Au-delà du « tourisme obstétrical »

« Un chien serait mieux reçu à l’hôpital qu’une femme sans papiers »

Ce n’est pas une langue de bois. Bien au contraire.

La Dre Hélène Rousseau voit régulièrement des femmes enceintes non couvertes par la RAMQ au CLSC Côte-des-Neiges, à la Maison bleue et à l’Hôpital général juif, où elle travaille.

Pour parler du traitement réservé à ces femmes, elle n’y va pas par quatre chemins : « J’ai déjà écrit qu’un chien qui arriverait à l’hôpital serait mieux reçu qu’une femme sans papiers. »

Comme soignante, elle se voit contrainte de leur offrir un suivi moins complet : l’Hôpital général juif refuse de faire des tests si les patientes ne paient pas un dépôt de 15 000 $. Cette notion de dépôt vise uniquement les femmes enceintes puisqu’une personne sans assurances qui ne serait pas enceinte peut tout à fait faire des tests sanguins si elle paie les frais afférents, de quelques dizaines de dollars selon elle.

« C’est vous dire comme la discrimination va loin », dit la Dre Rousseau.

« Ce n’est pas comme si les gens n’avaient pas d’argent. J’ai déjà vu un père qui s’était présenté à l’hôpital avec 800 $ et qui s’est fait engueuler parce que ce n’était pas assez. »

— Dre Hélène Rousseau

« Ce qui est indécent, c’est qu’on ne sait jamais combien va coûter tel ou tel service. On ne peut jamais savoir si l’anesthésiste va accepter de faire une péridurale. J’ai déjà vu un résident exiger de l’argent pour son patron, et je me suis dit, en voyant les 60 $ passer au-dessus de la table : "C’est l’épicerie de la semaine qui vient d’y passer." »

TRAVAILLER AVEC SON CŒUR

Dans ses années de pratique à l’Hôpital général juif, la Dre Rousseau n’a jamais demandé aux femmes non admissibles à la RAMQ de la payer pour ses soins.

« Pour moi, cela ne fait pas de différence. Je vais quand même avoir du beurre d’arachide sur mes toasts demain matin. Mais dans les équipes, on ne sait jamais comment ça va se passer. »

En 12 ans de pratique, la Dre Rousseau constate que le traitement réservé à ces femmes s’est dégradé, et ce, dans l’indifférence quasi générale.

« Dans l’opinion publique, les gens vont dire : "Ces femmes n’ont qu’à ne pas venir au Canada." En partant, ça n’aide pas à mobiliser l’opinion publique, et mobiliser un gouvernement sans l’opinion publique, ce n’est pas facile. »

Comme d’autres médecins interviewés pour cet article, la Dre Rousseau, à son niveau, essaie de faire une différence : « Je travaille avec mon cœur, où je peux. Si j’arrête, je n’aide pas ces femmes-là. »

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