Clauses de disparité

La compétitivité sur le dos des jeunes et des nouveaux arrivants

Alors que le gouvernement de Philippe Couillard s’apprête à proposer des changements à la Loi sur les normes du travail, on apprend dans La Presse qu’il pense s’inspirer d’un document qui propose ni plus ni moins de sacrifier l’équité intergénérationnelle sur l’autel de la compétitivité.

En effet, parmi les changements tant attendus se trouve l’interdiction des fameuses clauses « orphelin » sur les régimes de retraite et d’assurances complémentaires de santé. Tout le monde admet aujourd’hui qu’elles nuisent à l’équité intergénérationnelle dans les milieux de travail. Or, s’il reconnaît l’urgence d’agir, le rapport du Groupe de travail sur la question des clauses de disparité de traitement dans les régimes de retraite recommande, pour ne pas nuire à la compétitivité du Québec, d’attendre que les autres provinces adoptent des lois équivalentes avant que l’interdiction ne soit effective ici.

Autant dire qu’on attendra que les poules aient des dents ! Car depuis 1999, l’année de l’adoption de la première loi sur ce sujet qui visait l’interdiction des doubles échelles salariales, aucune autre province n’a encore légiféré en ce sens. 

Il faut se poser la question : en quoi la compétitivité du Québec serait-elle menacée si deux travailleurs effectuant le même travail pour le même employeur avaient le même régime de retraite ? 

Nous ne comprenons pas comment le groupe de travail a pu parvenir à la conclusion qu’un lien de causalité existe entre la perte de compétitivité et l’interdiction de la discrimination en emploi et, manifestement, son document ne contient aucune donnée probante à l’appui de cette conclusion. Le texte ne s’appuie sur aucune recherche qui démontrerait que la compétitivité du Québec serait réellement affectée par l’application dans nos lois du travail de principes pourtant élémentaires d’équité et de justice intergénérationnelle. 

Le texte mentionne, néanmoins, les positions exprimées par l’influent Conseil du patronat. Et, à regret, on est presque forcés de conclure que cet organisme estime que le modèle d’affaires de ses membres ne serait pas viable sans une dose de discrimination dans les conditions d’emploi. Cette position lui appartient, mais elle est très éloignée du consensus de la société québécoise sur ce sujet. 

Des limites à clarifier

Soyons clairs, la campagne que nous menons depuis près d’une décennie pour l’interdiction complète des clauses de disparité ne vise pas à obliger, par la loi, les employeurs à offrir un régime de retraite ou d’assurances complémentaires. Dans notre régime de relation du travail, il appartient à la négociation entre les parties de déterminer s’il y aura ou pas un régime de retraite et de quelle nature il sera. 

Ce que nous réclamons avec insistance, c’est que le gouvernement clarifie les limites du terrain de cette négociation.

Les partis présents à l’Assemblée nationale, incluant le Parti libéral du premier ministre Philippe Couillard, sont maintenant unanimes sur le fait que nos milieux de travail ne devraient pas inclure des conditions de travail discriminatoires pour les plus jeunes : peu importe de quel type de régime de retraite ou d’assurances il s’agit, ce doit être le même pour tous les employés effectuant le même travail pour le même employeur. 

Il est devenu urgent de légiférer. Parce que les disparités de traitement sont considérées comme une discrimination et une injustice faite à leurs collègues, de nombreux travailleurs sont prêts à lutter contre elles et à subir les conséquences d’importants et coûteux conflits de travail qui affectent les vies de milliers de familles. Les conflits de travail coûtent bien plus cher à notre économie que les supposées nuisances à la compétitivité qui découleraient de cette interdiction. 

Comme en font foi les deux récents projets de loi déposés par la CAQ et par QS dont le but est l’interdiction complète, l’Assemblée nationale est prête à aller de l’avant. Alors que le Québec s’apprête à accueillir de plus en plus d’immigrants, soulignons que le temps est venu de leur offrir des milieux de travail où les pratiques discriminatoires sont clairement interdites. La discrimination ne doit jamais être « payante » économiquement.

* Cosignataires : Sophie Tremblay, présidente de Force Jeunesse ; Jason St-Amour, président de la Fédération étudiante collégiale du Québec ; Simon Telles, président de l’Union étudiante du Québec ; Kevin Paquette, président de la Commission de la relève de la CAQ ; Laurent Levesque, président de l’Aile jeunesse du Chantier de l’économie sociale ; Haroun Bouazzi, coprésident de l’Association des musulmans et arabes pour la laïcité au Québec ; Adam Samson, président de la Confédération pour le rayonnement étudiant en ingénierie au Québec 

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