Nadia Vadori-Gauthier

Danser, résister, vivre

Après l’attentat de Charlie Hebdo, la chorégraphe Nadia Vadori-Gauthier a lancé le projet Une minute de danse par jour, sa façon de répondre à la violence par l’art. Depuis, elle a dansé chaque jour, a filmé ses performances et les a mises en ligne. Le cinéaste Jérôme Cassou en a tiré un documentaire, Une joie secrète, présenté au Festival international du film sur l’art (FIFA).

Elle a, comme dans la chanson de Martha and the Vandellas, dansé dans les rues.

Elle a aussi dansé dans les champs, le métro, les établissements, dans son lit avec une fièvre terrible, dans les rivières, sous la pluie, avec les gilets jaunes et même en votant à l’élection présidentielle française de 2017.

Elle a dansé à Paris, ailleurs en France, à Montréal, à Cuba… Elle a dansé seule, avec des collègues, des élèves, des passants.

Elle est nourrie par le désir de résister, de répondre à la violence par la beauté de l’art, de capter les vibrations ambiantes, qu’elles soient sonores, visuelles ou émotionnelles, et de les retranscrire en mouvements par le truchement de ce qu’elle appelle son corps-sismographe.

Nadia Vadori-Gauthier est chorégraphe, danseuse, chercheuse à l’Université Paris 8. Mais elle est avant tout une femme, une humaine, une Parisienne (née à Montréal) fortement ébranlée par les attentats du 7 janvier 2015 à Charlie Hebdo. Et qui a, dans les heures suivant le drame, cherché une façon pacifique de répliquer.

« Charlie Hebdo a été un choc, dit-elle dans les locaux de La Presse, où elle a fait sa minute quotidienne de danse hier. Le choc d’un monde qui s’effondre, d’une certaine idée de liberté à laquelle j’étais attachée. »

« Je me suis demandé ce que je pouvais faire devant un tel acte de barbarie et j’ai pensé à cette petite chose. À l’échelle du monde, ce n’est rien. Mais à l’échelle de ma propre vie, ça prend toute la place. »

— Nadia Vadori-Gauthier

Dès le lendemain de l’attentat, la chorégraphe et quelques élèves dansaient place de la Concorde à Paris, des photos des victimes épinglées sur leurs vêtements. « On ne pouvait pas rester en studio », plaide Mme Vadori-Gauthier. Le 14 janvier 2015, elle amorçait officiellement son projet.

Se connecter aux autres

Cinéaste spécialisé dans les chorégraphies (il a filmé l’œuvre de Pina Bausch), Jérôme Cassou a été « aimanté » par son travail. Après en avoir tiré un reportage pour ARTE, il a réalisé un long métrage documentaire, Une joie secrète, présenté à Montréal dans le cadre du FIFA.

« Je retrouvais dans sa démarche des valeurs fondamentales, un désir profond de communiquer une démarche humaniste, dit ce dernier. Une des forces de Nadia réside dans sa relation au monde. Ce n’est pas qu’une affaire de création, mais l’idée de se connecter aux autres. »

Connecter. Un mot juste. Car on sent chez la chorégraphe un désir présent de communiquer, quitte à entrer dans la bulle des gens qu’elle croise. Ce qui se passe plutôt bien.

« Certaines personnes peuvent être assez réservées. Mais d’autres vont se mettre à danser avec moi, ou encore hors cadre. Après [la minute de danse], le dialogue s’installe. »

— Nadia Vadori-Gauthier

Au départ, elle voulait « amener la poésie dans la vie courante » sans autre but. Mais après d’autres attentats, notamment celui du Bataclan, son travail a pris une nouvelle résonance.

« Ma danse du 14 novembre 2015 [le lendemain de l’attaque du Bataclan], avec seulement mes mains sur fond noir, c’était ma réponse, dit-elle. À partir de cette date, je me suis mise à danser intentionnellement en résonance à l’actualité quand elle me touchait ou lorsque j’en avais l’occasion. Mes danses ont pris une dimension plus collective, plus politique. »

Elle est aussi portée par un proverbe chinois : « Goutte à goutte, l’eau finit par transpercer la pierre. » Va-t-elle parvenir à transpercer la violence ? Elle ne le sait pas. Mais elle continue à danser.

« À la 500e danse, je me suis dit que j’arrêtais à mille. Pour le millième clip, j’ai invité le chorégraphe québécois Benoît Lachambre et la danseuse Isabelle Duthoit. Mais les jours suivants, je n’ai pas arrêté. Pas un seul jour. Je ne sais pas quand je vais le faire. »

Une joie secrète est projeté aujourd’hui, à 12 h 30, à l’Agora Hydro-Québec du Cœur des sciences de l’UQAM ; le 29 mars, à 15 h 30, au Quartier latin (salle 10).

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