Pat Brisson

Quand le rêve américain devient réalité

Presque vingt ans déjà.

La Presse avait raconté la formidable ascension de Pat Brisson dans le monde du hockey en novembre 1997, lors d’une visite chez lui, à Los Angeles.

Dix ans plus tôt, cloué aux mineures dans la Ligue américaine avec le Canadien de Sherbrooke, Brisson avait tout plaqué pour rejoindre son copain Luc Robitaille à Los Angeles, les poches presque vides et parlant un anglais rudimentaire, mais des rêves plein la tête. Il couchait sur le sofa chez Robitaille et travaillait dans un lave-auto. Il allait aussi laver les limousines du propriétaire des Kings, Bruce McNall.

L’histoire était déjà formidable à l’époque. Brisson avait su convaincre ses amis Robitaille et Steve Duchesne de le laisser les représenter. Il avait aussi des projets avec Mario Lemieux. Il vivait son rêve hollywoodien.

Il manquait cependant encore plusieurs chapitres à l’histoire. Deux décennies plus tard, Brisson est devenu l’un des agents les plus puissants de l’industrie. Il représente environ 70 joueurs dans la LNH, notamment Sidney Crosby, Jonathan Toews, Patrick Kane, Anze Kopitar, Daniel et Henrik Sedin, Evgeni Malkin, Nathan MacKinnon, Roberto Luongo, Erik Johnson, Alex Galchenyuk et Max Pacioretty.

« On ne sait jamais où la vie peut nous mener, hein ? Ça a pris une autre ampleur avec les années. »

— Pat Brisson

Brisson, qui aura 51 ans en janvier, a désormais 22 employés, dont une avocate à temps plein, un fiscaliste, des recruteurs aux quatre coins du monde, un directeur du développement des joueurs spécialisé en psychologie sportive et quelques médecins…

« La business a beaucoup changé, dit-il. Avant, l’essentiel de notre travail consistait à négocier les contrats, et on parlait aux joueurs quelques fois avant la renégociation suivante. Aujourd’hui, les contrats occupent environ 15 % de notre temps. Le reste, c’est du développement, des suivis auprès des joueurs. »

LE CAS SIDNEY CROSBY

L’entreprise de Brisson a pris de l’expansion quand il a joint IMG en 1999. « Quand Mario [Lemieux] est revenu au jeu comme propriétaire et joueur, je n’avais plus le droit de le représenter, car je me plaçais en conflit d’intérêts. J’ai quitté l’entreprise de Tom et Steve Reich pour m’associer à IMG à la place de Michael Barnett, qui partait pour occuper le poste de DG des Coyotes de Phoenix. »

Dès son arrivée, il a eu à régler le dossier de Sergei Fedorov. « C’était mon premier gros client après Luc Robitaille. Sergei a représenté un gros défi pour moi, car il quittait les Red Wings de Detroit après de nombreuses années pour signer un gros contrat avec les Ducks d’Anaheim. »

Fedorov a obtenu 40 millions pour cinq ans des Ducks en juillet 2003. Un bon coup pour Brisson, un moins bon pour Anaheim, qui l’a échangé un peu plus d’un an plus tard pour se débarrasser du contrat.

Pendant ce temps, un garçon de 15 ans commençait déjà à faire beaucoup jaser. On voyait déjà en Sidney Crosby le prochain grand joueur à atteindre la LNH. Et Brisson a su le convaincre de se joindre à son écurie un an avant le départ de Fedorov pour les Ducks.

« Mes recruteurs m’en parlaient. Je me demandais s’il y avait un lien de famille avec Troy, que j’avais affronté dans les rangs juniors. Troy était effectivement son père et nous avons jasé de l’époque dans les rangs juniors. »

Troy agissait comme gardien pour le Canadien junior de Verdun, alors que Brisson était l’un des bons attaquants des Voltigeurs de Drummondville, puis des Olympiques de Hull avec son pote Robitaille. « Ç’a été une bonne porte d’entrée et il y a eu une bonne connexion entre nous deux », dit-il.

Brisson a invité le père et son fils au camp estival d’IMG en Californie.

« J’ai été l’une des premières agences à mettre ce type de camps sur pied, raconte Brisson. Nos joueurs s’y entraînaient pendant une ou deux semaines, mais on organisait aussi des ateliers de nutrition, de prévention des blessures et même de psychologie sportive. J’ai toujours été curieux à ce chapitre. J’avais commencé avec Luc et Steve, et ça a fait boule de neige. Je crois qu’ils ont aimé l’aspect développement qu’on proposait. »

BOURREAU DE TRAVAIL

Une fois le meilleur joueur au monde à bord, les autres stars ont suivi. « Si Auston Matthews est repêché au premier rang au total comme on le prédit, il sera notre sixième numéro un dans les onze dernières années. C’est quand même assez spécial. On a une moyenne de six joueurs repêchés en première ronde chaque année. Il pourrait en avoir dix en juin prochain. »

Brisson admet travailler 12 mois sur 12. Il n’y a jamais de temps mort. C’est un peu plus intense l’été à l’approche du repêchage et de l’ouverture du marché des joueurs autonomes. Et il y a les imprévus. Les commotions cérébrales de Sidney Crosby ou l’enquête sur Patrick Kane.

« À un moment donné, ça n’allait vraiment pas bien pour Sidney. On ne savait plus quoi faire. On voyageait à travers les États-Unis pour trouver le prochain spécialiste. Puis on a rencontré le Dr Ted Carrick. Il avait une approche différente, et c’est avec lui qu’on a vu la lumière au bout du tunnel. Il a découvert que Sidney souffrait probablement d’une fracture cervicale. Il a sauvé sa carrière. »

Brisson et Ted Carrick sont restés proches. « Il vient donner un séminaire à mon camp tous les étés depuis six ans. Tout comme le Dr Robert Bray, qui a été lui aussi indispensable dans cette histoire. Le Dr Bray est devenu mon “quart-arrière” depuis une dizaine d’années. Il se charge lui aussi d’éduquer nos clients en matière de prévention et de blessures. »

Et comme Brisson ne laisse aucun détail au hasard, il a même embauché un spécialiste qui analyse la personnalité de tous ses clients et leur offre des outils pour mieux s’adapter au sein d’une collectivité. Il compte aussi une dizaine d’agents certifiés qui lui servent d’yeux et d’oreilles, ainsi qu’un directeur du développement des joueurs, Josh Dickson, ancien entraîneur au niveau junior et aussi détenteur d’une maîtrise en psychologie sportive. Son ancien DG et entraîneur à Drummondville, André Ruel, est son homme de confiance au Québec.

L’aspect psychologique est toujours à l’avant-plan. À l’heure actuelle, diverses ressources sont mises en œuvre pour relancer leur vedette Crosby, dont la production est basse selon ses standards.

« Les gens me demandent s’il y a eu des changements importants dans sa vie. Il n’y a rien de ça. Il a même eu un gros été d’entraînement. On tente de l’aider, de trouver les bonnes ressources. Il va s’en sortir de la bonne façon. »

— Pat Brisson au sujet de Sidney Crosby

L’aspect de son métier qu’il préfère ? « Faire la différence dans la carrière d’un athlète, dit-il. Par exemple, donner un conseil-clé à un joueur dans une situation difficile. À une certaine époque, Daniel Brière était coincé dans les mineures. Il touchait 75 000 $ à Springfield et la Suisse lui avait offert 200 000 $ par année, sans impôts. Il y songeait sérieusement. Je lui avais fortement suggéré de ne pas s’exiler en Europe tout de suite. De se donner encore un an ou deux. Je croyais en lui. »

Brière a finalement été rappelé par les Coyotes et il a marqué dans plusieurs matchs de suite. Il n’a jamais plus été renvoyé dans les mineures et il a signé des contrats qui lui ont permis de gagner plus de 70 millions dans la LNH par la suite !

« Ce fut une décision payante, oui, explique Brisson. On en a reparlé plusieurs fois au cours de sa carrière. »

DIRECTEUR GÉNÉRAL

Et l’aspect le plus difficile ? « Lorsque le joueur a perdu sa touche, répond Brisson. Tu dois lui dire indirectement que sa carrière tire à sa fin et qu’il doit changer de plan. Ça n’est pas agréable parce que tu dois être franc envers ton joueur et il réagit souvent négativement. Tu dois savoir comment l’aborder. »

Brisson a refusé des offres de DG au fil des années. Les Penguins de Pittsburgh, entre autres, l’ont approché.

« Je ne veux pas quitter ma situation. J’ai bâti quelque chose de très solide, et pas seulement financièrement. Je suis attaché à nos joueurs. Je travaille avec eux depuis qu’ils ont 15 ans. C’est un peu tout ça. Il y a l’élément de la sécurité. Je suis maître de mon destin. »

Los Angeles constitue sa terre d’accueil et il ne se voit pas quitter la Californie.

« On passe quand même beaucoup de temps dans l’Est avec le hockey de mes deux garçons. On était à Toronto, l’autre jour, en tournoi avec mon plus jeune. Mon plus vieux était à Detroit. On s’en va à Miami avec le plus jeune, puis à Québec au tournoi pee-wee. Ils ont une grosse équipe depuis 2003 : les Kings de Los Angeles junior. Ils vivent quand même dans la neige un mois par année. Ils ne font pas seulement de la plage... »

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