Partir à l’aventure

Tout quitter pour partir à vélo, et ne jamais vraiment revenir

Périple à vélo, voyage en famille, expédition solo… tout au long de l’été, Débats vous présente différents récits d’aventure. Aujourd’hui, Julie Labrecque et ce qui a tout déclenché en 2009…

Mon voisin de gauche fait une croix sur son calendrier, un jour de moins avant la retraite. Celui de droite se coupe les ongles. Je contemple mon cubicule brun, mes deux écrans et je jette un nouveau coup d’œil sur mes voisins. Nous sommes en 2009, je suis une consultante chez Boeing à Seattle, et je me demande franchement ce que je fous là. 

Depuis plusieurs mois, je fomente un plan de traversée du Canada et des États-Unis à vélo. Je perçois la crise économique qui bat son plein aux États-Unis comme une extraordinaire opportunité de me lancer dans une aventure qui me donne franchement la « chienne ». En voyant les vagues de mes compatriotes consultants qui sont mis à pied, j’attends impatiemment mon tour… Tout l’équipement est prêt pour l’expédition, il ne reste plus qu’à déterminer la date du grand départ. C’est lorsque mon patron me confirme qu’il sécurise mon poste jusqu’à la fin de l’année qu’une seule option s’impose : bye bye boss ! Il n’était plus question d’abandonner mon projet ! 

C’est donc en mai 2009 que j’ai quitté Seattle sur un vélo beaucoup trop chargé en direction de ma première destination, Vancouver. De là, j’ai filé vers les Rocheuses canadiennes avant de retourner vers les Cascades pour me rendre sur la côte du Pacifique, que j’ai arpentée jusqu’à Los Angeles avant de remonter vers le nord. Puis le Montana, le Wyoming, l’Utah, les parcs nationaux et toutes leurs merveilles se sont enchaînés. Loin d’être une traversée conventionnelle, mon grand zigzag a culminé au Colorado, où j’ai finalement piqué vers Montréal. 

La chaleur, la grêle, les ascensions sans fin, les gens tellement accueillants, les rednecks, les sommets enneigés, l’océan ou les champs de maïs à perte de vue, chaque jour amenait une belle surprise ou un nouveau défi que je relevais en souriant ou en sacrant. Mais jamais je n’ai regretté ma décision. 

Quatre mois et 10 000 km plus tard, je pensais bien que je serais fixée, que j’aurais eu le temps de méditer sur ce que je voulais « faire quand j’allais être grande », que je rentrerais à Montréal pour me ranger dans la belle ligne droite que me réservait notre société, que ma soif d’aventure serait assouvie… En regardant ma trace sur Google Maps, je ne pouvais que me sentir fière de cet accomplissement solo. Je pensais que ce long voyage serait l’expérience d’une vie. Mais la réalité a été bien différente. 

Aujourd’hui, presque 10 ans plus tard, je considère ce saut dans le vide comme ma première foulée dans le méandre d’un parcours atypique.

Ce petit périple nord-américain n’a été que le début d’une suite d’autres expéditions, de plus en plus exigeantes physiquement, mentalement ou logistiquement. 

J’ai mis plusieurs années pour comprendre que ma vie à moi, elle ne serait pas constellée d’une maison en banlieue, de deux chars, de meubles qui matchent et d’un set de patio… Alors que mes diplômes et mes expériences de travail me crient de m’ensevelir sous une brillante carrière, mon désir d’aventure finit toujours par reprendre le dessus. 

Arrivent toujours des choix déchirants : quitter une bonne job, déménager (encore et encore), partir loin, revenir, essayer de trouver une nouvelle job, vouloir repartir… Tout cela est immanquablement ponctué de grands efforts et de longs moments de questionnements. Souvent, je me dis que ce serait tellement plus facile de simplement vivre ma petite vie à Montréal. Mais il me semble que plus on explore, plus on se rend compte qu’on n’a rien vu, et plus on veut explorer. 

Être à bout et se découvrir de nouvelles ressources, se retrouver dans le trouble et trouver des solutions, atteindre ses limites pour les repousser plus loin : les sentiments de liberté, d’accomplissement et d’euphorie qui accompagnent chaque aventure sont trop inestimables pour passer à côté. C’est cette décision de partir sur mon vélo, que j’ai prise en janvier 2009, qui a déclenché tout ça. 

Et depuis que j’ai trouvé un gars encore plus hyperactif que moi, la liste de plans ne fait que s’allonger…

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.