Opinion Pascale Navarro

À l’école de la mixité

En septembre prochain, les enseignants du Québec jongleront avec l’obligation de donner le cours d’éducation à la sexualité, au primaire et au secondaire, tel que l’a décidé le gouvernement, à la suite du mouvement #moiaussi, du Forum sur les agressions et le harcèlement sexuels tenu en décembre dernier, et de l’adoption de la loi 151 visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur.

Il fallait faire quelque chose, se sont dit les ministres, et nous sommes bien d’accord.

L’idée d’agir à tous les niveaux d’enseignement est bonne, mais il faut essayer de voir plus large. Dans un avis publié en 2016, « L’égalité entre les sexes en milieu scolaire », le Conseil du statut de la femme (CSF) recommandait que l’éducation à l’égalité fasse partie de la formation des maîtres.

« Comment expliquer la disparition presque complète de la construction sociale des différences et des inégalités de sexe dans la formation des futurs enseignants et conseillers en orientation au Québec ? Est-ce en raison de la diffusion de la croyance selon laquelle l’école est, du point de vue des sexes, devenue un espace parfaitement égalitaire ? », se demandent les chercheuses du CSF. La question est excellente, car elle braque le projecteur sur un point essentiel : sans autre perspective que celle de la rue, l’école reconduit les mêmes biais inconscients, préjugés et stéréotypes.

Apprendre à ne pas refabriquer de l’inégalité

Or, il en va de même dans tous les milieux professionnels. La mixité des genres, ça se travaille, il faut y être sensibilisés et éduqués. En 2010, Dominique Gauthiez-Rieucau, spécialiste du sujet pour l’Institut universitaire de formation des maîtres (France), expliquait dans la revue scientifique Trema que la mixité sans perspective d’égalité demeure « inaccomplie ». C’est aussi ce que clame depuis plus de 15 ans la Québécoise Élaine Hémond(1), qui a formulé le concept innovateur de mixité « égalitaire ».

Ces deux femmes voient juste : sans cette perspective, les milieux de l’éducation, issus d’une société qui engendre depuis toujours des inégalités de genres, les reproduiront, encore et encore.

Cela vaut pour tout système où se côtoient filles et garçons, femmes et hommes. Depuis les trois dernières années, les mouvements de dénonciation ont ébranlé tous les milieux, de la culture jusqu’à la politique en passant par la justice. L’ex-ministre conservatrice Rona Ambrose proposait même l’an dernier un projet de loi, initiative visant à imposer aux aspirants juges une formation en matière d’agressions sexuelles. Ce projet de loi C-337 est toujours à l’étude au Sénat, mais il illustre à sa façon le besoin de sensibiliser aux inégalités. Car tous les domaines sont concernés, qu’ils soient scolaires artistiques, juridiques, administratifs, économiques, politiques.

En politique d’abord

Et d’ailleurs, pourquoi ne pas commencer par les gens que nous élisons et qui nous représentent ? Dans les parlements, les nouveaux élus reçoivent habituellement une courte formation qui leur explique comment fonctionner dans leur nouvelle vie, mais pourquoi ne pas y intégrer une formation consacrée aux inégalités de sexe ? Un cours accéléré sur les inégalités systémiques, sur l’arrivée des femmes en politique, les obstacles au changement ; bref, il y a de quoi faire pour sensibiliser la classe politique à ces sujets, et qui sait si cet éveil ne teinterait pas pour de bon les décisions politiques ?

Consensus pour le changement

Le souhait du gouvernement d’imposer des cours d’éducation à la sexualité est louable. Mais ce n’est que dans une perspective réfléchie, avec des spécialistes compétents, que l’éducation à la sexualité et à l’égalité peut se concevoir, et ce, dans tous les domaines.

C’est tout un chantier qui se présente à nous, alors qu’un consensus se dessine clairement : la vision traditionnelle des rapports entre femmes et hommes qui a prévalu jusqu’à maintenant est dépassée. Il faut développer une vision globale de l’égalité et de la mixité dans les institutions démocratiques tout comme dans les milieux de l’enseignement. Cela demande du travail à long terme, et des investissements publics. Il faut surtout que ce chantier survive aux élections, aux individus, et aux scandales.

(1) Auteure et cofondatrice du groupe Femmes, politique et démocratie

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