Série 3/3 Médicaments

Des coûts d'assurances qui explosent

Le coût des assurances médicales explose au Canada. Ces hausses, qui sont de deux à trois fois supérieures à l'inflation, donnent de plus en plus de fil à retordre aux employeurs, qui sont à la recherche de solutions. 

Suite et fin de la série en trois actes de Marie-Eve Fournier

Assurances médicales 

Une flambée « insoutenable »

« Le coût des assurances médicales augmente à un rythme qui excède de deux ou trois fois l’inflation depuis l’an 2000. À un moment donné, ça ne fonctionnera plus. Il va falloir qu’il se passe quelque chose », prévient Hubert Tremblay, vice-président du cabinet-conseil en avantages sociaux Aon Hewitt.

De fait, des données compilées par le consultant en santé et avantages sociaux Mercer, à la demande de La Presse, révèlent que ces deux dernières années, le prix des primes a bondi en moyenne au Québec de 8,7 % par an. Et de 7,2 % annuellement depuis 2009.

D’ici 2025, le bond atteindra 130 % au total, calcule Mercer, qui prédit une hausse annuelle composée de 10 %. Son concurrent Aon Hewitt la chiffre à 8 %.

Devant de tels chiffres, les employeurs ont mis de la pression sur Québec pour qu’il force les pharmaciens à plus de transparence. C’est ce qui a mené, il y a six mois, à la création de la facture détaillée qui permet de connaître les honoraires des pharmaciens. Le prix des médicaments étant identique dans toutes les pharmacies, seuls les honoraires font varier le total.

Qu’est-ce qui fait tant bondir le prix des assurances ? L’inflation, le vieillissement de la population et ces nouveaux médicaments biologiques (plutôt que chimiques) qui peuvent coûter dans les six chiffres, voire 1 million de dollars par année pour une seule personne. Et notre mode de vie.

« Ce ne sont pas les assureurs, les responsables. Ce sont les employés qui ne sont pas en santé. »

— Marie-Josée Le Blanc, responsable de l’innovation pour la pratique de santé chez Mercer

« À ce rythme, c’est insoutenable pour les employés et les employeurs », observe Hubert Tremblay. Un constat partagé par Marie-Josée Le Blanc, qui utilise exactement les mêmes termes pour décrire la situation.

Tous deux font le pont entre les compagnies d’assurances et les employeurs souhaitant offrir un régime d’assurances à leurs employés. Ils sont donc aux premières loges pour témoigner des changements qui s’opèrent au sein des entreprises.

Tout le monde est touché

Hubert Tremblay constate notamment que « c’est de plus en plus rare que les employeurs cotisent », c’est-à-dire qu’ils paient une partie de la prime.

En outre, les employeurs qui choisissent des polices remboursant 100 % des médicaments et des services professionnels (psychologues, ostéopathes, etc.), « on n’en voit presque plus », observe l’expert d’Aon Hewitt. Depuis quelques années, les régimes remboursent plutôt, en moyenne, 80 % des factures. « C’est une façon de contrôler les coûts. »

Cette limite à 80 % est aussi une façon de « conscientiser et responsabiliser leurs employés face aux coûts, et par le fait même favoriser une “consommation” plus avisée du régime », note sa collègue Christine Than, spécialiste en solution médicament.

Les travailleurs qui ne se sentent pas concernés par le sujet parce qu’ils prennent peu de médicaments ont tort, prévient d’entrée de jeu M. Tremblay. Car même quand l’employeur paie la police, le « cadeau » est un avantage imposable pouvant coûter plus de 1000 $.

De plus en plus d’employés gestionnaires

Au Conseil du patronat du Québec (CPQ), on confirme que l’explosion du prix des primes change la donne dans les entreprises. « Il y a plus de magasinage, on va en appel d’offres et on change le type de couverture offert. Quand l’assurance, c’est 15-20 % de votre masse salariale, c’est beaucoup », dit le PDG Yves-Thomas Dorval, précisant que le CPQ a lui-même changé de type de police le 1er janvier pour économiser.

Tant Mercer qu’Aon Hewitt observent une augmentation du nombre d’entreprises qui se tournent vers des régimes en vertu desquels l’employeur place une somme fixe dans le « compte gestion santé » (CGS) de l’employé, qui l’utilise comme bon lui semble.

« Ils sont alors généralement plus portés à faire attention à leurs dépenses, ce qui n’est pas le cas lorsque c’est le régime qui rembourse les fournisseurs de services », indique un document rédigé par Mercer, lequel précise aussi que 28 % de ses clients au Canada offrent ce type de couverture.

La prime annuelle moyenne pour un régime d’assurances collectives coûte entre 1500 $ et 4000 $ par employé selon l’assureur AGA, spécialisé dans les régimes collectifs.

NDLR : Nous n’avons pas pu recueillir les commentaires de la division québécoise de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personne (ACCAP). En raison du litige avec les pharmaciens, « on fait une trêve médiatique », explique la porte-parole Suzie Pellerin.

La prévention pour juguler les coûts

Depuis « 18 ou 24 mois », le cabinet Mercer observe un nouveau phénomène dans les entreprises : un changement de philosophie par rapport à la santé.

Quand Marie-Josée Le Blanc apprend à une entreprise que ses primes bondiront de près de 10 % et qu’on veut la renvoyer négocier, elle leur propose autre chose. « Arrête d’essayer de négocier avec les assureurs pour sauver 1 % et travaille à améliorer la santé de tes employés avec une stratégie ou un programme de mieux-être pour réduire le nombre de prescriptions », leur lance-t-elle !

Officiellement responsable de l’innovation pour la pratique de santé chez Mercer, Marie-Josée Le Blanc est mandatée par des entreprises pour magasiner des assurances collectives auprès des compagnies d’assurances.

En entrevue avec La Presse, elle raconte que Mercer plaide en faveur de cette approche tournée vers la santé des employés depuis plus d’une décennie. Mais le discours a plus ou moins été entendu… jusqu’à récemment.

« Avant, les entreprises le faisaient pour être cool. Là, elles le font pour les bonnes raisons. […] Que les employés changent leurs habitudes de vie, c’est la seule façon de régler les problématiques liées aux coûts de santé. »

— Marie-Josée Le Blanc, responsable de l'innovation pour la pratique de la santé chez Mercer

« La pression [financière] est de plus en plus grande. Donc, les entreprises veulent investir davantage en prévention. Elles veulent trouver des solutions », confirme Yves-Thomas Dorval, PDG du Conseil du patronat du Québec.

De l’invalidité à la santé

« De 2006 à 2016, les entreprises ont mis tout leur argent, leur énergie et leurs efforts sur le retour au travail des invalides. C’est plus facile à justifier que de dire qu’on avait un employé obèse qui a perdu 30 livres et qu’on lui a peut-être sauvé une crise cardiaque. Démontrer le retour sur l’investissement de la prévention, c’est dur. »

+ 130 % 

Augmentation prévue des primes d’assurances médicales d’ici 2025, selon Mercer

Pour aider les employeurs, Mercer possède une équipe multidisciplinaire (depuis 2006) comprenant notamment des infirmières et des psychologues. La prévention se fait autant sur l’alimentation que sur la consommation de drogues ou la gestion du stress.

Il y a aussi une multitude de start-up qui s’intéressent à la gestion de la santé au moyen d’outils numériques, généralement des applications pour téléphones. Mercer, qui « en rencontre deux par semaine », encourage les employeurs à utiliser ces outils nouveau genre qui ciblent à la fois le sommeil, la résilience, la gestion du poids, le tabagisme, la sédentarité, etc.

Le concours

L’une des façons les plus populaires en ce moment d’encourager les employés à avoir de saines habitudes de vie est d’organiser un concours parmi les employés. Certaines entreprises font tirer un iPad parmi les employés qui marchent 10 000 pas par semaine pendant un mois. La gestion se fait au moyen d’une application conçue à cette fin. L’aspect social motive les troupes, observe Marie-Josée Le Blanc. Une entreprise peut aussi donner 50 $ à ceux qui arrêtent de fumer.

L’importance du « nanan »

« On encourage les entreprises à donner des incitatifs financiers aux employés, car il leur faut une tape dans le dos, explique Marie-Josée Le Blanc. L’éducation, ce n’est pas suffisant. Tout le monde sait que fumer, ce n’est pas bon et que des carottes, c’est meilleur que des chips. » La « gamification » est un autre outil qui fonctionne bien, constate l’experte.

Nouveaux services couverts

Les entreprises peuvent modifier leur couverture d’assurance pour qu’elle rembourse des services liés à la prévention. On peut penser aux services d’un diététiste qui pourra aider les employés dans la gestion de leur poids ou d’autres problèmes de santé. On peut aussi ajouter le remboursement de certains vaccins préventifs afin d’éviter la prise de médicaments coûteux comme dans le cas de l’hépatite.

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