu un bâton de hockey. Mais il avait depuis longtemps déclaré sa flamme au ballon rond. Le soccer est ma fiancée, a-t-il déjà déclaré en entrevue. Au-delà du simple amour, le soccer était un moyen de s’extirper de la réalité. Peu importe s’il devait jouer avec une bouteille d’eau en guise de ballon (« Je sais que ça paraît fou, mais, crois-moi, on prenait tellement de plaisir ») ou si la sphère était composée de plusieurs chaussettes l’une dans l’autre. 

« Je suis vraiment tombé amoureux de ce sport, lance-t-il en se rappelant ses premiers duels, en Égypte. Autant les choses pouvaient aller mal, autant je me sentais heureux quand je jouais au soccer. C’était fou de voir que je pouvais m’entendre avec les autres enfants alors qu’à l’extérieur des matchs, ce n’était pas le cas. »

C’est à Ottawa, avec l’Internationals, que Yoseke a porté les couleurs d’une équipe pour la première fois. Lui qui était habitué aux libertés du soccer de rue a dû s’adapter aux impératifs collectifs et à l’importance de faire les bons mouvements sur le terrain. À l’âge de 15 ans, nourri aux vidéos sur YouTube et au soccer européen, il a compris que sa passion pourrait le mener vers une carrière professionnelle. Il a notamment fait un stage avec le club brésilien de Cruzeiro, puis disputé la Coupe du monde des moins de 17 ans avec la sélection canadienne, en 2013. 

Entré dans les rangs de l’Académie de l’Impact, cette même année, il a gravi les échelons pour atteindre le niveau USL au cours de l’été. Il a même eu l’occasion de participer à quelques entraînements de l’Impact dans les derniers mois. Il y a alors vu un certain Didier Drogba. 

« Tout le monde l’aime en Afrique et, non seulement j’ai eu la chance de m’entraîner avec lui, mais il m’a aussi parlé à quelques reprises. Je n’oublierai jamais ça. J’ai une photo avec lui, et ma mère s’est mise à pleurer quand je la lui ai montrée. Il est sa grande idole. Pendant toutes les Coupes du monde, elle le suivait comme une folle. »

— Nevello Yoseke à propos de Didier Drogba

Yoseke a maintenant les yeux rivés sur l’Impact. Pour franchir la dernière étape, il admet devoir améliorer sa technique et mieux comprendre la position d’arrière gauche qu’il a récemment découverte. Mais qu’il parvienne au sommet de la pyramide professionnelle ou non, il espère que son parcours se rende, un jour, aux oreilles du peuple soudanais et que son cas serve d’espoir.

« Certaines choses ne sont pas encore réglées au Soudan. Un jour, j’espère être en mesure d’y retourner et d’aider à mettre fin à la guerre pour que les Soudanais s’aiment les uns les autres. Comme Drogba l’a fait en Côte d’Ivoire. »

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