Légalisation du cannabis

Ruée vers le pot légal

De nombreux Québécois ont fait la file devant les succursales de la Société québécoise du cannabis, hier, pour se procurer un produit longtemps interdit et maintenant légal. Et certains y étaient bien avant l'aube. Retour sur une journée animée d'un océan à l'autre.

Légalisation du cannabis

Des descriptions qui font sourciller 

À en croire son site web, la SQDC vend du pot qui « pourrait créer l’impression de stimuler certaines fonctions cérébrales, telles que la créativité » ou « augmenter l’envie d’être en contact avec d’autres personnes [et] de participer aux discussions ». Le tout dégageant des effluves d’où émanent des « notes de melon et d’ananas ». 

Certaines des descriptions des produits vendus depuis hier sur le site internet de la SQDC ont littéralement fait sursauter la porte-parole de l’Association pour la santé publique du Québec, Émilie Dansereau. « Pour moi, c’est du marketing qui s’apparente à la promotion d’un style de vie. Ça va loin, et on ne sait pas sur quoi sont basées ces prétentions », lance celle qui a fortement milité pour que les règles de promotion du cannabis soient les plus strictes possible.  

Mais pour le reste, Mme Dansereau s’est dite satisfaite de l’approche des employés après avoir fait des emplettes incognito avec des collègues.  

Dans la succursale de la rue Saint-Hubert, La Presse a pu constater que le service à la clientèle était loin d’être aussi moralisateur que ne le craignaient certains consommateurs.  

Plusieurs des employés ont, si l’on ose dire, la « gueule de l’emploi ». À 10 h pile, un homme dans la quarantaine ou la cinquantaine arborant une légère coupe mohawke accueillait les premiers visiteurs avec un large sourire, sous les vivats bruyants de centaines de curieux venus faire la queue. 

Au comptoir, un conseiller aux bras généreusement tatoués et au visage garni d’une épaisse barbe style « hipster » conseillait les clients. « Notre mandat est d’essayer de pousser les gens à acheter des produits avec un niveau modéré de THC, mais si les gens veulent se défoncer et semblent savoir ce qu’ils font, on n’insiste pas », a-t-il expliqué.  

Un autre conseiller donnait des renseignements d’ordre légal aux acheteurs. « Vous pouvez acheter un maximum de 30 grammes par transaction. Si vous ressortez et rentrez, on va vous en vendre d’autre. Vous devez savoir que vous avez droit uniquement à 30 grammes sur vous dans la rue, même si le maximum est de 150 grammes chez vous. Mais je ne suis pas là pour faire la police », a-t-il expliqué à un homme d’un certain âge, vraisemblablement expérimenté avec le cannabis.

Ambiance cordiale et agréable

Aux portes du commerce, les agents de sécurité ne vérifiaient pas systématiquement l’âge des clients. Les consommateurs les plus jeunes ont cependant dû montrer patte blanche, dans certains cas dès leur entrée dans la succursale, d’autres en payant aux caisses.  

Le tout se faisait dans une ambiance cordiale et agréable, même si notre conseiller s’est montré un peu perdu lorsque nous avons demandé des explications sur les atomiseurs d’huile de cannabis, produit qui n’implique aucune combustion. Un de ses collègues a toutefois rapidement pris la balle au bond pour nous renseigner sur les quelques choix offerts.  

Beaucoup d’acheteurs sont ressortis du magasin le poing en l’air, montrant fièrement leur sac de papier brun contenant leurs achats, applaudis par la foule comme s’il s’agissait du plus récent modèle d’iPhone. 

La journée s’est toutefois terminée de façon tendue dans deux succursales de Montréal. Des clients ont manifesté leur mécontentement alors qu’ils étaient toujours dans une file d’attente et que les magasins s’apprêtaient à fermer leurs portes, à 21 h. Dans un cas, les policiers ont dû intervenir pour disperser la foule, a confirmé le Service de police de la Ville de Montréal.

Pas de marketing, dit la SQDC

Questionné au sujet des descriptions du site web qui parlent de cannabis stimulant la « créativité » ou qui « augmente l’envie d’être avec d’autres personnes », le porte-parole de la SQDC a insisté pour dire qu’il ne s’agissait pas de marketing.  

« Nous sommes partis de descriptions qui nous ont été fournies par nos producteurs et les avons passablement élaguées pour retirer les prétentions qui étaient trop lifestyle ou vaporeuses. Dans tous les cas, elles sont faites au conditionnel, dans le simple but d’aider les consommateurs à s’y retrouver », a insisté M. Gaudreault.  

Tous les employés de la nouvelle société d’État ont suivi une formation – approuvée par le ministère de la Santé et des Services sociaux – qui leur interdit de faire certaines allégations trompeuses au sujet du cannabis. 

L’industrie du cannabis et plusieurs sites d’information spécialisés dans le cannabis vont parfois jusqu’à dire de différentes souches de marijuana qu’elles sont « idéales pour lire un livre » ou « favorisent les performances sportives », sans que le moindre élément de preuve scientifique soutienne ces prétentions.  

M. Gaudreault réitère que la SQDC « n’ira pas là ».

Légalisation du cannabis

Des employés se plaignent d’intimidation syndicale

Trois regroupements syndicaux se battent pour obtenir l’accréditation de la centaine d’employés nouvellement embauchés par la SQDC

La SQDC à peine officiellement lancée, les employés de la nouvelle société d’État font l’objet d’une campagne de recrutement syndical intensive menée par trois centrales différentes, qui les courtisent dans les stationnements des commerces.

La tension est si élevée par endroits que des employés se plaignent d’« intimidation », reconnaît la CSN.

« Ça a brassé [hier] à Mascouche, ça n’était pas chic », a admis à La Presse Katia Lelièvre, présidente du Syndicat des employés de bureau de la SAQ (SEMB-SAQ, affilié à la CSN).

« [Les travailleurs] disaient : “On va faire des plaintes”, et nous accusent de les intimider. On ne fait que leur parler. »

— Katia Lelièvre, présidente du Syndicat des employés de bureau de la SAQ

Hier matin, à l’ouverture de plusieurs des succursales de la SQDC, des recruteurs portant une tuque de la CSN et un drapeau du SEMB-SAQ étaient bien en vue devant les portes et distribuaient des tracts aux employés qui entraient pour leur premier quart avec la clientèle.

Des recruteurs des Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce (TUAC) ont aussi été vus à Mirabel. Le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) a également délégué deux recruteurs par succursale pour distribuer des tracts, mais ils n’étaient pas présents hier matin.

Les trois regroupements syndicaux se battent pour obtenir l’accréditation de la centaine d’employés nouvellement embauchés par les 12 succursales de la SQDC. Ceux-ci ne sont pas syndiqués pour le moment et gagnent 14 $ l’heure, un salaire bien inférieur aux 19 $ gagnés en moyenne par les travailleurs de la Société des alcools du Québec.

La tension monte

Alors que la CSN tente depuis des mois de rapatrier ces nouveaux travailleurs sous une seule accréditation, le syndicat des TUAC a commencé à les recruter sur le terrain succursale par succursale, en se postant depuis plusieurs jours dans les stationnements des magasins où les employés étaient formés.

Les TUAC ont pour le moment réussi à récolter un plus grand nombre d’adhésions que la CSN. Mais la tension a monté d’un cran ces derniers jours. Dans certains cas, des travailleurs ont été accueillis dans les stationnements par des groupes d’une vingtaine de personnes qui essayaient tous de les convaincre d’adhérer à leur centrale.

La CSN accuse les TUAC d’avoir une approche trop insistante et « agressive ». Les TUAC répliquent que la CSN harcèle les travailleurs en déléguant de gros groupes de recruteurs qui comptent dans leurs rangs des syndiqués de la SAQ.

« Cette bataille intersyndicale, c’est sûr qu’elle gosse les travailleurs. Quand tu finis ta journée après une grosse journée comme [hier] et que tu te trouves devant 20 ou 25 personnes, dont certains qui ont des sifflets et qui t’achalent pour avoir ta signature, c’est sûr que c’est épuisant », lance Tony Filato, le président des TUAC-Québec. « Nous, on est deux ou trois dans les stationnements, pas plus, alors qu’eux, ils débarquent en grosse gang avec leurs gros manteaux de la CSN. Les gens dans les succursales sont pas mal écœurés de voir les gens de la CSN. »

La SQDC n’a pas voulu faire de commentaire au sujet de cette guerre d’accréditation. « C’est une prérogative des employés pour l’instant. C’est une question qui relève des normes du travail. On ne peut pas s’en mêler », a affirmé le porte-parole Mathieu Gaudreault.

M. Filato affirme qu’approcher les gens dans les stationnements est pour lui le seul moyen d’entrer en contact avec les travailleurs.

Marc Ranger, directeur québécois du SCFP, assure que ses recruteurs n’ont pas une approche aussi agressive. « Nous, notre mot d’ordre, c’est d’avoir une approche smooth. Il n’est pas question de sauter sur le monde comme ça », a-t-il assuré, disant consacrer l’essentiel de son énergie à recruter les membres grâce au site web de son organisation.

Légalisation du cannabis

Journée « historique » à Ottawa

Le grand rassemblement de fumeurs que certains attendaient sur la colline du Parlement n’a pas eu lieu, hier. Seules quelques personnes ont allumé un joint à 4 h 20 pour célébrer calmement la légalisation du cannabis. L’ambiance était plus survoltée entre les murs du parlement fédéral. Récit d’une journée « historique » à Ottawa.

Trudeau ne fumera pas

On lui a déjà posé la question des dizaines de fois, et le premier ministre Justin Trudeau a donné la même réponse hier : il n’a pas l’intention d’allumer un joint maintenant qu’il a rempli sa promesse électorale de légaliser le cannabis. « J’ai dit à plusieurs reprises que je ne suis pas un consommateur de drogues. Je ne bois pas beaucoup d’alcool, je ne bois pas de café, je n’ai pas l’intention de consommer de marijuana. » Talonnés par les journalistes, des élus de tous les partis ont répondu par la négative à la même question, parfois avec une pointe d’humour. « Non, pas du tout, mon cégep et mon université sont finis ça fait quelques années », a ainsi lancé la ministre du Revenu national Diane Lebouthillier.

Marché noir

Justin Trudeau a réitéré que l’objectif premier de la légalisation était d’écarter le crime organisé – au moins en partie – de la vente de marijuana. « On sait que le crime organisé faisait 6 milliards de dollars par année de profit sur la vente de marijuana, a-t-il avancé en point de presse. Donc, on avait un système qui ne fonctionnait pas pour protéger nos communautés, nos enfants. On l’a changé. On va contrôler. On va réglementer le cannabis. C’est sûr que c’est un processus et c’est en train de se faire, mais ça va encore avoir des différentes étapes qui s’en viennent. » Même s’il s’attend à voir certains changements à court terme, le premier ministre a reconnu que « c’est quelque chose qui se fait sur les prochains mois, les prochaines années ».

Des pardons…

Ottawa offrira des pardons aux citoyens déjà condamnés pour possession simple de cannabis. C’est ce qu’ont annoncé les quatre ministres responsables du dossier du cannabis hier matin en conférence de presse, confirmant ainsi une information qui planait depuis un moment déjà. Le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, a estimé que ce changement permettrait aux citoyens « de se délester du fardeau et de la stigmatisation associés à ce dossier [criminel] ». Les dizaines de milliers de Canadiens déjà condamnés pour une telle infraction – et qui auront purgé l’entièreté de leur peine – pourront déposer sans frais une suspension du casier judiciaire (« demande de pardon »), plutôt que de payer 632 $ comme c’est le cas aujourd’hui. Le gouvernement Trudeau espère faire adopter dès que possible une loi sur les pardons, mais on ignore encore à quel moment.

… mais les casiers judiciaires resteront

La décision d’Ottawa d’accorder des pardons est loin d’être suffisante pour le Nouveau Parti démocratique. Le NPD réclame que le gouvernement radie les dossiers criminels plutôt que d’accorder un simple pardon. Cela viendrait faciliter la vie des citoyens concernés, par exemple au moment de décrocher un emploi ou de faire un voyage. « Les personnes autochtones et racisées ont subi, historiquement, des injustices systémiques au Canada et se retrouvent aujourd’hui avec plus de casiers judiciaires pour une consommation similaire », a dénoncé le leader parlementaire du NPD, Guy Caron. Talonné par un autre député néo-démocrate à la Chambre des communes, Justin Trudeau a confirmé qu’il ne comptait pas appuyer un projet de loi du NPD qui permettrait la suppression des dossiers criminels.

« Très mauvaise journée »

Les troupes conservatrices ont elles aussi déploré les aspects négatifs de la légalisation toute la journée hier. Le député Gérard Deltell a arboré une tenue noire pour marquer cette occasion funeste selon lui. « C’est une très mauvaise journée, c’est le premier pays du G20 qui malheureusement se lance dans l’aventure de la légalisation de la marijuana. » Le chef du Parti conservateur, Andrew Scheer, a lui aussi tapé sur ce clou pendant un point de presse. « Aujourd’hui, on va commencer à voir les conséquences du projet de loi que Justin Trudeau a passé tellement trop vite. Il a ignoré les inquiétudes des experts de santé, des policiers et des gouvernements provinciaux. » M. Scheer n’a pas précisé si un gouvernement conservateur mettrait fin à la légalisation de la marijuana.

Les yeux braquées sur le Canada

Le Canada est devenu hier le premier pays du G7 – et le deuxième au monde – à légaliser le cannabis. « Il n’y a aucun doute que le monde regarde ce qui se passe au Canada », a déclaré la ministre de la Justice Judy Wilson-Raybould hier matin en conférence de presse, qualifiant la journée d’« historique ». Le gouvernement Trudeau espère que la légalisation et l’encadrement serré de la vente permettront de faire baisser le taux de consommation chez les jeunes, même si l’inverse s’est produit dans certains États où le pot a été légalisé, comme le Colorado et la Californie. « Aujourd’hui marque le début d’une transition ordonnée, et nous sommes prêts », a quant à elle avancé la ministre de la Santé, Ginette Petitpas-Taylor.

Ontario

Aucun magasin avant avril 2019

Les Ontariens devront attendre jusqu’en avril prochain avant de pouvoir se procurer légalement du cannabis en boutique. L’ancien gouvernement libéral de Kathleen Wynn avait confié la vente de cannabis à une filiale de la Liquor Control Board of Ontario (LCBO), l’équivalent ontarien de la SAQ, mais les conservateurs de Doug Ford ont mis ces plans au rancart peu après leur élection. La vente physique du produit sera entièrement confiée au secteur privé, qui ouvrira ses premiers magasins en avril prochain. D’ici là, les Ontariens pourront se procurer légalement de la marijuana sur le site Ontario Cannabis Store (ocs.ca). Comme dans plusieurs autres provinces, des produits se sont retrouvés en rupture de stock peu après le début officiel des ventes, hier. Par ailleurs, les boutiques de cannabis en ligne alimentés par le logiciel de commerce électronique de Shopify traitent collectivement plus de 100 commandes à la minute, a indiqué la société d'Ottawa, signe de la forte demande.

— Maxime Bergeron, La Presse, avec La Presse canadienne

Longueuil

Les policiers pourront consommer du cannabis, mais...

Les policiers de Longueuil pourront consommer du cannabis dans leurs temps libres, mais le feront à leurs risques. La principale ville de la Rive-Sud de Montréal a mis en place une politique de tolérance zéro en vertu de laquelle ses agents ne devront avoir aucune trace de drogue dans leur organisme s’ils font l’objet d’un test de dépistage. Comme ils sont armés, les policiers de Longueuil sont considérés comme des employés occupant une « fonction à risque élevé ». La « Politique en matière d’alcool et de drogues » de Longueuil récemment mise à jour pour tenir compte de la légalisation du cannabis prévoit que « le niveau d’alcool ou de drogue chez l’employé doit être nul en tout temps alors qu’il est au travail et qu’il exerce sa fonction. Conséquemment, aucune substance ne doit être détectée lors d’un test de dépistage. » Contrairement à l’alcool, qui est éliminé par l’organisme au bout de quelques heures, le cannabis peut laisser des traces dans l’organisme pendant plusieurs jours. 

— Pierre-André Normandin, La Presse

Légalisation du cannabis

Des files d’attente dans la rue... et en ligne

Les nombreux Canadiens désireux de faire leur premier achat légal de cannabis à des fins récréatives ont été accueillis par des files d’attente, dans la rue comme sur les plateformes de vente en ligne. Survol.

— Avec La Presse canadienne

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