psychologie

Frousses financières

L’argent vous fait-il peur ? La vue d’un relevé bancaire provoque-t-elle frissons et sueurs froides ? La Presse a approfondi la question avec le psychologue et vice-président de Phobies-Zéro Camillo Zacchia ainsi qu’avec la conseillère financière Nathalie Bachand, du cabinet Bachand Lafleur, groupe conseil.

La peur d’en manquer

Quand un client franchit la porte du bureau de Nathalie Bachand, elle sait en peu de temps s’il s’agit d’une personne anxieuse face à l’argent. Non seulement les chiffres des comptes de banque ne mentent pas, mais le discours non plus.

«  Certains clients viennent me consulter pour une planification de retraite, relate-t-elle, parce qu’ils ont peur de ne pas avoir assez d’argent pour leurs vieux jours. Mais ce n’est pas une planification de retraite dont ils ont besoin, c’est d’une planification de succession ! C’est évident qu’ils vont mourir avec des millions en banque. Et ces clients-là n’ont pas gagné à la loterie ni hérité d’une grosse somme. Je me demande même comment ils ont pu en accumuler autant avec le salaire qu’ils faisaient.  » 

La source de cette peur maladive de manquer d’argent se trouve parfois dans l’enfance, dans un foyer où l’on a eu faim, remarque la conseillère. Ou encore dans une pénible expérience vécue par un proche.

« J’ai une cliente qui me répète régulièrement : “Je ne veux pas finir dans un demi-sous-sol  !” Ça veut tout dire. »

— Nathalie Bachand, conseillère financière

Quelqu’un qui vérifie plusieurs fois par jour son relevé de compte et frôle la crise cardiaque si le solde baisse d’à peine quelques dollars souffre d’anxiété reliée à l’argent. Selon le psychologue et vice-président de Phobies-Zéro, Camillo Zacchia, ce sont souvent des gens qui ont une anxiété généralisée.

« Ils s’inquiètent pour tout et tout le temps, parce qu’il y a toujours un désastre potentiel qui leur pend au nez chaque jour de leur vie. Ce sont des gens qui ont une intolérance à l’incertitude. C’est sûr que si on économise de l’argent, on diminue les risques d’en manquer, mais on doit quand même vivre avec l’incertitude : ce n’est pas garanti qu’on ne fera jamais faillite. Le problème avec les gens qui souffrent d’anxiété, c’est que même s’ils accumulent beaucoup d’argent, ils ne se sentent jamais bien. »

La peur d’en avoir

Cumuler deux hypothèques, un prêt auto et un prêt bateau ne les effraie pas. Ils dégainent la carte de crédit plus vite qu’un clic de souris. Le livreur de paquets les reconnaît tout de suite dans la rue. Ils sourcillent une fraction de seconde à la vue d’une facture en souffrance, et puis l’oublient…

«  Quand il y a une tempête de neige, certains automobilistes ne prennent pas leur véhicule, plusieurs diminuent leur vitesse alors que d’autres foncent à 120 km à l’heure dans la neige sans s’inquiéter, expose le psychologue Camillo Zacchia. Pourquoi  ? Ces gens-là ont tout simplement moins d’anxiété que d’autres. Moins que les anxieux qui laissent leur auto à la maison. C’est la même chose avec l’argent.  »

La tendance à s’inquiéter ou non est une question de tempérament, affirme le psychologue. Le tempérament influence le niveau d’anxiété d’une personne, sa capacité à s’adapter aux situations nouvelles et le degré d’intensité de ses émotions. «  Le tempérament, c’est inné. On est tous nés avec un type de tempérament. On le remarque d’ailleurs dès la petite enfance chez nos enfants, nos frères et nos sœurs.  »

«  Je vois tout de suite si mes clients sont des cigales ou des fourmis, affirme la conseillère Nathalie Bachand. En cinq minutes, je sais que le plan des clients de type cigale ne marchera pas. Certains veulent prendre leur retraite à 55 ans. Quand je leur demande : “Est-ce qu’on peut penser que les dépenses vont baisser éventuellement  ?”, ils me répondent : “Oh  non  !". Les gens s’imaginent qu’ils sont corrects, mais ils ont 500 000 $ d’accumulés en tout pour la retraite et dépensent 100 000 $ par année. C’est sûr que ça ne marchera pas.  »

Pour Nathalie Bachand, le diagnostic n’est pas long à poser. Outre les pertes d’emplois, la maladie et autres coups durs, si quelqu’un n’accumule pas d’argent, c’est parce que ses dépenses sont trop élevées par rapport à ses revenus.

La conseillère a observé que plusieurs clients agissent en réaction aux comportements de leurs parents. Si ces derniers réduisaient à outrance les dépenses alors qu’ils avaient de bons salaires, les enfants vont avoir tendance à dépenser tout ce qu’ils ont.

La peur d’avoir honte

«  Un conseiller financier très apprécié a investi dans une entreprise qui a fait faillite, raconte le psychologue Camillo Zacchia. Ce conseiller a plus souffert de la honte que de ses pertes financières. »

« Pour lui, c’était inconcevable qu’un expert en finances puisse faire une telle erreur. Qu’allaient penser ses clients ? Et l’entourage ? »

— Camillo Zacchia, psychologue

La peur d’avoir honte fait partie d’une liste infinie de peurs que le psychologue regroupe en trois catégories de menaces. «  La menace à l’esprit – peur de perdre la tête –, la menace physique – peur de la mort ou de la maladie –, et la menace à l’image. Le conseiller souffrait beaucoup de cette menace à l’image, de cette peur du jugement des autres et de faire rire de lui.  »

Selon la dernière étude de la Société Financière Manuvie, 46 % des conseillers financiers estiment qu’il est difficile pour les personnes souffrant de problèmes de santé financière d’en parler, surtout en raison de la honte ou de l’embarras qu’ils éprouvent.

«  Il y a beaucoup de gens qui ne se sont pas occupés de leurs finances, soit par manque d’intérêt ou parce que c’est trop complexe, soutient Nathalie Bachand. Il y a un sentiment de culpabilité et de honte relié à ça. Combien de clients me disent : “Je ne suis pas bonne en chiffres, je ne connais rien là-dedans, je n’étais pas bon à l’école, je ne comprendrai pas ce que vous allez me dire.” Je leur réponds : “On va le répéter de huit façons différentes, mais vous allez sortir d’ici en comprenant. Sinon, ça n’a pas de bons sens.”  »

La peur d’en parler

Au cours de l’étude réalisée par Manuvie, un des participants a déclaré que certains clients avaient plus de difficulté à parler d’argent que de sexe.

C’est bien connu, parler d’argent est encore tabou. Le passé judéo-chrétien hante les vieux préjugés : «  Faire de l’argent, c’est mal  », «  Les riches sont vilains  », «  Le profit est immoral  ». Beaucoup de Québécois ont peur de se faire juger s’ils en ont trop ou pas assez. Mais ne pas en parler à son propre conseiller financier peut poser problème  !

«  C’est comme aller chez le médecin. Si tu dis que tu as mal à la tête, mais que tu ne parles pas du mal de cou, ça va être difficile de poser un diagnostic intelligent, explique Nathalie Bachand. Certains clients me donnent des informations au compte-gouttes, il faut leur tirer les vers du nez et ils ne me disent pas tout. S’ils veulent avoir un portrait intéressant qui se tient et qui est réaliste, ça me prend de l’information. Souvent, c’est le conjoint ou la conjointe qui a pris le rendez-vous.  »

Avoir des problèmes financiers importants n’est souvent pas suffisant pour demander de l’aide. C’est ce qui ressort d’une étude commanditée par la Fondation pour la planification financière et réalisée en 2015 par l’Université York. Les gens resteront muets et ne consulteront pas de conseillers à moins d’être convaincus qu’ils pourront réussir à s’en sortir.

Si vous vous reconnaissez dans l’un des portraits précédents, un psychologue ou un conseiller financier pourrait vous aider.

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