Aide médicale à mourir

« J’aimerais ça en finir quand je veux »

Atteint de paralysie cérébrale, Jean Truchon s’est vu refuser l’aide médicale à mourir en 2016. Hier, devant la Cour supérieure du Québec, il a expliqué pourquoi, selon lui, il devrait y avoir droit.

Au moment où sa demande d’aide médicale à mourir a été refusée, Jean Truchon s’est senti « trahi » par les gouvernements du Québec et du Canada.

La voix étranglée par les sanglots, l’homme de 51 ans atteint de paralysie cérébrale a témoigné, hier, devant la Cour supérieure du Québec des raisons pour lesquelles il devrait, selon lui, avoir le droit de choisir le moment de sa mort.

« Ça [les lois actuelles] brime ma liberté. Moi, j’aimerais ça en finir quand je veux, à une date que, moi, j’ai choisie », a lancé celui qui s’est fait refuser l’aide médicale à mourir en 2016 car il ne remplissait pas le critère de « fin de vie ».

M. Truchon et sa corequérante Nicole Gladu contestent devant la Cour supérieure le critère de « mort raisonnablement prévisible » que l’on retrouve à la loi fédérale ainsi que celui de « fin de vie » que l’on retrouve à la loi québécoise sur l’aide médicale à mourir.

Leur avocat, Jean-Pierre Ménard, plaide que ces critères sont contraires à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui protège leur droit à la vie, à la liberté et à la sécurité.

« Je suis un être humain et n’importe quel animal est mieux traité que nous autres. »

— Jean Truchon à la juge Christine Baudouin

Comme M. Truchon a de grandes difficultés d’élocution, il a eu besoin de son meilleur ami Alain Côté pour bien se faire comprendre du tribunal. Mesure exceptionnelle : ce dernier lui a servi d’interprète à la cour.

L’homme lourdement handicapé trouve « injuste » et « cruel » d’avoir essuyé un refus parce que, dit-il, « les médecins ne peuvent définir son espérance de vie ».

« Mort en 2012 »

M. Truchon, qui se déplace dans un fauteuil électrique, a insisté à plusieurs reprises sur le fait qu’il est « mort en 2012 » lorsqu’il a perdu l’usage de son bras gauche, son seul membre encore fonctionnel. Alors qu’il vivait seul dans un logement depuis 22 ans, il a été contraint de déménager dans un CHSLD puisqu’il nécessitait désormais trop de soins.

Avant cette épreuve, M. Truchon passait de longs après-midis au parc à jouer aux échecs ou à regarder des parties de baseball. Il arrivait à manger seul. Or, maintenant qu’il doit conduire son fauteuil avec sa bouche, ses déplacements sur les trottoirs en mauvais état de Montréal lui causent d’intenses douleurs au cou. Il a besoin d’aide pour s’alimenter. Il ne peut plus, non plus, jouer au hockey cosom adapté ni aller nager dans un centre pour handicapés comme il le faisait avant.

En 2012, en perdant l’usage de son bras gauche, il a du même coup perdu le goût de vivre. Malgré des consultations chaque semaine avec une psychologue, il « n’arrive pas » à s’adapter à son nouvel état. Il refuse de prendre des antidépresseurs.

« Je me regarde dans le miroir et je ne reconnais plus l’homme que j’étais avant […] Je suis devenu intolérant aux autres, agressif. Avant, j’étais gentil et convivial. Je suis rendu un pauvre type. »

— Jean Truchon

L’homme a songé à se jeter devant le métro ou devant un autobus, mais il ne veut pas faire de victimes collatérales. Il a aussi pensé à faire une grève de la faim, mais il craint de mourir dans une lente et douloureuse agonie.

Les procureurs fédéraux et le procureur provincial ont choisi de ne pas contre-interroger M. Truchon. Tout comme ils n’avaient posé aucune question la veille à Mme Gladu.

La juge Christine Baudouin qui a une approche très empathique envers les demandeurs depuis le début du processus judiciaire a tenu à remercier M. Truchon d’avoir partagé des « faits très personnels ». « Personne dans la salle ne peut rester insensible à votre témoignage », a-t-elle dit.

« Mon temps est compté »

À sa sortie de la salle de cour, M. Truchon a dit aux médias présents que peu importe la décision de la juge au terme du procès – il « devra faire avec ». L’homme ne se sent pas la force de se battre jusqu’en Cour suprême. « Mon temps est compté », a-t-il dit, l’air épuisé par son témoignage qui a duré tout l’avant-midi.

Me Jean-Pierre Ménard affirme avoir reçu beaucoup d’appels et de courriels de personnes souffrant de maladies dégénératives comme les demandeurs qui voulaient se joindre à la cause ou leur donner leur appui.

Ni la loi fédérale ni la loi provinciale ne définissent la « fin de vie » (provincial) ou la « mort raisonnablement prévisible » (fédéral) par une durée précise (en semaines, en mois ou en années). « Ça dépend de chaque médecin […] Un médecin peut avoir une limite de six mois. D’autres instances vont dire un an, deux ans. Le citoyen est devant l’inconnu. S’il est devant un médecin qui est straight, il n’aura pas l’aide médicale à mourir. S’il est devant un médecin plus libéral, il va l’obtenir », a souligné Me Ménard aux médias présents.

Le procès se poursuit aujourd’hui avec le témoignage de médecins experts.

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