Activité physique

TROIS TÉMOIGNAGES

Manque de temps et de passion, puberté, pression sociale et scolaire. Les raisons sont nombreuses pour que les filles cessent de pratiquer un sport à l’adolescence. Trois témoignages.

Activité physique

Ces filles qui délaissent le sport

Les filles sont plus nombreuses que les garçons à abandonner le sport et l’activité physique à la fin de l’enfance et à l’adolescence. Manque de temps, problèmes d’image corporelle, attentes de la société : plusieurs raisons existent pour faire échec aux sportives.

Les premières années du secondaire sont parfois difficiles pour de nombreux jeunes sportifs, garçons et filles. Plusieurs réduisent l’activité physique ou l’abandonnent totalement.

Le phénomène est particulièrement aigu du côté des filles. Selon un rapport sur les comportements de santé des jeunes, publié en 2015 par le gouvernement canadien, environ 22 % des filles de 6e année font au moins 60 minutes d’activité physique tous les jours. En 4e secondaire, elles ne sont plus que 10 % à maintenir un tel niveau d’activité.

Déjà, au départ, les garçons sont plus nombreux à faire au moins 60 minutes d’activité physique par semaine, soit 31 % en 6e année. Et ils sont moins nombreux à abandonner. En 4e secondaire, ils sont encore 22 % à faire autant d’activité physique.

Le taux d’abandon est donc beaucoup plus élevé du côté des filles. « C’est multifactoriel, indique Guylaine Demers, professeure au département d’éducation physique à l’Université Laval. Il n’y a pas juste un aspect qui joue. »

Elle invoque notamment des facteurs psychosociaux.

« Les filles ne sont pas socialisées comme les garçons. Encore aujourd’hui, on voit que plusieurs filles apprennent très tôt à adopter des comportements qu’on va valoriser chez elles : être douce, gentille, coopérer avec les autres. Une petite fille agressive va se faire remettre à sa place. »

— Guylaine Demers, professeure au département d’éducation physique à l’Université Laval

Sur le terrain de jeu, on va encourager un petit garçon à grimper encore plus haut sur le module de jeu, alors qu’on s’inquiétera pour la petite fille qui s’aventure un peu trop loin.

« Souvent, les filles n’apprennent pas à utiliser leur corps dans l’espace et à explorer leurs limites sur le plan des habiletés motrices », déplore Mme Demers.

Elles risquent donc d’être moins habiles, moins performantes dans les sports à l’école. Elles seront moins enclines à investir dans ce type d’activités, et ce sera le cercle vicieux.

À l’école secondaire, elles font souvent face à des sports encore traditionnels, le basketball, le volleyball, où les habiletés sont importantes. Elles font affaire avec des entraîneurs majoritairement masculins qui ont pour référence leur propre expérience. Ils comprennent moins bien les spécificités des filles, le fait qu’elles n’ont souvent pas appris à être compétitives, ou encore leur besoin de socialiser entre elles.

« L’adhésion à la pratique sportive passe par les amies, affirme Mme Demers. Si l’entraîneur ne comprend pas cette dynamique, il risque d’adopter un style de coaching qui va peut-être marcher une année mais après, les filles vont abandonner la pratique. »

Pour compliquer le tout, les filles commencent à subir des pressions sociales, à commencer par l’hypersexualisation.

« Il faut avoir une certaine apparence, être belle, maquillée. Ça va un peu en contradiction avec la fille athlétique, musclée, qui sue, qui va se casser un ongle. »

— Guylaine Demers

L’image corporelle devient très importante, indique Suzanne Laberge, professeure au département de kinésiologie de l’Université de Montréal. « Il y a tellement de sensibilité par rapport au corps, indique-t-elle. Si une fille est un peu enrobée ou ne performe pas bien, elle va abandonner. »

Surtout en natation. « Le costume de bain, c’est l’enfer. »

Un des problèmes avec l’éducation physique, c’est qu’il est impossible de cacher une mauvaise performance. L’image peut en prendre un coup.

« En français ou en maths, les autres ne voient pas votre échec, fait observer Mme Laberge. Mais lorsque les autres vous voient courir autour de la piste et que vous êtes la dernière, ça ne ment pas. Vous vous sentez poche. C’est très dur. »

LA PRESSION DE LA RÉUSSITE SCOLAIRE

Lorsqu’elles abandonnent, les filles vont souvent expliquer qu’elles n’avaient plus assez de temps pour faire leurs travaux scolaires.

Selon Mme Laberge, les filles sentent qu’elles n’auront pas de cadeaux et qu’elles devront travailler fort pour réussir.

« Il y a des attentes très élevées de réussite scolaire pour les filles, affirme de son côté Guylaine Demers, de l’Université Laval. Pour un garçon, si les notes sont correctes, s’il fait du sport et que ça va bien, ça passe, alors que pour une fille qui a des notes correctes, il y a comme une inquiétude. »

Prises entre la pression de la réussite scolaire et une expérience mitigée en sport, les filles n’hésiteront pas à s’investir totalement dans les études.

« C’est malheureux parce qu’on sait que la pratique sportive permet d’avoir de meilleurs résultats scolaires », affirme Mme Demers.

Que faire pour encourager les filles à continuer à faire de l’activité physique ?

Suzanne Laberge suggère de diversifier les activités offertes aux filles. Ce n’est pas tout le monde qui veut faire de la course à pied ou du basketball.

Guylaine Demers propose notamment de consulter les filles elles-mêmes pour savoir ce qui les branche.

Mme Demers note l’importance d’éduquer les professeurs d’éducation physique, les entraîneurs et les moniteurs pour qu’ils comprennent mieux les spécificités des filles. L’organisme Égale Action, qu’elle préside, offre des formations en ce sens.

Elle insiste enfin sur l’importance d’offrir des activités physiques dans le cadre scolaire. « C’est le lieu où tous les enfants se retrouvent, que tu sois riche ou pauvre, que tu habites en Abitibi ou à Montréal. Ça permet de s’assurer que tous les enfants bénéficient de programmes de développement des habiletés motrices de base. »

Et, bien sûr, il faut encourager les filles à foncer.

Activité physique

Stéphanie Bouchard

26 ans

Après presque 7 ans à faire 22 heures de gymnastique par semaine, Stéphanie Bouchard a fait une « écœurantite aiguë ». « Quand j’ai commencé le secondaire 5, j’avais moins la passion, raconte-t-elle. J’étais à l’âge [16 ans] où j’avais envie d’explorer autre chose, d’avoir des amis hors de la gymnastique. »

En plus, elle s’était blessée à plusieurs reprises au cours de l’année précédente, ce qui avait eu un effet sur sa performance. « Quand on se blesse et que ça n’avance plus aussi bien, on déprime et on n’a pas envie de continuer à mettre autant d’efforts. »

Elle estime toutefois qu’elle aurait abandonné la gymnastique bien avant si elle n’avait pas eu la chance de participer à un programme de sports-études. « Je pouvais avoir une certaine vie sociale le soir ou les fins de semaine. » Au cégep, elle a découvert le cheerleading, qu’elle poursuit encore aujourd’hui, près de huit ans plus tard.

Activité physique

Nazmiye Moutier

15 ans

Nazmiye Moutier aimait la gymnastique. « Ça me détendait, mais aussi, ça me permettait de canaliser mon énergie dans quelque chose », explique-t-elle.

Ce sport demandait toutefois beaucoup de temps. Ça pouvait aller au primaire, mais pas au secondaire. « Je me couchais tard, je ne mangeais pas bien, j’étais toujours fatiguée. Avec la rentrée au secondaire, je n’avais plus de temps pour ça. » Il lui manquait quand même quelque chose, elle avait besoin d’une activité physique. Elle s’est donc tournée vers les arts du cirque.

« Encore là, c’était trop, je ne pouvais pas continuer, déplore-t-elle. J’ai regretté davantage le cirque que la gymnastique. » À l’école secondaire, elle a pu faire de la danse. Mais à l’heure actuelle, en 4e secondaire, elle ne fait plus de sport. « Je n’ai plus la tête à ça. Je me pose des questions sur la vie, mes choix, l’école, le cégep, sur ce que je veux devenir. »

Activité physique

Sonia Messara

16 ans

C’est le temps, ou, plus précisément le manque de temps, qui a dicté les choix de Sonia Messara. Toute petite, elle faisait de la natation. Puis, elle a commencé la gymnastique. « Ça prenait trop de temps pour faire les deux, mes parents m’ont demandé de choisir, se rappelle-t-elle. J’ai préféré la gymnastique. »

Elle a toutefois dû laisser ce sport à 14 ans, en 2e secondaire. « Avec les devoirs, ça ne marchait plus, j’ai dû faire un choix. » En outre, ça devenait difficile de voir ses copines sortir le vendredi soir alors qu’elle devait aller à son cours de gymnastique. Il était impossible de diminuer les heures de gymnastique par semaine : elle serait tombée dans un programme récréatif, trop facile pour elle.

Elle a toutefois commencé à faire du hip-hop, qui s’est bien intégré dans son horaire puisqu’il s’agit d’un seul cours par semaine. « Mais il reste que la gymnastique, ça va toujours être mon premier choix. […] Si ça n’avait pas été de l’école, j’aurais continué, c’est sûr. »

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